Voilà trois journées de passées. Entre les projets Workflows et RM que nous avons enfin réussi à avancer ce matin, les entretiens avec Asmaa lundi soir et mardi, le déjeuner d'affaires de Raphaël lundi, le mien hier, les quatre projets en feu, nous n'avons pas eu le temps de discuter. Lundi soir a été entièrement consacré à la lettre pour mettre un terme à sa période d'essai, ainsi que la remise à jour de son dossier technique. Mardi, nous avons réussi à prendre un peu de temps pour nous reposer après avoir longuement revu les événements de la journée. Alors ce soir, après un énième jour de folie, nous allons enfin parvenir à parler du mariage qui arrive dans trois dodos, comme disent les enfants. Et moi, je veux des réponses aux questions que je me pose depuis que Vic m'a invitée.

- On peut parler deux minutes, Pingouin ninja ?

En train d'éplucher les courgettes, il relève ses yeux noisette, surpris et apparemment inquiet. J'espère qu'il n'est pas en train d'imaginer que je vais le virer de chez moi.

- Je ne te mets pas à la porte, hein ! Je veux parler de samedi !

Son visage se détend et laisse place à un immense sourire. De très belles dents que beaucoup de femmes n'apprécieraient pas apparaissent. Une incisive qui semble légèrement cassée et une dentition imparfaite qui donne du chien à une gueule originale.

- Parfait ! Qu'est-ce que tu veux aborder précisément ?

- Heu... Tout !

Oui, cela fait beaucoup, mais je ne sais pas quoi répondre d'autre.

- Déjà, en premier lieu... Ils en pensent quoi, les futurs mariés, de ma venue ?

- Tu plaisantes, j'espère ?

- Absolument pas !

Il me dévisage quelques secondes avant d'éclater de rire. On est bien loin du pingouin endimanché et totalement coincé que j'ai rencontré il y a plus d'un mois ! En peu de temps, il semble s'être ouvert à la vie. Même si je le vois souvent angoisser, stresser ou partir dans ses sombres pensées, je le trouve beaucoup mieux qu'il y a encore deux semaines. Et cela me fait plaisir ! Ce type que je ne pouvais pas voir est devenu, malgré toutes mes tentatives pour rester fermée, quelqu'un auquel je tiens. Et, chaque fois que cette certitude me revient à l'esprit, je secoue la tête. Je ne dois pas m'attacher à une personne, point. Et aussitôt, je me renferme.

- Ne stresse pas !

Il place sa main sur la mienne, inquiet du regard froid que je porte. Je ne sais pas pourquoi je fais cela mais je tourne ma propre main pour que nos paumes entrent en contact, la refermant sur la sienne.

- Non, ne t'inquiète pas, Pingouin ninja, je ne stresse pas !

- Tu es compliquée comme nana, Reine rouge ! Tu veux savoir ? Louloue est très impatiente de te rencontrer ! Pour elle, tu es un peu le preux chevalier qui a su vaincre le dragon, tu vois ? Pour son mari et mes parents, c'est pareil ! Alors, ne t'inquiète surtout pas, d'accord ?

Il est adorable et sa famille l'a l'air tout autant. Mais je ne veux pas lui montrer qu'il a réussi à pénétrer dans mon cœur en tant qu'ami. J'aurais largement préféré qu'il pénètre ailleurs, là où cela ne veut rien dire pour moi...

- Je ne veux pas te voir aussi tendue, Gwen... Parle-moi... Je squatte chez toi depuis une semaine, tu m'as aidée avec son ancien couple, tu me loges, tu m'as aidé à quitter ma boite et à entrer dans la tienne. Tu m'as offert un thé au moment où j'avais été un vrai con avec toi. Tu m'as laissé une chance de te prouver que ce n'était pas là le vrai Raphaël mais celui qui se cachait derrière un monde de paraître. Ce n'est pas seul que j'ai fait tout cela. C'est avec toi ! Alors, si je peux t'aider, je veux être là !

Mes yeux se gonflent et une larme manque de couler devant cette déclaration. Je la retiens in-extremis, énervée contre moi-même. Je ne suis pas le genre à chouiner pour rien et n'ai pas envie de rompre avec cette image de femme forte que je me suis forgée durant toutes ces années.

- Pleurer, c'est normal, tu sais...

Et voilà, il m'a vue. Il a vu cette saleté de perle salée qui menaçait de glisser le long de mon visage. Je m'en veux, mais je m'en veux à un point qu'il ne peut pas imaginer.

- Je ne suis pas faible...

- Pleurer n'est pas être faible, Gwen. Ça peut être une preuve de force, au contraire. Qu'est-ce qui te tracasse à ce point ?

Je ne peux pas lui répondre. Je n'y arrive pas. Une boule s'est faite dans ma gorge. Le voir là, s'inquiéter pour moi, savoir que je vais me rendre à un mariage, au milieu d'une famille aimante, me rappelle une nouvelle fois que la mienne me manque énormément. Que, même si j'ai fait mes deuils, la souffrance peut revenir à des moments où on ne l'attend pas. Je repense à la dernière personne à laquelle j'ai accordé ma confiance, Clélia, et à la façon dont elle l'a piétinée. Je revois les traits de Thomas, la dernière âme que j'ai aimée. Mais, plus que tout, ce sont les visages de mes parents qui accaparent mes pensées...

Je n'en peux plus, je n'arrive plus à gérer toute cette pression qui m'a rongée au travail depuis si longtemps, le fait de n'avoir aucun gilet de secours, ce mois qui a juste été émotionnellement catastrophique. J'ai mal, voilà ce que j'ai. Mal d'être seule à me battre, mal de devoir tenir coûte que coûte. Je suis fatiguée, exténuée. Et j'ai la rage de ne pas avoir cette reconnaissance au boulot que je devais avoir, d'être mise dans une sorte de bocal dont on me sort quand on a besoin de moi pour me dénigrer et ensuite m'y remettre. Et ça, Raphaël ne le sait pas. Il ne comprend pas que, lors de son arrivée en mode pingouin, je me suis revue, au début de ma prise de poste, des étoiles plein les yeux, avant de me rendre compte que la plupart me voit uniquement comme une emmerdeuse qui empêche leurs propres projets d'avancer. Il ne connaît pas cette ancienne Gwen qui arrivait beaucoup plus classe au travail et qui faisait bouger les choses. Il ne voit que celle qui s'en fout, qui a lâché prise et qui voudrait reprendre cela en main. Grâce à mon projet. Si tout va bien... Mais rien ne va... 

Bonjour à tous ! 

Finalement, un chapitre enfin fini !!! J'espère que cette facette peu courante de Gwen vous a plu ! Que pensez-vous de son introspection ? Des réactions de Raph face à mon mal-être ? 

A demain si j'ai eu le temps :)

Sanguinement-vôtre, 

Gothycka