Assis à nos bureaux depuis presque une heure, nous écumons tous les deux les mails reçus dans le week-end par nos fournisseurs et clients. La vibration insistante de mon téléphone m'interrompt dans cette routine et je jette un œil, espérant intérieurement que ce ne soit pas Kristen. Mais, au lieu du nom tant redouté se trouve celui de mon N+1 dans ma boite de prestations.

- Je reviens, murmuré-je à Gwen avant de quitter l'open space.

Je décroche et entends la voix quelque peu nasillarde de mon supérieur me demander des nouvelles.

- Nous devons procéder à un premier bilan, cela va faire un mois que tu es arrivé.

- Tout à fait.

- J'ai contacté ta responsable client, elle est disponible ce midi. 12h15 en bas, c'est d'accord ?

Je manque de lui soupirer au nez et me retiens de peu. Nous avions prévu d'avancer sur les projets Workflow et RM avec ma binôme et, une nouvelle fois, cela ne va pas être possible. A croire qu'ils sont victimes d'une quelconque malédiction ! Cependant, je ne peux qu'accepter et raccroche avant de me rasseoir à ma place.

- El dragono ?

J'éclate de rire en entendant la question de Gwen, ce qui a l'avantage de la détendre immédiatement. Puis, je lui explique en quelques mots ma discussion.

- Ce projet, c'est l'Arlésienne de toute façon ! On en viendra jamais à bout ! ironise-t-elle.

Elle n'a pas complétement tort, je dois l'avouer. Chaque fois que nous voulons avancer, quelque chose nous en empêche et ma collègue refuse catégoriquement, et moi également, de le faire le soir, chez elle. Parce que sinon, nous savons l'un comme l'autre que ce ne sera pas une exception. J'ai été recruté au moment où les pics des quatre projets « standards » allaient être atteints. Aujourd'hui, nous devrions être trois pour tout mener à bien. Tant pis pour eux ! Certes, ils font des économies, mais nous faisons ce que nous pouvons avec nos quatre bras et deux cerveaux !

- Hors de question de parler de ce manque de personnel à Jeanne !

- Mais, comment ça ?

- Tu ne voudrais pas que nous perdions un marché quand même ? N'oublie pas que tu viens d'être recruté ! Encore trois mois avant la fin de ta période d'essai !

Sur le coup, la seule chose qui me vient à l'esprit est l'image de ma main claquant sur la joue de mon supérieur. Oser jouer sur ma période d'essai, on ne me l'avait jamais faite, celle-là. Mais il ne perd rien pour attendre, la vengeance est un plat qui se mange froid, et je saurai le déguster.

A ce raisonnement, j'ai le sentiment que Gwen et Vic ont commencé à déteindre sur moi... A moins que ce ne soit le retour de l'ancien Raphaël, celui qui ne voulait pas que quiconque ne lui marche sur les pieds.

- Je pense que Jeanne a dû appeler ma cheffe également. J'ai rendez-vous demain midi avec elles deux...

Gwen n'a pas l'air ravie en marmonnant cela et je pense que de voir un des projets qui fait partie de nos fiches de poste être reporté chaque jour doit y être pour quelque chose.

- Et toi, ça s'est passé comment ?

Elle reprend une taffe et me regarde posément. En revenant de ce « déjeuner d'affaires », je suis directement monté à la zone fumeurs, convaincu que je la trouverais. Et c'était en effet le cas. Beaucoup plus simple pour parler librement sans personne pour écouter les conversations.

- Interdiction de parler du surmenage.

- Quoi ?

Le cri a dû lui échapper mais elle semble à la fois surprise et en colère.

- Ce n'est pas Jeanne qui dit cela mais mon chef.

- Alors tu dois parler de quoi ? Des gentils petits documents parfaits qui se gèrent tout seuls ?

- De rien. Tout est parfait, tout est magnifique. Et si j'ouvrais ma gueule, la menace était sur ma période d'essai !

Elle ne répond pas, se contentant de tirer sur sa cigarette doucement, ce qui m'étonne d'elle. Comme si ses pensées l'absorbaient totalement. Elle relève soudainement la tête pour me demander de but en blanc :

- Tu as une clause de non-concurrence* ou un truc du genre sur ton contrat ?

- Heu... non... réponds-je, me demandant où elle veut en venir.

- En gros, tu peux quitter ta boite pour une autre et potentiellement rester chez le client ? C'est un gré à gré* ton embauche ? Tu gagnes combien ?

- Un gré à gré de six semaines en attendant un vrai truc, j'ai pas tout suivi, oui. Pourquoi ? Et sinon, 30K*.

- Waow, les radins ! Ok, bouge pas, j'appelle quelqu'un !

Elle me laisse en plan quelques minutes avant de revenir, un sourire aux lèvres.

- Ma boss est d'accord pour que je te coopte* à condition qu'elle te valide avant. Ma boite n'est pas la meilleure au monde, mais ils sont réglos et payent bien. En plus, ils sont en accord cadre avec ce client et donc il n'y aura pas besoin de marché pour te recruter ici !

Ce que j'entends me laisse sans voix. Je reste là, comme un imbécile, pesant le pour et le contre de cette proposition. Certes, cela ferait un mois de période d'essai fait pour rien, mais je n'ai que deux semaines de préavis. Ce qui me ferait les fameuses six semaines du gré à gré. Et ensuite, il me serait possible de commencer le nouveau contrat avec la boite de Gwen. Mais le temps est compté si on veut que tout fonctionne sans une journée de carence. Sinon, ma collègue risque de se retrouver sans binôme pendant quelques jours qui seraient un véritable enfer pour elle.

- Tu as le numéro de téléphone de ta cheffe ?

- J'ai mieux que ça ! Elle va passer vers 18h pour te rencontrer, Pingouin ninja !

- Et si ça se passe bien, elle en parle avec Jeanne demain, c'est ça l'idée ?

- Tu comprends vite !

Je souris à cette remarque. Prendre une décision aussi rapidement n'aurait pas pu être envisageable lorsque j'étais avec Kristen. Elle voulait toujours être au courant de tout et donner son avis à chaque fois. Là, j'ai fait ce qui me semblait bon pour moi et je comprends encore mieux le grand amour de Gwen que je commence à connaître à nouveau : la Liberté ! 

Hello !!!

Et un problème en plus, peut-être rapidement réglé, qui sait ? ^^

Tout va bien, vous arrivez à suivre cette partie sur le travail (eh oui, il faut bien y passer aussi ^^) ? Que pensez-vous des introspections de Raph ? Contents qu'il change ? 

Voici le vocabulaire du chapitre (ajouté également dans la partie « Vocabulaire ») :

Clause de non-concurrence : Dans certaines boites de prestations, il est interdit de quitter la boite et de rester chez le même client

Gré à gré : Façon pour un client d'embaucher un prestataire rapidement, sans passer par un appel d'offres officiel, ces embauches sont généralement de courte durée

K : 30K (salaire en brut annuel)

Cooptation : Technique chez les consultants de présenter un profil (en gros, une personne) à sa boite de prestations afin qu'elle puisse être embauchée

A demain :)

Sanguinement-vôtre, 

Gothycka