La vie d'Ivan avait toujours été rythmée par de nombreuses surprises, si bien qu'à la fin, il ne s'étonnait que peu des situations cocasses qu'il vivait. C'est pour ça qu'aujourd'hui, il n'eut qu'un sourcillement étonné lorsqu'il vit Lise se diriger vers lui d'un air paniqué, un paquet de papier toilette sous le bras et un sac de course à la main. Lorsqu'elle fut à sa hauteur, il posa sa boîte de haricots verts dans son panier et se tourna vers elle.

-J'ai perdu Théo. Je le cherche depuis un quart d'heure et personne ne l'a vu. Tu ne l'aurais pas aperçu ? Lui demanda-t-elle le souffle court, se tournant dans tous les sens comme si son petit frère pouvait surgir à tout instant de derrière un rayon.

Le jeune homme fit non de la tête et continua de remplir son panier, pas vraiment paniqué par l'annonce de son ancienne amie. Cet enfant était pire qu'une savonnette, lorsqu'ils passaient encore beaucoup de temps ensemble, il n'était pas rare qu'ils le perdent plusieurs fois et le retrouvent à l'opposé de l'endroit où il avait disparu, mais malgré ça, Lise s'inquiétait toujours lorsqu'elle le perdait de vu.

-Passe ton sac, lui dit-il finalement, je vais t'aider à le chercher. Pars à droite, je vais à gauche, on aura plus de chances de le retrouver à deux.

Elle acquiesça, lui tendit son cabas et se dirigea à vive allure vers les rayons au fond du magasin. Commença alors une longue et laborieuse partie de cache-cache. Ivan fouillait le moindre recoin de chaque rayon, continuant distraitement ses courses par la même occasion. Les gens autour de lui le dévisageaient avec curiosité puis retournaient à leurs occupations. Il interpella trois gamins qui, lorsqu'ils se retournèrent vers lui, l'air apeuré, se révélèrent ne pas être celui qu'il cherchait. Il avait l'impression que tous les petits garçons aux cheveux noirs et au corps malingre s'étaient regroupé dans ce supermarché. Il le retrouva finalement au rayon laitage, des courses dans les bras, en train de vérifier la date de péremption des yaourts qu'il choisissait. Le jeune homme se précipita vers lui d'un pas militaire et lui agrippa l'épaule comme si le petit garçon pouvait partir en courant d'une minute à l'autre. Il sursauta légèrement en sentant quelqu'un l'attraper brusquement et se retourna, un sourire innocent illuminant son visage, comme si ça ne faisait pas une demi-heure qu'on le cherchait dans tout le magasin.

-Bonjour Ivan, ça fait longtemps que je ne t'avais pas vu. Tu vas bien ?

-T'es un sacré veinard toi, se contenta de répondre le jeune homme en le poussant en direction de l'allée principale, si t'as sœur t'avais retrouvé la première, tu aurais reçu la fessée orale du siècle.

-Lise était pressée et comme je connaissais la fin de la liste de courses, j'ai été chercher ce qui manquait.

Il désigna du bout de son menton rond ses petits bras chargés. Ivan l'aurait tué, il rangea les articles dans le sac de Lise et partit la retrouver. Lorsqu'elle aperçut son petit frère son visage se dérida d'un seul coup, soulagé, mais le pli entre ses sourcils ne disparut qu'une infime seconde. Quand elle fut à leur hauteur, elle pinça légèrement sa joue en le sermonnant.

-Je vais finir par acheter une laisse si tu continues, dit-elle à Théo, sa joue toujours entre ses doigts. Merci Ivan, sans toi, j'aurais eu un mal fou à le retrouver.

Il tressaillit, ne s'attendant pas à de tels remerciements. Son ventre se contracta face au sourire qu'elle lui adressait, le premier sourire qui lui était destiné, depuis la dispute. Il resta longuement devant elle, les bras ballants, ne comprenant pas pourquoi elle le fixait d'une telle façon. Cherchait-elle ses mots, attendait-elle de nouvelles excuses ou un geste de réconciliation. Elle s'humecta légèrement les lèvres, allait-elle dire ces mots qu'il attendait depuis des mois, ces mots qui attiseraient davantage le feu qui avait pris possession de son corps.

-Ivan, mon sac.

Il réalisa soudainement qu'il tenait encore son cabas dans sa main. Se sentant idiot, il lui rendit en baissant les yeux, il attendait des choses qu'il n'aurait jamais, comme si les derniers évènements ne lui avaient pas servi de leçon. Il ne voulait pas qu'elle parte, il ne voulait pas qu'elle s'éloigne à nouveau et qu'ils redeviennent de vague connaissance, évitant le regard de l'autre lorsqu'ils se voyaient à la bibliothèque.

-Vous rentrez comment ? Leur demanda-t-il en se frottant la nuque.

-En bus, comme d'habitude.

-Je peux vous raccompagner en voiture si vous voulez.

Lise plissa les yeux et interrogea son frère du regard, il se contenta de hausser mollement les épaules en guise de réponse, ce gamin ne l'aidait vraiment pas. Elle acquiesça, permettant ainsi au jeune homme de passer encore quelques minutes en sa compagnie. Dans l'habitacle de la voiture, il régnait un silence étrange, comme s'ils avaient loupé une marche. Leur amitié avait changé, ils avaient franchi une ligne et il serait impossible de la faire redevenir comme avant. Ils n'avaient que deux choix : repartirent ensemble sur un nouveau chemin ou prendre chacun deux directions différentes. Mais personne ne semblait vouloir choisir, ils n'osaient pas parler, comme si le moindre mot pouvait avoir des conséquences irréversibles et décisives sur leur avenir. Ils n'avaient plus le droit à l'erreur, au moindre faux pas, il serait dur de revenir sur le droit chemin. Ils arrivèrent finalement devant la maison sans avoir ouvert la bouche, Lise sortit et déchargea le coffre de leur course, alors que son frère allait rentrer à l'intérieur du batiment, elle lui confia les sacs. D'une démarche légère, elle se rapprocha de la voiture, s'appuya sur le siège passager, remercia Ivan, déposa un baiser sur sa joue et s'en alla en le saluant comme si de rien n'était. Le jeune homme ne redémarra pas immédiatement, il devait d'abord reprendre ses esprits. Il le savait, il jouait un jeu dangereux qui le détruirait sûrement. Mais ses joues qui le picotaient et les fourmillements qui avaient empli son corps ne lui confirmaient qu'une seule chose : il ne pouvait pas se séparer de Lise.