1: Adélaïde
Sous sa masse de boucles brunes et derrière ses lunettes Nana Mouskouri, le fin visage d'Adélaïde se dessinait. Malgré les motifs et les couleurs extravagantes de ses habits, elle passait souvent inaperçue, seuls les habitués de la bibliothèque la connaissaient.
Ce soir-là, elle se baladait tranquillement entre les rayons, une pile de vieux ouvrages dans les mains. Il n'y avait plus grand monde dans la bibliothèque à cette heure-ci, mais les derniers clients ne semblaient pas pressés de partir. Par chance, la jeune femme n'était jamais impatiente de fermer, si son employeur l'avait autorisé, elle aurait même pu dormir sur son lieu de travail. Elle aimait tant l'ambiance de cette vieille bâtisse avec ses poutres qui craquent et son odeur de vieux papier, le plancher grinçant à chaque pas, le tissu éliminé des fauteuils et les lampes éclairant les murs de leur hideuse lumière jaunâtre. Mais chaque soir, elle devait quitter cet endroit magnifique pour son minuscule appartement en centre-ville. Elle rangea les livres qui lui encombraient les bras et retourna s'asseoir à son bureau, comme d'habitude, la chaise émit un horrible craquement lorsqu'elle s'assit.
Adélaïde est quelqu'un que l'on pourrait qualifier d'atypique, sous ses airs timides et réservés se cachait un caractère bien trempé. Mais surtout elle avait un "don", elle savait parfaitement cerner la personnalité des gens rien qu'en leur parlant ou en les voyants, c'est en partie pour ça qu'elle adorait regarder les clients. Elle posa sa tête sur ses mains et observa le jeune homme perdu devant les romans historiques. C'était un habitué, il traînait souvent tard le soir, mais jamais il n'avait emprunté de livre. La jeune femme en avait déduit qu'il n'aimait pas la lecture, mais qu'il restait là sûrement pour éviter de rentrer trop tôt chez lui. Certains jours, il avait une démarche étrange et il portait tout le temps des vêtements qui lui couvraient presque tout le corps, mais sans ça, il était tout à fait normal même s'il devait être extrêmement timide. Adélaïde ne l'avait jamais entendu, la seule fois où il avait ouvert la bouche, c'était lorsqu'il avait fait tomber le livre d'une vieille dame. Il avait viré au rouge cramoisi et avait bafouillé des excuses, mais malheureusement, elle se trouvait trop loin pour entendre le son de sa voix. Jamais elle n'allait parler aux gens, elle se contentait de les analyser de loin. Elle retira ses lunettes et les essuya sur le bas de son pull avant de redresser la tête vers une vieille dame qui se dirigeait vers elle.
-Bonjour Madame, lança-t-elle en souriant.
Elle scanna machinalement les livres, prit un bout de papier, y marqua les titres et la date de retour puis salua la vieille femme en lui rendant les ouvrages. Malgré son aspect très répétitif, Adélaïde adorait son travail, être en contacte toute la journée avec des livres et des passionnés de lectures était un vrai rêve. Puis elle débordait de joie à chaque fois qu'elle voyait un des clients emprunter un de ses livres coups de cœur. Même si peu de gens lui parlaient, elle avait quand même sociabilisé avec quelques personnes.
La bibliothèque finit par se vider et ce fut l'heure pour Adélaïde de quitter les lieux. Elle rangea la pile d'ouvrages sur le coin de son bureau et éteignit toutes les lumières avant de sortir et de verrouiller la porte jusqu'au lendemain. Dehors, le vent automnal faisait s'envoler les feuilles mortes et secouait ses cheveux en tous sens. Elle resserra les pans de son manteau et enfourcha sa vieille bicyclette. Que ce soit le matin, l'après-midi ou le soir, la ville toujours effervescente grouillait de monde. Les gens, pressés de rentrer chez eux, se bousculaient sans se regarder, se fichant du monde qui les entourait. Adélaïde détestait la ville, elle la répugnait, toutes ces démonstrations d'argent et ces gens qui s'ignorent constamment, qui ne sourient jamais et qui se morfondent sur leurs problèmes. Entre les voitures, la jeune femme porta sa manche à son visage pour préserver ses poumons de ces gaz nocifs. Avec ses cheveux en désordre et son manteau vert d'eau, quelques passants lui jetaient un regard avant de l'oublier aussi rapidement qu'une feuille passant devant leur visage. Elle pédala une bonne demi-heure avant d'arriver devant son immeuble, elle rentra dans son appartement, jeta son manteau et ses clefs sur le meuble d'entrée en faisant valdinguer ses chaussures. La jeune femme se laissa tomber sur son canapé-lit en soupirant, dehors le soleil déclinait déjà, illuminant de ses reflets orangés la minuscule pièce. Adélaïde récupéra le bouquin posé en équilibre sur l'accoudoir et se dirigea dans sa cuisine aussi grande qu'un cabinet de toilette. Étriquée entre le plan de travail et sa table monoplace, elle ouvrit son réfrigérateur en quête de quelque chose à manger. Après avoir fouillé pendant plusieurs minutes, elle ressortit avec une carotte crue, la lava et croqua dedans sans autre forme de procès, elle allait être obligée de faire les courses dans les jours à venir si elle ne voulait pas faire jeûne. Elle se prépara donc un thé pour caler son son estomac affamé et s'installa sur son canapé pour bouquiner. Comme d'habitude, elle s'endormit sans s'en rendre compte, encore habillée, en boule dans un plaid.
Telle était la vie d'Adélaïde.
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