Chapitre 9 : Gwendolyne
Lorsque je franchis enfin la porte de mon appartement, j'ai encore les nerfs en pelote contre cet espèce de pingouin. Excédée, je verse un peu de lait dans deux ramequins pour mes minets, puis ôte mes bottines, que je laisse nonchalamment dans l'entrée. La journée m'a épuisée, je suis agacée et ne parviens pas à penser à autre chose. Non content de faire des remarques déplacées de Monsieur Parfait, il a fallu en plus que je revienne sur mes pas pour le récupérer à l'entrée car il n'avait pas encore son badge. Marc est venu en plein milieu de la formation pour pleurer après un document qu'un fournisseur ne lui avait pas envoyé, et Elena, fidèle à elle-même a tenté une énième menace pour que j'arrête tout et je gère une dizaine de mails soi-disant urgents. J'ai dû me débarrasser du pingouin vers 17h30 pour pallier aux catastrophes, et malgré une journée déjà trop remplie, une centaine de documents et une dizaine de coups de téléphone m'attendaient.
Il est déjà 19h40, je devrais penser à manger, et j'ai de bonnes choses toutes prêtes dans mon réfrigérateur, mais je n'ai pas envie. Je donnerais beaucoup pour avoir un peu de sexe, ce qui me permettrait de penser à autre chose pendant au moins quelques minutes... Le voisin ! Voilà mon plan de secours !
- Câlin de post-étreinte ?
- Avec joie.
Je me place dans ses bras, ma tête posée sur son torse couleur chocolat, inspirant cette odeur légèrement vanillée si caractéristique de son gel douche. Ange est parfait en tout point comme sex friend. A l'écoute des désirs de ses partenaires, doué, propre et discret. Comme moi, il est célibataire et ne compte pas se mettre en couple, trop attaché à sa liberté. Mais, lorsque l'un de nous deux a besoin de l'autre, nous savons être présents et nous éclipser sitôt notre aide apportée. Depuis un peu plus d'un an qu'il s'est installé au premier étage de ma résidence, nous nous voyons régulièrement, nous nous apportons mutuellement un peu de bien et de discussion. Une réelle symbiose s'est mise en place et j'apprécie sa présence autant que ses absences.
Ses grandes mains caressent doucement mon cuir chevelu et je me laisse bercer par ce massage qui me détend.
- Tu as mangé ?
- Non, j'étais trop énervée pour ça...
- Bon, alors tu restes ! J'ai fait un colombo de poulet hier et j'en ai assez pour deux ! Tu vas adorer, comme toujours !
Il se lève et je prends plaisir à regarder ses fesses musclées partir vers sa cuisine, sachant d'avance que la soirée ne s'arrêtera pas à notre dernière bouchée de colombo. A force de nous parler après l'amour, nous avons tous deux appris à nous connaître et comprenons lorsque l'autre a besoin d'un peu plus d'attention. Et ce soir, il a senti, ses mains à peine posées sur moi, que j'étais tendue.
Lorsqu'il revient avec les deux assiettes fumantes, vêtu uniquement de son tablier aux couleurs de la Guadeloupe, je ne peux m'empêcher de lâcher un rire qui ne passe pas inaperçu.
- Tu te moques, jeune dame ! Je saurai tâter du fouet pour te remettre dans le droit chemin !
- Des menaces, toujours des menaces ! J'attends de voir !
- Alors, dépêche-toi de finir ton assiette !
- Oui, maman est rentrée. Eh, ça va, il est à peine 22h30. On va se faire un bon film et aller dormir après.
Tandis que j'insère le Blu-ray, je sens à nouveau mes muscles se contracter au niveau de mes trapèzes. Trop musclés, d'après ma médecin qui, lorsque je m'étais coincée le haut du dos, complètement contracté, avait eu énormément de mal à me masser. « Vous êtes trop tendue, vous devriez faire moins de sport, avoir une meilleure hygiène de vie, manger moins gras, boire moins d'alcool, arrêter de fumer, nianiania ». Je pense qu'elle n'avait pas dû apprécier ma réponse du « On n'a qu'une vie, et je n'ai pas l'intention de m'inscrire au concours de longévité ». Oui, il est vrai que mon hygiène de vie me prive probablement de quelques années. Je ne dors pas assez mais, après tout, entre vivre cinquante ans en dormant 5h par nuit et vivre quatre-vingts en dormant 11h, quel est le pire ? Et surtout, qui est-elle pour venir me dire ce que je devrais ou non faire ? Est-ce que je lui donne des conseils sur son mari qui la trompe avec la moitié de ses patientes ? Ou est-ce que je me permets de lui dire comment élever son gamin qui ne sait toujours pas, à huit ans, que l'on dit « bonjour » quand on entre quelque part ? Non. Alors, de quoi se mêle-t-elle concernant ma vie ? Les gens comme elle ou comme l'autre pingouin me révulsent au plus au point et, malheureusement, plus j'avance dans ma vie, plus j'ai l'impression d'en croiser. Ces personnes qui prennent plaisir à juger sans connaître ou à donner des conseils alors qu'elles n'ont que faire de ceux qu'elles croisent sont nocives et pourtant bien présentes dans notre société. Une forme de paternalisme que j'exècre, probablement dû à la façon dont on aborde les autres concitoyens. Il suffit de regarder quelques minutes de publicité pour comprendre. Entre les enfants qui font la leçon à leurs parents trop stupides, les slogans tels « Manger bouger » ou « avec modération », j'ai parfois l'impression de me retrouver dans un film comme « Le pari ». Et puis, il y a aussi les discours « le tabac est mauvais pour la santé » (oui, certes, et...) ou « si vous avez mal au dos, c'est que vous vous tenez mal », les « si vous avez fait un burn-out, c'est parce que vous n'avez pas su dire non » ou « elle s'est fait violer parce qu'elle n'avait pas à avoir un décolleté en pleine nuit ». Bien plus facile de rejeter la faute sur les autres plutôt que d'assumer le fait que chacun devrait pouvoir vivre librement, du moment qu'il respecte les lois et les libertés de ses voisins.
Je me rends compte que j'ai totalement digressé lorsque la musique du générique de fin, beaucoup plus forte que la totalité du film, retentit dans l'appartement.
- 1h05... Toujours aussi énervée... Bon, les enfants, si vous voulez faire un dernier tour dehors avant demain, c'est maintenant ou jamais.
Ma tisane infusée, j'entrouvre la porte vitrée et sors quelques minutes profiter de la fraîcheur d'Avril et de ma cigarette. J'étais persuadée que l'arrivée d'une nouvelle personne pour m'épauler allait m'aider, je constate à présent que je me suis trompée. En plus de la pression des projets, il va falloir que je parvienne à gérer le pingouin de façon à ce qu'il ne fasse pas n'importe quoi et que je ne sois pas contrainte de tout rattraper derrière lui, tout en supportant sa condescendance. Et, pendant que je rumine sur ce qui m'attend le lendemain, remerciant intérieurement Ange de m'avoir proposée de passer une partie de la soirée chez lui, je me dis que ce pingouin n'a absolument pas dû y penser de tout son merveilleux soir avec sa dame qui doit être parfaite, dans sa petite vie bien rangée.
Hello !!!!!!!!!
Alors, cette première rencontre avec Ange, ça va ? Vous l'aimez bien ? Gwen qui rumine, qu'en pensez-vous ? Et, à votre avis, a-t-elle tort ou raison concernant Raphaël ? Et concernant le fait qu'il ne rumine pas ?
Un chapitre avec le point de vue de Raphaël sur cette journée, d'ailleurs, ça vous plairait ? ;)
Toujours deux chapitres d'avance ! Peut-être un update demain, qui sait ? ;p
Sanguinement-vôtre,
Gothycka
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top