16. Zéro

19 Décembre.



Aussi bienveillant qu'il est, Harry a passé la semaine à me demander si c'est une bonne idée, si je suis sûr, et j'ai toujours répondu la même réponse affirmative.

Je ne sais pas de quoi demain sera fait, et je ne suis pas sûr de combien de temps l'argent récolté va nous faire tenir, mais je suis bien sûr d'une chose : l'amour que je porte à Harry.

Nous ne sommes pas ensembles depuis longtemps, et je ne sais pas si je vais passer ma vie avec lui malgré mes désirs, mais je suis sûr que je ne vais pas regretter de partir avec lui, loin d'ici.
J'abandonne tout ce que j'ai pu construire après la mort de mes parents, mais peu importe ; tant que je suis avec lui.

Je ne sais pas si je fais le bon choix, et peut-être que dans quelques années je vais regretter d'avoir laissé derrière moi tout ça, mais ce qui m'importe dans l'instant présent, c'est de faire connaître à Harry quelque chose qui lui paraît légendaire.

La liberté.




Minuit dix.

Il est en retard.

Assis sur mon lit, stressé, je bouge ma jambe en soufflant pour me calmer. C'est stupide d'être si nerveux, mais je le suis pourtant totalement.

Du bruit se fait entendre derrière moi, et je vais aussitôt ouvrir la fenêtre à Harry, qui l'enjambe très rapidement.

« Tu es en retard, » je fais remarquer en la refermant.

« Excuse-moi, j'étais occupé. » Je fronce les sourcils, il roule des yeux. « Dépêche-toi. »

« Tu te fous de ma gueule ! » je dis, fort, et je me rends compte que ce n'est pas le moment ; ni de réveiller la maison, ni de me disputer avec Harry.

Il passe sa main sur son visage, avant de faire quelques pas, et de se planter devant moi. Son puissant regard s'ancre dans le mien, et je n'ai jamais vu ses yeux exprimer refléter ces émotions.

« Excuse-moi, » dit-il, doucement. « Je dois savoir, une dernière fois, si tu es sûr. »

« Harry évidemment que je suis - »

« Non, » coupe-t-il calmement. « Je dois être sûr, moi, une dernière fois, que tu l'es. Parce que Louis, tu ne comprends pas mais - une fois loin d'ici, je serais incapable d'y revenir. Alors - » il marque une pause, « - Je ne voudrais pas te perdre par ma simple faute. »

Je l'embrasse aussitôt, passant mes mains sur ses hanches. Il enroule ses bras autour de ma nuque, malgré son épais manteau, et je me recule au bout de quelques secondes, les yeux toujours fermés. Je mords ma lèvre inférieure, marque une pause, et les rouvre finalement, plongeant mon bleu dans le vert d'Harry.

« Descend, j'arrive. »

Il hoche doucement la tête, et rejoins le salon sans un bruit.

J'enfile mon manteau dans une vitesse éclair et déballe les escaliers, prêt à passer la porte, quand je me rends compte avoir oublié quelque chose.

« Attends - » je dis.

« Hm ? » Harry se retourne.

« J'arrive. » Je dis en courant dans ma chambre, essayant tout de même de soigner le volume que j'émet.

« Dépêche-toi ! »

Je rejoins ma pièce, et arrache une feuille d'un de mes carnets pour marquer quelques mots, d'une écriture précipitée.

J'en prends une autre, propre et blanche, puis saisis mon marqueur noir et gribouille quelques lettres, avant de prendre les deux papiers et de rejoindre Harry devant la porte d'entrée.

Je dépose ce que j'ai dans les mains sur la table de la cuisine, puis quitte la maison en bonne compagnie.


Nous n'avons aucun baguage. Juste les billets dans ma poche, un peu d'argent économisé. Ni plus, ni moins.

J'ai dis à Harry de prendre son polaroïd, mais il a refusé, disant qu'il en rachèterait un plus tard, et qu'il immortaliserait nos moments avec séquence.

Il y a Harry,

il y a moi,

et il y a le futur.



« Louis, on a du retard, » dit Harry, toujours en courant, que je suis difficilement à cause de mon manque d'endurance.

« Je sais, » je réponds.

Il saisit ma manche, et tourne subitement vers un champ.

« Je connais un raccourci. »

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Je cours.

Au milieu de ce champ vidé de toute vie à cause de l'hiver approchant, cette nuit du 18 au 19 décembre.

Je suis à bout de souffle. Mes poumons me brûlent presque.

C'est dans ces moments-là que je me dis que, ouais. J'aurais peut-être dû ne jamais accepter de tirer sur cette clope mal roulée que mon meilleur ami de l'époque m'avait tendu, lorsque je venais tout juste d'avoir 16 ans.

Ça m'aurait empêché de devenir accro, et peut-être que j'aurais hérité d'un peu plus de souffle, ce qui m'aurait franchement aidé dans un moment comme celui-là.

Il fait noir, et le ciel est couvert.

J'arrive à apercevoir l'étendue du champ dans lequel je suis, mais à cause de l'obscurité je ne peux pas bien situer s'il reste encore une longue distance à parcourir ou non.

Un raccourci, a-t-il dit.

C'est sensé être un raccourci, selon lui, et c'est également apparemment notre dernière et unique chance.

C'est quelqu'un qui dramatise toujours les situations.

Ce n'est pas notre 'dernière', ni notre 'unique' chance. Nous ne sommes pas en train de nous enfuir comme des voleurs ou des prisonniers, pas littéralement.

C'est juste que, ça serait bien, qu'on parvienne à atteindre la gare d'ici les dix prochaines minutes, avant que le dernier train ne passe, et que, accessoirement, mes tuteurs se réveillent et trouve ce que je leur ai laissé sur la table de la cuisine.

J'attrape sa main. Elle est gelée. Comme son corps tout entier, je présume, ainsi que le mien.

Je lui adresse un regard sans cesser ma course. Son visage n'est pas vraiment visible, mais j'arrive au moins à apercevoir la lumière de ses grands yeux verts.

Si je n'étais pas épuisé à un point que moi-même n'aurait jamais pu imaginer, j'aurais ouvert la bouche et lui aurais dit et répété que tout allait bien se passer, que c'était la dernière ligne droite et qu'on allait y arriver.

Et si on avait eu le temps de s'arrêter un instant, je l'aurais embrassé.

Mais je suis épuisé à un point que moi-même n'aurait jamais pu imaginer, et nous n'avons aucunement le temps de nous arrêter.

Je me contente de lui adresser un regard de plusieurs secondes, ce qui suffit à faire passer mon message.

C'est ce que j'aime, entre lui et moi.

Les yeux suffisent, et parlent souvent à notre place.

Je replace ma vision droit devant moi, et je peux enfin dire que j'aperçois le bout de ce champ interminable, et la forme de ce que semble être une route bordée d'un grand bâtiment.

La gare.

Nos respirations bruyantes et haletantes sont les seuls bruits qui viennent perturber le silence du milieu de la nuit.

Et j'ai bien l'impression que je vais mourir ici, et maintenant, à court d'air.

Si près du but.

Mais je ne m'arrête pas de courir,

et je serre un peu plus sa main dans la mienne.

Si près du but.

On va y arriver.

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Ma main appuyée sur mon coeur qui risque de me lâcher d'une seconde à l'autre, je reprends difficilement ma respiration, assis en face d'Harry, dans ce wagon entièrement vide ; un peu comme l'endroit qu'est Holmes Chapel.

Aucun de nous deux ne parle, même lorsque nous retrouvons un rythme cardiaque potable, mais je remarque l'expression faciale d'Harry qui change lorsque le train se met en marche.

Il plante son regard dans le mien, puis le tourne doucement vers la vitre à sa gauche.

Ses yeux brillent.

« J'ai chaud, » il dit, toujours attiré par le paysage nocturne.

« Enlève ton manteau, » je dis en enlevant le mien. Il secoue la tête.

« Non Louis j'ai - » il marque une courte pause, « J'ai chaud au coeur. Je crois que je suis heureux. »

Ému, j'esquisse un petit sourire et vient m'installer à côté d'Harry, avant de m'allonger sur les sièges et de déposer ma tête sur ses genoux.

Je sens sa main se poser dans mes cheveux, et je ferme les yeux.

« Pourquoi tu étais en retard ? » je demande.

« J'ai laissé une lettre à ma mère. »

« Tu lui as dis quoi ? » je demande, la voix faible par l'épuisement qui se fait de plus en plus grand.

Je lui devine un sourire en coin, et il caresse doucement ma mèche. « Que même si elle m'a détesté à la seconde où elle m'a eu, je l'aime. De tout mon coeur, je l'aime. Et que même si je suis mort né, le voisin m'a apprit à vivre. »

Je dessine un sourire et ouvre les yeux, avant de tourner la tête pour regarder Harry.

Au dessus de moi, il ne regarde plus à travers la vitre ; mais il me fixe, moi, un sourire aux lèvres.

« Je lui ai dis qu'elle n'avait pas à s'inquiéter, même si je ne pense pas qu'elle le fera. Que je suis entre de bonnes mains, et que plus jamais je ne serais seul. »

Je passe ma main derrière sa nuque et amène sa bouche à la mienne.

« Joyeux dix-huitième anniversaire, mon amour, » il murmure contre mes lèvres.

Je souris contre les siennes avant de mettre fin au baiser, et de fermer de nouveau les yeux, épuisé.

« Au fait Lou.. Qu'est-ce que tu as laissé sur la table ? » Sa voix raisonne, lointaine.

Je souris en coin, et m'endors, sur ses genoux, nous sachant désormais,

Libres.

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