35 : Romain
Quelqu'un tira une chaise en face de lui, mais Romain continua de manger son yaourt en discutant avec Lise par message. La personne toussota pour attirer son attention, il daigna finalement lever les yeux vers elle. Il fut étonné de trouver Charles en face de lui, arborant de magnifiques créoles à ses oreilles. En enfournant une nouvelle cuillerée dans sa bouche, il l'interrogea du regard pour savoir ce qu'il lui voulait.
-Alors comme ça, on traîne avec Yseult sans me le dire ? Espèce de petit cachottier !
Il se liquéfia sur le coup et manqua de s'étouffer, puis fut pris d'une violente quinte de toux qui attira tous les regards vers leur duo, tout ce qu'il ne voulait pas du tout. Le visage rouge, le souffle court et les larmes aux bords des yeux, il jeta tout autour de lui des coups d'œil inquiets comme si à tout moment quelqu'un pouvait surgir de nul part.
-Qui.. Qui t'a dit ça ? Bafouilla-t-il à mi-voix.
-Elle, je l'ai croisée vendredi, après les cours, dans la salle de musique. Elle m'a dit que tu lui parlais des fois de moi, dit-il d'un air flatté.
Charles était une personne qui attirait souvent l'attention, souvent à cause de ses habits ou de sa voix grave qui portait très loin. Plusieurs élèves écoutaient leur conversation en les détaillants des yeux. Gêné par tout ce public, le visage ayant pris la même coloration qu'une tomate, Romain intima à son interlocuteur de se taire. Le jeune homme se pencha alors au-dessus de son assiette de coquillette, rapprochant dangereusement son visage de celui du garçon, le faisant par la même occasion déglutir son dessert. De près, le sourire de Charles semblait plus immense qu'à l'accoutumé.
-Qui aurait pu penser qu'un petit timide comme toi entretenait une amitié avec l'une des filles les plus populaire du lycée. Vraiment Romain, tu te révèles être un garçon plein de surprise, tu m'épates, lui susurra-t-il enfonçant ses prunelles noisette dans les siennes.
Le garçon brandit sa cuillère devant lui, forçant son interlocuteur à éloigner son visage. Une cuillerée de yaourt encore dans la bouche, il lui dit de son air le plus menaçant.
-Ne le dis à perchonne.
En face de lui, Charles opina et fit mine de fermer une fermeture éclaire invisible sur ses lèvres. Romain leva les yeux au ciel face à cette attitude enfantine et continua de manger, espérant enfin pouvoir terminer tranquillement son repas. Mais les astres semblaient tous s'être alignés contre lui aujourd'hui, Paul posa bruyamment son plateau à côté du sien, lui arrachant un léger sursaut. A peine fut-il assis que son ami l'apostropha, laissant sa fourchette en suspension devant lui comme si l'information qu'il s'apprêtait à lui délivrer était d'une importance primordiale.
-Eh Paul ! Tu sais pas la dernière ! Romain fréquente Yseult !
-Ah ouais, répondit-il d'un air las en rompant son pain, je comprends mieux pourquoi il arrête pas de tout le temps me poser des questions sur elle. (Il se retourna vers son ami à côté de lui qui écoutait distraitement la conversation). Tu sais mec, si tu veux sortir avec elle t'a pas besoin de me demander mon avis.
Romain porta sa serviette à sa bouche, manquant de recracher dedans. Il avala difficilement, mais son yaourt lui resta en travers de la gorge. Il se tourna vers Paul et observa son visage impassible devant lui, comme s'il ne venait pas de manquer de tuer son ami en disant de pareil idioties. Il finit par se mordre la joue pour se retenir de lui dire qu'il n'y avait aucune chance, car il avait fait un pacte avec elle parce qu'elle elle était secrètement attirée par lui et qu'il devait faire en sorte de les rapprocher.
-Arrêtez de raconter n'importe quoi, sermonna-t-il à la place.
-N'empêche que je trouve ça étonnant.
-Nous ne sommes même pas ami, répondit-il en soufflant. Je vous dis arrêtez de vous imaginer des choses, pourquoi passerait-elle du temps avec moi alors qu'elle les a eux.
Alliant le geste à la parole, il désigna d'un coup de menton le groupe de cinq personnes qui se trouvait un peu plus loin dans le réfectoire, où se trouvait Yseult. Romain le savait très bien, s'il n'avait pas été l'ami de Paul, la jeune fille ne se serait pas plus préoccupé de lui que d'une vieille chaussette. Charles s'était tourné dans la direction qu'il avait indiquée quelques secondes plus tôt et fixait intensément la table.
-C'est ce qu'on va voir, marmonna-t-il, un rictus malicieux se glissant sur son visage.
De sa voix forte, il scanda le prénom de la jeune fille, qui se répercuta contre les murs arrachant un regard à chaque personne présente. Les joues de Romain prirent immédiatement feu et il plongea son regard dans son pot pourtant vide pendant que Paul rigolait à ses côtés et que Charles leur adressait de grands signes de bras à la manière d'un naufragé. Au bout de quelques instants, il releva légèrement la tête en direction du groupe. Il ne remarqua pas les nombreux regards braqués sur ses amis et lui, il ne remarqua pas les rires des populaires et les coups de coude que donnait son voisin à Yseult en lui murmurant quelque chose qui devait être désopilant vu la mine hilare qu'il affichait. Il ne vit que ce regard dur et froid semblable à celui d'un oiseau de proie, ses deux iris bleu glaçant qui le transperçaient comme une flèche faisant remonter un désagréable frisson le long de son échine. C'était un regard courroucé qu'elle lui adressait à lui, lui intimant de ne plus jamais la déranger en public. Il baissa la tête un peu plus, rentrant son cou dans ses épaules à la manière d'une tortue. Il sentait encore sur lui ces yeux menaçants, comme si son regard s'était gravé sur sa peau. Oui, Romain avait raison, ils n'étaient pas amis.
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