28 : Romain

Romain observa longuement la feuille blanche à carreau qui se dressait devant lui puis poussa un profond soupir. Il releva la tête et fixa Adélaïde qui triait une pile de papiers. Lise était partie fumer à la fenêtre, la bibliothécaire refusant qu'elle le fasse à l'intérieur, mais face aux pluies torrentielles qui arrosaient la ville depuis plusieurs jours, elle avait fait une petite concession. Le jeune garçon, très préoccupé depuis le lendemain de son anniversaire, ne comprenait pas comment pourrait-il faire en sorte qu'Yseult et Paul puissent finir ensemble grâce à lui. Depuis que la jeune fille lui avait offert un cadeau pour son anniversaire, il se sentait redevable et par conséquent, la pression que lui procurait sa demande n'avait fait qu'accroitre. Romain n'était jamais tombé amoureux, comment pouvait-il réussir à les guider ? Totalement démunis, il décida finalement à se confier à la seule personne capable de résoudre le moindre problème.

-Comment on tombe amoureux ? 

La question, d'une simplicité déconcertante, ressemblait à celle d'un enfant. Mais elle sembla suffisamment intéresser la bibliothécaire pour qu'elle arrête son rangement et s'assoie sur son vieux siège grinçant.

-Eh bien, il n'y a pas de science exacte, répondit-elle après avoir briqué ses lunettes sur son tablier. Il faut un peu avoir l'amour comme une fleur, parfois elle apparaît toute seule, mais des fois, il faut la planter et l'entretenir pour la faire durer, l'on peut aussi bien l'arracher si elle ne nous convient pas. Certaines personnes ont un coup de foudre, d'autres sont amis puis finissent par développer des sentiments et puis il y a ceux qui se voilent la face. Un peu comme Lise et Raphaël.

Elle rajouta cette dernière phrase un peu plus basse, un sourire malicieux se glissant sur son visage. Derrière un rayonnage, la voix de Lise grogna.

-J'entends tout, je vous rappelle.

Adélaïde ne releva pas cette remarque et continua.

-L'amour n'a pas de sexe, de couleur, ni de religion. C'est pour ça qu'il est si indomptable et mystérieux. Personnellement, je trouve qu'il s'agit d'un sentiment magnifique, car il créée beaucoup de bonheur.

-L'amour est une merde, la coupa Lise en jetant son paquet de cigarettes sur le bureau. Il te détruit, te rend faible et dépendant.

-Comme la cigarette.

La jeune femme posa un regard las sur son amie avant de recoiffer sa frange trempée et de prendre place à côté de Romain en frissonnant.

-Vois où ça a amené Ivan. J'ai eu l'occasion, ou plutôt le malheur, de tomber plusieurs fois amoureuse et je n'y ai rien gagné sauf de la tristesse et du dégoût. J'en suis arrivée à une constatation, soit il y avait un lien qui vous unissait dès votre première rencontre, soit tu te mens à toi-même et il n'y a en fait aucun sentiment. Entiches-toi d'une personne qui ne t'attirait pas dès le départ et tu finiras comme ma mère, avec la garde de deux gosses alors que ton connard de mari se rebarre en Chine.

Elle avança sa main vers ses cigarettes en sortant son briquet de sa poche, mais la bibliothécaire attrapa le paquet juste avant elle et le rangea dans un tiroir de son bureau. Elle se tourna vers Romain, silencieux dans son fauteuil, pour éviter le regard noir de l'asiatique.

-N'écoute pas cette défaitiste de Lise, j'ai moi aussi eu plusieurs relations et malgré qu'elles soient finies actuellement, je ne regrette aucunement de les avoir vécues, car elles m'ont énormément apporté. Puis pour revenir sur la théorie du coup de foudre, mes parents ne s'appréciaient pas vraiment lorsqu'ils se sont connus et pourtant, ils coulent des jours heureux. Mais pourquoi poses-tu cette question ? Il y a quelqu'un qui t'intéresse au lycée ?

Lise souffla et le garçon secoua frénétiquement la tête pour répondre. Il n'était pas vraiment du genre à flirter et honnêtement, il ne s'était jamais posé la question si une fille lui plaisait, bien trop occupé par ses problèmes quotidiens. Sans vraiment développer sur sa vie, il se contenta de répondre que cela concernait Yseult et Paul. Toujours aussi curieuse, comme si des amourettes de lycéens étaient la chose la plus intéressante du monde, la femme continua de poser des questions.

-Et qu'a-t-il dit lorsque tu lui as demandé si elle l'intéressait ?

-Il a dit qu'il ne savait pas trop, qu'il ne la connaissait pas. Qu'elle était jolie, mais qu'il se méfiait des jolies filles populaires, car elles étaient beaucoup trop souvent de sale vipère.

-Ce mec est très intelligent, l'interrompit Lise en se recroquevillant sur sa chaise, écoute le souvent, il te donne de bons conseils.

Adélaïde lui intima de se taire et la jeune femme se justifia qu'il était vrai que cette blonde n'était pas très sympathique. Comme seul contre argument, la femme lui dit la même phrase qu'elle lui répétait depuis plusieurs mois et qui à chaque fois lançait un débat endiablé entre les deux amies dans lequel Romain ne pouvait espérer en placer une.

-Je n'écoute pas les personnes qui renit leurs sentiments.

-Encore avec ça, s'écria l'asiatique en levant les bras aux ciels, mais quand je vous répète qu'il n'y a rien entre moi et Raphaël, on ne peut pas tomber amoureuse de quelqu'un à qui on n'a jamais dit bonjour !

-Car tu ne lui as toujours pas dit bonjour !

-Arrêtes un peu Adélaïde ! On dirait ma mère intrusive !

Et comme d'habitude la conversation continua jusqu'à la fermeture de la bibliothèque malgré les quelques clients qui étaient venus les interrompre. Toujours fidèle à son poste, Romain avait fait un magnifique bibelot, se contentant de suivre cet échange énergique sans un mot. Au final, malgré cette discussion très inspirante sur les différents points de vues face à ce drôle de sentiment, le garçon n'était pas plus avancé, il n'y comprenait toujours rien à l'amour.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top