Ils étaient allongés comme deux enfants innocents sur son lit, lui regardant le plafond pensivement et elle griffonnant comme à son habitude. Le bruit léger des gouttes d'eau s'écrasant contre la fenêtre et la musique un peu trop forte du voisin d'à côté formait une drôle de symphonie. Comme toujours , Lise avait abandonné ses affaires dans le coin de la pièce et ses jambes menues avaient délaissé leur vieux jean délavé pour plus de confort. Mais Ivan ne semblait pas s'intéresser à ce genre de détail, depuis sa conversation avec Valentine, des millions de questions pullulaient dans son esprit et une, bien plus tenace que les autres, l'accaparait chaque jour : pourquoi ne m'aime-t-elle pas ? Il jeta un coup d'œil à la jeune fille, ses sourcils froncés lui formaient une ride disgracieuse au milieu du front. Il observa ses yeux noirs, sa frange les mangeant à moitié, ses joues rebondies et les commissures de ses lèvres tombant légèrement vers le bas. Elle ne semblait pas vraiment être là, près de lui, elle était dans son monde. Ivan n'osait bouger de peur qu'elle revienne dans le monde réel, il aimait la voir comme ça, il la trouvait plus belle que jamais et ses lèvres légèrement crispées lui rappelaient la petite fille qu'elle était autrefois. Il se revoyait près d'elle lors de leur année de collège là où ils se sont rencontré pour la première fois, dès le premier regard il fut fasciné par la jeune fille, elle semblait si différente des autres, si elle. Il sourit en se remémorant les récréations passées sur un banc à rire et à griffonner, les messages cryptés qu'ils se passaient en cours de maths. Un soupir de mécontentement le sortit de ses rêveries, il se retourna vers la jeune femme et l'interrogea du regard.

-Rien, ne grogna-t-elle. Ça m'énerve je n'arrive pas à bien dessiner son visage.

-Quel visage ?

Il se redressa et regarda le portrait qu'avait dessiné la jeune fille. Il sourcilla à la vue de ce visage fascinant, indéfinissable, différent. La beauté du modèle était étrange, à la limite du masculin et du féminin, ses yeux en amande semblaient pouvoir observer les tréfonds de son âme.

-Qui est-ce ? Demanda-t-il finalement.

-Un garçon que j'ai rencontré dans la rue, il est magnifique, jamais je n'avais vu de pareille beauté. Tu le verrais en vrai, il est encore plus beau que là.

Ivan leva un regard interdit sur la jeune femme, jamais il ne l'avait vu parler de quelqu'un de cette façon et surtout pas d'un homme. Il observa la légère coloration rose qu'avaient prise les joues de Lise et sa gorge se noua alors que ses doigts se crispèrent sur la couette.

-Et tu l'as revu . La questionna-t-il, tendu.

- Malheuresement non. Mais que j'aimerai ! Une personne avec un visage aussi fascinant doit être incroyable.

Soudainement, le jeune homme arracha le carnet des mains de la jeune femme et le jeta à terre, il lui saisit fermement les poignets et lui lança d'une voix brisée.

-Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça Lise ! Pourquoi me torturer autant ?

Les membres de la jeune fille étaient crispés et son regard terrorisé, elle ne savait quoi répondre, jamais il n'avait agi de la sorte. Son mutisme n'eut d'autre résultat que d'énerver davantage le jeune homme, il continua de crier, dans ses yeux se mêlant de la rage et de la tristesse.

-Pourquoi tu ne m'aimes pas ! Pourquoi ? Qu'est-ce que je n'ai pas pour mériter ton amour ? Je ne suis pas assez bien pour toi ?

Il ne savait pas vraiment pourquoi il s'adonnait à un tel élan de colère mais ses émotions explosaient de façon désordonnée et son cerveau ne semblait plus être capable de les retenir. Ses yeux bleus ressemblaient à une mer déchainée en plein orage, ses doigts se ressaieraient fermement sur les poignets de la jeune fille. Sa voix se brisait peu à peu comme son cœur.

-Ivan , calm...

-Non ! L'interrompit rageusement le garçon. Réponds-moi ! Je veux comprendre ! J'en ai assez que tu joues avec moi ! J'en ai assez d'espérer!

Le ton était devenu plus suppliant, la musique calme provenant de l'appartement voisin trancher avec la scène, la faisant ressembler à une querelle provenant d'une mauvaise comédie romantique. Lise tremblait , elle avait peur, Ivan semblait immaitrisable. Voyant qu'elle ne répondrait pas il la repoussa en lui hurlant.

-Pars ! Je ne veux plus jamais te revoir Lise !

Son cœur semblait n'être qu'une boule de chair consumée, déchirée , salie. Des larmes brûlantes s'écoulaient le long de ses joues, des larmes de haine , des larmes de rages , des larmes de désespoir. La jeune femme semblait s'être transformé en statue de sel. Elle avança doucement sa main vers lui en murmurant son prénom comme pour le calmer. Il saisit son épaule et la poussa vers ses affaires en lui hurlant encore de s'en aller. Lise vacilla légèrement et prise de peur face au comportement de plus en plus agressif de son ami. Elle fourra prestement son jean dans son sac , enfila son manteau et ses chaussures sans même les lacer et s'enfuit d'un pas rapide de l'appartement. Quand la porte claqua, le jeune homme se laissa tomber contre un mur enfouissant son visage dans ses mains, les mots de Valentine tournaient comme une comptine dans son esprit. Idiot , idiot , oui il était idiot. Il éclata en sanglots, sa poitrine se soulevant à un rythme irrégulier, ses larmes créant des sillons le long de ses joues. Jamais il n'avait autant détesté le monde, jamais il ne s'était autant détesté, jamais il ne s'était senti aussi pathétique et idiot.