12 :Romain

Tableau :

Feel

Agusil

Immobile depuis plusieurs minutes , Romain était totalement fasciné par la toile devant lui. Habituellement il détestait les visites mensuelles au musée que sa mère organisait pour instruire ses enfants. L'ambiance froide et guindée le mettait mal à l'aise et il ne comprenait pas vraiment les idées et les œuvres des artistes. Mais là , il ne pouvait détacher son regard du portrait aux multiples couleurs. Pas qu'il soit plus travaillé ou que la technique du peintre soit meilleure que les autres. Mais étrangement le garçon se reconnaissait dans ce visage mélancolique que l'on pouvait facilement confondre avec de la sérénité dû aux couleurs criardes qui recouvraient ses traits. Sous un regard distrait l'œuvre aurait pu paraître anodine mais Romain la décortiquait avec fascination. Chaque trait semblait avoir été choisi à la perfection. Le jeune homme n'entendait plus les chuchotis des autres visiteurs, il se sentait plus l'odeur de peinture que dégageaient les tableaux, il ne voyait plus les œillades aguicheuses que les trois pin-up peintes lançaient aux passants. Le garçon était dans un autre monde , la toile reflétait son âme comme un miroir, la mettant à nu aux yeux de tous. Il pensait pouvoir trouver dans cet ensemble de couleur les plus profonds secrets de son être et toutes les réponses qu'il désirait sur sa propre vie.

-Magnifique n'est-ce pas ?

Romain sursauta, la voix d'un homme le sortant brusquement de sa contemplation. Il tourna la tête vers son interlocuteur, assis dans un fauteuil roulant, sa peau noire et ses yeux sombres rendaient son visage austère et intimidant. Il flottait autour de lui une légère odeur d'eau de Cologne et de musquet, un mélange fort étonnant mais si bien dosé que ces exhalaisons étaient enivrantes.

-Agusil est un peintre vraiment talentueux. C'est fort dommage qu'il ne soit pas connu de tous, continua l'homme en fixant Romain de ses prunelles noires.

Son regard était déroutant, sous la froideur de ses œillades se cachaient une certaine malice et l'envie de découvrir tous les secrets de son interlocuteur avec une curiosité presque enfantine. L'homme ne semblait pas se soucier du mutisme du garçon, il continuait de dialoguer avec lui.

-Peu de gens s'attardent devant ce tableau, seuls ceux qui ont perçu le vrai visage de ce portrait l'observent avec insistance.

L'inconnu parlait d'une voix grave et monotone , Romain n'osait lui répondre alors il acquiesçait. Si les dires de l'homme étaient vrais alors justes quelques personnes avaient su voir au-delà des apparences.

-L'art nous ouvre des portes, il nous fait découvrir des sensations et des émotions insoupçonnées. Il ne suffit que d'une toile, que d'une phrase ou d'une note pour voir l'étendue du talent d'un artiste. Une œuvre qui comporte les tourments de son créateur est en même temps la plus belle et la plus hideuse. L'on ne devrait pas trouver la beauté dans la tristesse ou dans la souffrance. Mais l'art n'est-il pas seulement là pour apaiser les mœurs des artistes ?

Romain écoutait ses paroles avec beaucoup d'attention, jamais personne ne lui avait parlé comme ça, avec autant de sérieux. Il avait enfin l'impression qu'on ne le considérait plus comme un enfant. Son discours était des plus intéressants, malgré les nombreuses œuvres qu'il avait vu , jamais aucune ne l'avait touché comme celle-ci, était-ce parce que son créateur l'avait peint en transmettant ses émotions à sa toile ? Romain voulu s'approcher du tableau pour l'observer de plus près, il aurait aimé pouvoir sentir sous ses doigts le grain de la peinture. L'homme quant à lui ne parlait plus, il regardait le garçon avec curiosité, essayant de deviner ses émotions par les traits de son visage. La voix de sa mère fit soudainement éclater la petite bulle dans laquelle ils se trouvaient. L'homme porta son regard sur la femme qui se dirigeait vers eux en scandant insassement le même prénom. Elle saisit le bras de Romain.

-Ah tu es là ! Lui dit-elle. Ca fait un quart d'heure que je te cherche, allez dépêches-toi, ton père et ta sœur nous attendent dehors.

Elle jeta un rapide coup d'œil à l'homme à côté de son fils avant de tourner les talons en l'emportant avec elle.

-Au revoir Monsieur , allez Romain, lança-t-elle en s'éloignant.

-Au revoir Madame, au revoir jeune homme.

-Au revoir monsieur.

Romain vit l'homme esquisser un léger sourire en entendant sa voix, puis il s'éloigna , emporté par sa mère.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top