24 : Ivan
Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas revu les grilles d'un lycée. Ivan attendait patiemment sur le parking, s'appuyant contre sa voiture pour pouvoir observer les adolescents qui se pressaient vers la sortie. Leurs sacs pesant sur leurs épaules et leur démarche trainante accompagnée de rires et de discussions lui rappelait ses propres années. Il vit alors apparaître, entourée d'un grand brun au visage bourru et d'un blond filiforme qui lui tenait les épaules, celle qu'il attendait. Yseult souriait, mais son visage semblait comme figé, de loin le jeune homme avait l'impression qu'elle avait de nouveau d'horribles crampes aux joues comme un dimanche sur le stade, où ils n'avaient cessé de rigoler. Il leva sa main de façon à ce qu'elle le repère de loin. La jeune fille s'extirpa d'entre les deux garçons et dévala les escaliers pour venir se poster devant lui.
-Hey, lui lança-t-il en souriant devant son visage lumineux.
-Ivan ! Je te manquais tant que ça, tu ne pouvais pas attendre ce week-end pour me voir ?
-Tu rêves crevette, j'avais juste mon aprèm de libre alors je me suis dit que ça serait sympa de la passer avec toi.
Elle souffla en levant les yeux au ciel et Ivan ricana avant de contourner sa voiture afin de s'installer. Lorsqu'il la vit s'asseoir et attacher sa ceinture sans même aller saluer ses amis, il haussa les sourcils et lui dit qu'il n'était pas pressé, qu'elle pouvait aller leurs dire au revoir. En guise de réponse, la jeune fille leva les yeux au ciel et lui intima de démarrer. Alors qu'ils étaient bloqués derrière une file de voitures, il se tourna vers elle et lui demanda ce qu'elle souhaitait faire.
-Je n'en ai aucune idée, répondit-elle avec flegme, le visage collé contre la vitre.
Elle sembla réfléchir quelques instants, ses doigts pianotant contre la portière puis se redressa vers lui. Ses yeux bleus le transpercèrent quelques instants et un sourire malicieux se glissa sur ses lèvres rosées.
-Viens manger ce soir à la maison, dit-elle en réajustant sa veste. Ma mère sera ravie de rencontrer la personne qui m'a donné envie de courir.
Face au visage rayonnant que lui affichait Yseult, il se résigna à accepter. Il n'aimait pas trop s'incruster chez les gens et surtout rencontrer les parents de ses amis.
-J'accepte, mais à une condition : je prépare le repas, ordonna-t-il en souriant.
-Pas de problème, avec ma mère, on n'est pas des grands chefs donc si tu veux manger un truc sympa, c'est une bonne idée.
Ivan rigola et elle l'accompagna, son rire cristallin envahissant tout l'habitacle de la voiture.
*
Une courgette dans la main droite, une aubergine dans l'autre, le jeune homme essayait de se rappeler la recette des boulettes de bœufs de sa grand-mère, plat typique du terroir espagnole qu'il mangeait à chaque fois qu'il se rendait chez sa famille en Espagne. Yseult était partie chercher la viande et les épices qu'il lui avait demandées. Il finit par ranger ses courgettes jaunes dans son sac plastique et alla peser ses tomates. Malgré l'appréhension qui envahissait peu un peu son corps, Ivan était content de passé son après-midi et sa soirée avec sa nouvelle amie. Il se dirigea vers le rayon céréale, plusieurs sacs de légumes dans les bras, pour chercher le dernier ingrédient qu'il lui manquait. Il hésita entre du riz rond et du riz basmati, prit finalement son paquet après plusieurs minutes, mais lorsqu'il se retourna, il faillit lâcher ses provisions faces à la vision d'horreur qui venait de se présenter devant lui. Un gamin, la coupe au bol et les yeux bridés, un paquet de quinoa dans les mains, le fixait en souriant.
-Bonjour Ivan, lui lança-t-il plein d'entrain.
-Bonjour Théo, répondit-il en zyeutant les alentours. Lise est avec toi ?
Le gamin hocha la tête et se remit à le fixer. C'est à ce moment qu'Yseult apparut encombrée de deux barquettes de hacher de bœuf et d'un bocal de piment d'Espelette. Elle s'arrêta à côté de lui et dévisagea le garçon devant lui avant de l'interroger du regard. Gêné par tous ces regards tournés vers lui et par ce silence, l'homme passa sa main dans ses cheveux.
-Et, vous allez bien ? S'enquit-il.
-M'man est un peu fatigué, mais moi, je vais bien. Par contre, Lise était pas trop dans son assiette à cause d'un garçon, elle est revenue un matin et s'est effondrée en pleurs, maman a dit que si elle le revoyait, elle lui collerait un marron dans la face. J'espère que Lise croisera plus jamais ce gas. Tu reviens quand à la maison ? Tu passes faire le nouvel an chinois comme l'année dernière ?
Ivan se frotta la nuque, mais ne prit pas le temps de lui répondre, car une voix, bien trop familière à son goût, hélait le prénom du gamin dans le rayon d'à côté. Pris de panique, il saisit l'épaule d'Yseult toujours silencieuse à ses côtés et l'emporta avec lui vers les caisses en prenant soin d'éviter la seule personne qu'il ne voulait absolument pas croiser. Alors qu'ils s'installaient dans la voiture, son amie daigna enfin prononcer quelques mots après cette sortie précipitée du magasin.
-Je peux savoir qui tu évitais comme ça ? Le questionna-t-elle en positionnant bien les sacs de courses sur ses genoux. On aurait dit que tu avais Voldemort aux fesses.
-Celle qui a fait que j'ai failli te transformer en steak haché avec cette twingo. Et vu ce que m'a dit son petit frère, je doute que si je la recroise elle ait envie de me faire un câlin.
-Et pourquoi t'en veut-elle autant ?
-Une longue histoire que je ne préfère pas te raconter aujourd'hui, je voudrais garder le sourire pour cette fin d'aprèm.
Elle hocha la tête, compréhensive, et regarda par la fenêtre les passants qui se pressaient le long du trottoir.
*
L'appartement de la jeune fille s'était révélé être un vrai nid douillet, tout de couleur clair et pastel, de tapis moelleux et de meubles en bois, il était d'une luminosité impressionnante malgré le ciel gris de l'extérieur. Les boulettes de bœuf à l'espagnol étaient enfin en train de mijoter, après les nombreuses complications qui étaient survenues lors de leur préparation, la table était dressée et Yseult s'était laissée tombé dans le sofa en soupirant pendant qu'Ivan finissait de ranger.
-Ne me fais plus jamais cuisiner, lui lança-t-elle pendant qu'il essuyait une spatule.
-Ce n'était pas si terrible que ça.
-J'ai failli perdre un doigt à cause d'un poivron ! Mes boulettes ressemblaient à des pâtés et j'ai manqué de mettre cinq fois la dose de piment recommandé et tu appelles ça pas terrible ?
Il pouffa et essuya ses mains trempées avant de se retourner et d'observer la pièce. Ses yeux se posèrent sur le piano dans le coin sur lequel reposaient des jacinthes.
-Tu sais jouer du piano ? Demanda-t-il à son amie, affalée sur le canapé.
La jeune fille se redressa et hocha la tête avant de se lever pour s'asseoir sur le tabouret. Elle releva le clapet et commença à jouer, lentement, clair de lune de Debussy. Voyant qu'Ivan n'avait toujours pas bougé de la cuisine, elle l'invita d'un signe de main à venir s'asseoir à ses côtés. Il obtempéra.
-J'ai appris à jouer depuis que je suis toute petite, mon père est un très bon musicien. Il voulait que je sois comme lui, que j'accompagne les plus grands choristes du monde.
-Ton père ne vit pas avec vous ?
-Non, répondit-elle en se mordillant la lèvre. C'est une longue histoire que je préfère ne pas te raconter aujourd'hui, je voudrais garder le sourire pour cette fin de soirée.
Il lui sourit tristement et regarda ses doigts fins danser voluptueusement sur les touches noires et blanches.
-Tu veux chanter ? Lui demanda-t-elle sans quitter des yeux le clavier.
Il acquiesça, peu assuré. Elle fouilla dans ses partitions et en posa une sur le pupitre. Alors que les premières notes résonnaient, la voix de la jeune fille s'éleva, pure et mélodieuse comme celle d'un ange. Ses yeux clos, elle semblait si à l'aise dans son monde que le jeune homme n'osait pas bouger de peur de la sortir de cet état second. Il regarda longuement la partition et finalement fini par l'accompagner. Leurs voix fusionnaient, se mélangeant aux notes, Ivan relâcha ses épaules et sentit un frisson parcourir tout son corps. Il laissait sa voix libre, jamais il n'avait chanté devant quelqu'un, ayant trop peur que l'on se moque de lui. Mais ici, auprès d'Yseult, il se sentait protégé, libre. La jeune fille sourit et le regarda, ses yeux pétillants de joies. Leur duo prit finalement fin et ils restèrent longuement l'un en face de l'autre, leurs iris détaillant chaque parcelle de leurs visages. Yseult finit par détourner son regard en souriant et murmura un remerciement.
-Il faudrait que nous chantions plus souvent, tu as une très belle voix Ivan.
-Merci, mais tu chantes beaucoup mieux que moi.
*
La mère de la jeune fille arriva finalement, un gâteau dans les mains. Le repas se déroulant parfaitement bien, dans la joie et la bonne humeur. Madame Neveu complimenta le plat d'Ivan et fut ravie de le rencontrer, lui qui avait réussi l'exploit d'emmener sa fille courir le week-end. La nuit tomba lentement, comme un voile sur la ville, et le jeune homme dut se résoudre à s'en aller. Il salua la mère de son amie, qui l'invita à réitérer sa visite, et Yseult l'accompagna jusqu'aux portes de sa résidence. Sous la lumière jaunâtre des lampadaires qui ruisselait le long de leurs cheveux blonds, ils se regardèrent en souriant.
-Merci pour cette soirée, dit-il en resserrant les pans de sa veste.
-Merci à toi surtout, je crois que ma mère va te vouloir souvent à la maison, surtout pour ta cuisine.
Il sourit. La jeune fille qui n'arrêtait pas de se tordre les doigts, finit par planter ses iris bleutés dans les siens.
-Je suis pas très douée pour ce genre de déclaration, murmura-t-elle sans quitter son regard. Mais merci, merci de me supporter, merci d'égayer mon quotidien, merci d'être mon frère de cœur.
Fasse à ses mots ses joues se mirent à le brûler et son sourire s'étendit sur ses lèvres. Il s'approcha lentement et la prit dans ses bras, la serrant fortement contre lui.
-Merci à toi crevette.
Elle esquissa un sourire alors qu'il lui ébouriffait les cheveux et ils se séparèrent. Sur le chemin, le jeune homme ne put s'empêcher d'être heureux, les nuages qu'avaient déposé Lise avaient étaient chassés par son nouveau soleil. Il avait trouvé dans cette petite blondinette une source de joie inépuisable, un soutien inébranlable, mais surtout la petite sœur qu'il n'avait jamais eu.
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