23 : Adélaïde
Elle essuya le verre et le posa sur le comptoir puis le rempli d'un liquide ambré, un alcool qui ne portait d'autre nom que celui de l'oncle Sam. Cette liqueur dont la recette demeurait un mystère était l'une des boissons qu'elle avait le plus servies derrière ce vieux comptoir verni. Pour cause, ce breuvage était assez fort pour qu'il ne vous suffise que d'un seul verre pour que vous finissiez déjà un peu jouet. Adélaïde frotta ses mains contre le torchon qui pendait à sa taille et se retourna pour saisir une bière qu'elle déposa devant son oncle accoudé sur le rebord devant elle. Elle souffla pour dégager la longue boucle qui lui roulait sur le nez et souffla un grand coup. Elle avait l'impression d'être revenue bien des années en arrière, quand elle passait toutes ses vacances à travailler ici pour son oncle, espérant gagner un peu d'argent pour payer ses études. Elle connaissait par cœur les moindres recoins de cette bâtisse et les clients les plus fidèles. Son oncle se pencha d'un seul coup en arrière en buvant goulument sa blonde puis la fit claquer sur le comptoir en fixant Adélaïde.
-Alors Puce, quoi de beau ? S'enquit-il auprès de la jeune femme qui s'était mis à astiquer la bouilloire.
-Rien de beau, le train-train quotidien. Tu sais, rien ne change vraiment en cinq mois.
L'homme hocha la tête et but une gorgée.
-T'sais, ta cousine, Hanna, elle a eu un p'tit gas avec Jean, faudra que tu ailles les voir. Son p'tio est très mignon, tu verrais comme son père est content quand il a su que la relève de sa boulangerie était assuré. Et toi, quand est-ce que tu te décides à fonder une famille ?
-Pas maintenant, grogna-t-elle en se détournant, je n'ai ni le temps, ni l'envie, ni les moyens.
-Si t'as des problèmes financiers Puce faut me le dire.
Sur ses mots le vieille foura sa main dans sa poche et lui tendit deux billets froissés. La jeune femme les repoussa gentiment en secouant la tête.
-Merci Onkel, tu es déjà en galère, ne me payes pas.
-Ouais mais je veux quand même que tu te nourrices Puce, t'es maigre comme une brindille, on dirait ta pauv'e mère à ton âge.
-T'inquiètes, j'ai promis à mam' que si un jour, je suis trop en galère, j'reviendrai vivre ici.
Il hocha de nouveau la tête et rangea ses billets. Ce pauvre village était un vieux trou paumé, où peu de touristes venaient passer leurs vacances, les habitants vivaient simplement sans trop de moyens. La mère d'Adélaïde était née ici, entre ces murs de pierres, elle avait réussi à s'enfuir de ce trou à rat grâce à son mari, lorsqu'elle l'avait rencontré durant des vacances qu'il passait ici. Mais tous les habitants n'avaient pas eu cette chance, comme Sam, qui avait reprit le pub de son père lorsqu'il est mort. C'était la loi ici, pour s'enfuir il fallait de l'argent, mais personne n'avait d'argent. Adélaïde plaignait intérieurement le fils d'Hanna et de Jean, qui voyait dès sa naissance son sort scellé à ce patelin. Il serait le futur boulanger et crémier, si par malchance il n'avait pas de frère ou de sœur. On lui coupait ses ailes depuis sa naissance et il ne s'en rendrait surement jamais compte car pour lui tout ceci lui paraîtrait normal. Mais malgré que cet endroit n'ait rien de très charmant, la jeune femme l'aimait plus que tout, elle s'y sentait comprise, aimé.
Ce soir, ils ne fermèrent pas le pub car tout le monde s'y était réuni pour fêter Noël. Tous n'étaient pas que de simples habitants de ce village, ils étaient une famille. Et ce soir-là, entre les rires, les pas de danse et les bons plats, Adélaïde eut l'envie ,elle aussi, de les considérer comme sa famille.
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