L'initiation (fantastique)
Participation au concours "Les petits concours fleuris" de Ema-Lee
Session 1 : Le Fantastique.
Thème 1 : « votre personnage principal retourne vivre à Salem, ville de son enfance (avec sa famille ou non). Qui dit Salem dit mythes sur les sorcières, le PP fera face à diverses situations de "paranormal/magie" et commencera à croire qu'il/elle est fou/folle. »
Le retour à Salem.
« Chère Abigail,
Voici maintenant cinq ans que tu es partie, et quatre que je m'occupe de la propriété de ta mère. Cette dernière a passé les deux dernières années de sa vie à te retrouver, en vain.
Aujourd'hui, je suis le seul à vivre ici. Mais, maintenant que tu es majeure, tu deviens la propriétaire officielle de la résidence familiale.
Il est temps que tu reviennes à Salem et que tu affrontes à la réalité. Tu dois revenir. Je ne peux plus assumer seul cette responsabilité.
Cordialement,
Philipp. »
Je relis encore et encore cette lettre, qui a suffi à faire remonter mes souvenirs d'enfance. Je froisse le papier entre mes mains, laissant mes pensées divaguer. Je ferme les yeux, pour me concentrer sur ma respiration.
Cela fait déjà cinq ans que je suis partie. A l'époque je n'avais que seize ans, mais je n'avais pas d'autre choix. Avec le temps, j'ai oublié les raisons de mon départ précipité mais je sais que je ne devrais jamais y retourner. Mon instinct me crie d'ignorer cette lettre et continuer ma vie paisible.
Philipp... J'ouvre les yeux et défroisse le papier pour lire sa signature. Il a toujours été gentil avec moi, et c'est un de mes seuls souvenirs de cette époque sombre. Je me lève alors précipitamment et me dirige vers ma chambre pour faire ma valise.
Ma décision est prise : je dois en finir une bonne fois pour toute avec mon passé. J'ai besoin de comprendre certains détails. Depuis la nuit de mon vingt-et-unième anniversaire, je fais d'étranges rêves. Chaque matin, je me réveille en sursaut pleine de sueur, malgré les températures hivernales et je ne me souviens pratiquement pas de ces cauchemars qui me hantent. Le seul vestige onirique qu'il me reste c'est la maison de mon enfance, dans la pénombre.
Je fourre trois tenues dans un sac de voyage et sors de mon appartement de la banlieue new-yorkaise. Je monte dans ma voiture et me prépare à un voyage de deux heures trente, approximativement.
Au plus les paysages défilent sous mes yeux, au plus mon esprit se perd dans les souvenirs flous de mon enfance. Je n'avais jamais prêté attention à ma perte de mémoire quant à cette période de ma vie. J'étais plutôt heureuse que mon inconscient décide de caser ces moments dans une partie inaccessible de mon cerveau. C'était le cas, jusqu'à mon anniversaire il y a trois semaines. Depuis, des flashs me reviennent à des moments les plus inattendus.
Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours détesté le beurre de cacahuètes. Mais, la semaine dernière en passant devant un food-truck dont se dégageait une odeur reconnaissable de cette pâte à tartiner, je me suis vue étaler des tonnes de ce produit sur un sandwich. J'avais sept ans. J'ai alors commandé une crêpe associée à cet accompagnement infect. Qu'elle ne fut pas ma surprise quand j'ai finalement adoré mon encas. Les évènements étranges n'ont fait que de se succéder depuis. Je sens que toutes ces circonstances sont en lien avec la ville maudite de mon enfance.
Cent quatre-vingt-dix kilomètres plus tard, je me retrouve face à la résidence familiale. Je sors de la voiture, accoudée à la portière j'observe la demeure. Elle me parait plus petite que ce que je pensais. Je hausse les épaules et claque la porte, ce qui réveille une dizaine d'oiseaux qui s'envolent dans un bruissement commun d'ailes.
Le rêve.
J'attrape mon sac de voyage et le lance sur mon épaule. Je marche sur la longue allée qui sépare ma voiture citadine de la demeure rurale. Je laisse mon présent derrière pour affronter mon passé.
Tandis que je progresse sur les gravillons qui s'entrechoquent à chacun de mes pas, j'aperçois un homme âgé passer la porte principale. Il soutient difficilement son corps avec une canne.
— Philipp...
Je souffle son prénom, en accélérant le pas pour l'empêcher de se fatiguer plus qu'il ne le devrait. J'arrive rapidement à sa hauteur et laisse mon lourd bagage tomber au sol. J'enlace ses mains entre les miennes et dépose un baiser sur le sommet.
— Ma petite Abigail... Je n'étais pas sûr que tu reviendrais.
Sa voix est plus rauque que dans mon souvenir. Je n'y fais pas attention et lui souris timidement.
— Je suis là, c'est ce qui compte.
— Tu as bien grandi.
Je ris à sa remarque.
— Je n'ai plus seize ans...
— Je sais, petite.
Il m'assène une petite tape sur le dos et me devance pour rentrer dans la maison. Je reste quelques secondes sans bouger. Je lève la tête pour détailler la bâtisse dans son ensemble. Philipp l'a bien entretenue toutes ces années. Heureusement, sinon elle serait en ruine.
Je ramasse mon sac par les deux lanières et avance à la suite de mon hôte. Dès mon premier pas à l'entrée, je me sens submergée d'une sensation inconfortable mais familière. Je décide de ne pas faire attention à mes élucubrations et continue mon chemin.
— Tu connais le chemin, ta chambre est toujours au même endroit. J'ai porté un point d'honneur pour la garder intacte.
Cette attention délicate me touche, et avec un sourire je monte le long escalier de bois grinçant jusqu'à ma chambre. J'ouvre la porte, où une légère pellicule de poussière encercle la poignée.
Comme Philipp vient de me le promettre, la vision de ma chambre me surprend. Je ne me souvenais pas de chaque détail, mais elle semble indemne de toutes ces années, contrairement à moi ou à mon logeur.
Mon sac trouve rapidement sa place sur mon bureau, mais je décide de ne pas le vider car je ne compte pas rester ici plus longtemps que prévu. Je fais le tour de la pièce du regard et touche du bout des doigts certains objets, comme s'ils étaient sacrés. Comme s'ils ne m'appartenaient pas.
Je m'assois au bord de mon lit et ouvre le tiroir de la table de chevet. Il semble étrangement petit. Avec un froncement de sourcil, je tape délicatement sur le fond. Instinctivement, je découvre une trappe. J'avais oublié ce détail, mais mes gestes sont automatiques. Sous cette planche de bois se trouve un carnet avec une couverture en cuir noire.
Intriguée, je le sors de sa cachette. Je n'ai jamais eu de carnet ou de journal intime. J'ai toujours trouvé cette idée un peu débile de vouloir écrire ce qu'on venait de vivre. Je passe ma main sur la couverture et des frissons me gagnent le long des épaules et de la colonne vertébrale.
Ce calepin semble ancien. Son propriétaire a dû passer des heures à écrire dedans. Je défais la petite ficelle qui l'entoure et l'ouvre. Une page vierge et un nouveau froncement de sourcil gagne mon visage. Je tourne la feuille suivante, des dizaines d'autres, mais rien. Tout ce carnet est vide.
A force de tenir ce cahier dans mes mains, je me sens fatiguée. Je le repose, sans plus d'intérêt pour cet objet étrange, et quitte ma chambre pour rejoindre Philipp, qui prépare déjà le repas.
Nous passons l'heure suivante à diner autour de conversations polies. Nous parlons surtout de moi, comment je suis devenue phytothérapeute. Je soigne avec des plantes médicinales. Il ne semble pas étonné de mon métier si rare à New York, mais je n'y prête pas attention. Philipp a toujours été la personne qui me connait le mieux. Il est le maître de maison de la demeure des Osborne depuis plusieurs générations déjà. Il s'est occupé de ma grand-mère, de ma mère et finalement de moi jusqu'à mon départ à mes seize ans. Je sais qu'il a été très attristé par mon départ, mais il ne m'en porte pas rigueur aujourd'hui.
— Tu ferais mieux d'aller te coucher, petite.
J'essuie ma bouche et me lève. Je ne le conteste pas, me sentant de plus en plus fatiguée. Je n'ai pas l'habitude de faire autant de route qu'au moindre voyage, mon corps me le fait payer.
Je dépose un tendre baiser sur son front, comme le ferait une petite-fille pour son grand-père. Je vois ses lèvres s'étirer doucement. Il m'a pardonné.
Sans plus de discours, je monte dans ma chambre. J'enfile rapidement le seul pyjama que j'ai pris et me glisse sous la couette. Mon regard se pose une nouvelle fois sur ce carnet, avant de s'enfoncer dans la pénombre.
J'ouvre les yeux, et je suis recroquevillée au sol, en robe blanche. Je frissonne en sentant un courant d'air froid passer au travers de ce fin tissu. Je me redresse et vois un cercle de cinq femmes autour de moi, portant la même tenue d'une blancheur virginale. Je remarque rapidement qu'elles sont positionnées de façon stratégique à chaque pointe d'un pentagramme dessiné au sol. Je suis moi-même au centre de cette figure géométrique, qui n'annonce rien de bon pour mon avenir. Derrière elles, se trouvent des bougies qui éclairent une pièce sombre. Des masques recouvrent la moitié supérieure de chacun des visages, si bien que je ne reconnais pas mes ravisseuses. Comment suis-je arrivée là ? J'étais mon lit d'adolescente.
— Bienvenue à l'initiation de notre nouvelle sœur, Abigail.
Initiation ? Sœur ? C'est quoi ce truc ? J'essaye de parler mais aucun mot ne sort de ma bouche. Je reste donc au sol, impuissante. J'écoute une femme qui se trouve à la pointe Nord de leur pentagramme. Je la regarde attentivement, elle a les yeux fixés devant elle et tient entre ses mains un carnet. Je focalise mon attention sur cet objet, c'est le même cahier qu'il y a dans ma table de chevet. Mes réflexions sont soudain coupées par le son aigu de la voix de cette femme.
— Abigail, jeune non-initiée deviendra apprentie d'ici quelques minutes. Compagne Rebecca, amène la coupe je te prie.
Ladite Rebecca, positionnée à la pointe Sud-Ouest se penche légèrement en avant et se retire du cercle pour prendre la coupe située sur la table derrière elle. J'observe la coupe, qui semble remplie d'un liquide inconnu. La jeune femme revient dans le cercle et garde le récipient près d'elle.
— Compagne Bridget, à ton tour.
Au sommet Sud-Est, la dénommée Bridget reproduit les mêmes gestes. Je commence à paniquer, qu'est-ce que c'est cette mascarade ? Qui sont ces femmes qui me retiennent prisonnières ?
Je mobilise toutes mes forces et me lève d'un coup...
Je me réveille brutalement, en tremblant et suant. J'halète rapidement, posant ma main sur mon cœur qui bat trop vite. Je dois reprendre ma respiration et calmer l'allure de mes battements. Je cherche à tâtons l'interrupteur de ma lampe de chevet. La chambre se trouve illuminée et je suis seule. Pourtant, c'est comme si les cinq personnes de mon rêve étaient encore là. Je me prends la tête entre les mains.
— Je ne suis pas folle... Je ne suis pas folle...
Je répète cette phrase plusieurs fois pour me persuader, mais cela ne marche pas. Je suis en train de sombrer dans la folie. Comme ma mère et ma grand-mère. Je frotte mon visage.
— Ressaisis-toi Abi.
J'ouvre les yeux et le carnet est encore là. Je le prends et l'ouvre comme je l'ai fait quelques heures avant. Vide, toujours vide. D'un élan de rage, je le jette fortement contre le mur en face de moi.
— Je dois partir le plus vite possible d'ici.
Je me recouche, mais les bras de Morphée sont loin et je n'arrive pas à me rendormir. Mes pensées ne cessent d'aller d'un point à un autre. Le carnet... La coupe... Rebecca... Bridget... Ces quatre éléments tournent en boucle dans mon esprit, pendant des heures tandis que je me tourne encore et encore dans mon lit trop petit. Finalement, quand le soleil commence à se lever, je me rendors pour quelques heures.
Lorsque midi sonne, des petits coups se font entendre contre ma porte. Je sursaute et saute du lit. J'enfile une veste large avant que Philipp n'ouvre la porte.
— Tu dors encore ?
— Oui, désolée. J'ai passé une mauvaise nuit, je n'ai pas beaucoup dormi.
— C'est ce que j'ai cru entendre.
— Je m'habille et je te rejoins pour discuter de l'avenir de cette... maison.
J'émets un temps d'hésitation pour désigner ce lieu. Mon ami ne répond pas et commence à refermer la porte, mais cette dernière se retrouve bloquée. Philipp n'insiste pas et nos deux regards se posent en même temps sur l'obstacle qui retient la porte : encore ce foutu carnet. Les sourcils froncés et le front plissé, Philipp se baisse difficilement en se tenant avec sa canne pour ramasser l'objet en question.
— C'est de ma faute, je l'ai... jeté cette nuit.
— Tu... tu l'as encore ?
Je le regarde, avec un air interrogatif.
— Tu connais cet objet ?
— Oui, pas toi ?
— Non, bien sûr. J'ai toujours détesté la papeterie, mais il était caché dans un faux fond dans le tiroir de ma table de chevet.
— C'est tout ?
— Non. Ce carnet était dans mon rêve cette nuit...
Je lui tourne le dos et m'assois sur mon lit.
— Philipp, je suis en train de devenir folle. Comme ma mère et ma grand-mère. Depuis plusieurs semaines, je dors mal et je fais des rêves totalement insensés. C'est la première fois que je m'en souviens, ce matin.
Des larmes s'échappent malgré moi le long de mes joues.
Le vieil homme dépose le carnet sur le bureau et vient s'asseoir à côté de moi.
— Ta mère n'était pas folle, pas plus que ta grand-mère.
Je le regarde, incrédule.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— Je pensais que tu avais tout oublié, mais il est temps que je te raconte. Prépare-toi et rejoins-moi en bas.
Il tapote ma cuisse et se relève, avant de descendre. Je le suis du regard, et reste interdite quelques secondes. Oublier ? Me raconter quoi ? Ma mère n'était pas folle ? Mais... toute mon enfance, elle ne jurait que par ses vieux livres poussiéreux au point d'en délaisser son unique fille. C'est d'ailleurs pour une de ces raisons que je suis partie.
Je passe rapidement un sweat aux couleurs de l'université que je n'ai fréquenté que six mois ainsi qu'un jean délavé et descends rejoindre mon ami.
La révélation.
Je le retrouve assis dans le salon, entouré des vieux livres de ma mère qui avaient auparavant appartenus à ma grand-mère. Je m'assois au sol, face à lui.
— Voyons, Philipp. Qu'est-ce que tu racontes ?
Il pousse un premier livre vers moi.
— Est-ce que ce livre te parle ?
— Vaguement, je sais que ma mère les lisait et relisait toute la journée. Je me suis toujours dit que c'est à cause de ces livres qu'elle est devenue folle et qu'elle m'a délaissée.
— Lis le titre.
Je fronce les sourcils une nouvelle fois, je détache mon regard suspicieux de lui pour le poser sur la couverture défraichie du livre.
— Rite d'initiation... Oui, et bien ? C'est probablement un roman de mauvais genre ?
— Non, pas vraiment, rit-il doucement.
— Je ne suis sûre que ce soit le moment de rire.
— Oui, tu as raison. Explique-moi ce que tu te souviens de ton rêve ?
— J'étais seule au sol, en robe blanche. Autour de moi, il y avait cinq femmes dont je ne voyais pas le visage... Elles portaient chacune une robe blanche comme la mienne, mais elles avaient un masque. Il y avait un... pentacle dessiné au sol. Chaque femme était à chaque extrémité.
Je réunis mes esprits, réfléchissant pour me souvenir de chaque détail.
— Celle qui me semblait diriger la... séance ?
Il approuve mon langage, mais je ne sais d'où me vient cette connaissance de ce que j'ai vu cette nuit.
— Elle a appelé deux femmes... Rebecca et Bridget. C'étaient des « compagnes. » Mais, je ne pouvais pas bouger, ni parler. Elles parlaient de moi comme étant une non-initiée qui allait devenir apprentie. Mais je ne comprends rien à cette folie !
Je rassemble mes genoux devant moi et les enlace de mes bras, comme le ferait un enfant. Cette position me réconforte.
— Et quand j'ai enfin pu bouger, je me suis réveillée et j'étais là. Dans mon lit. Dans le même état que chaque matin depuis des semaines. Suant et tremblant. Et ce carnet de malheur !
Philipp prend le carnet et l'ouvre aléatoirement. Il passe sa main au-dessus de la double-page vierge. Soudain, des symboles apparaissent. Mes paupières s'ouvrent davantage devant ce geste.
— Mais qu'est-ce que...
J'observe attentivement. Ce sont des runes qui apparaissent sur cette double page, et toutes les autres pages.
— Ton rêve n'était pas vraiment un rêve. C'était... un souvenir.
Je détache pour la première fois mon regard du carnet depuis que les symboles sont apparus et me lève d'un coup.
— Un souvenir ?
Je m'énerve. Il me prend vraiment pour une imbécile. Je ne me souviens pas grand-chose de mon enfance, mais si ce genre d'évènement était vraiment arrivé, je m'en souviendrais. C'était tellement traumatisant et hors-norme.
— C'était ton initiation, dirigée par ta mère. Rebecca et Bridget étaient des filles du village un peu plus âgées que toi.
Je regarde à droite puis à gauche, fouillant dans ma mémoire. Rebecca ? Oui, il y avait bien une fille de deux ans mon ainée qui allait à l'école avec moi. Mais, est-ce la même ? Elle était toujours accompagnée d'une drôle de fille maladivement timide. Je n'ai jamais prêté attention à elles, alors qu'elles essayaient souvent de me parler. Je le regarde, totalement perdue.
— Qu'est-ce que ça signifie tout ça ?
Je souligne ma phrase en faisant des grands gestes autour de moi.
— Tu viens d'une famille de puissantes sorcières, Abigail.
— Des... sorcières ?
Je ne peux empêcher un fou-rire sortir de ma bouche. Mais, nous ne sommes même pas croyantes !
— La religion et la sorcellerie sont deux choses différentes.
— Alors, quoi ? Tu vas me dire que toute cette mascarade signifie que je suis une sorcière ?
— Pas vraiment.
— Comment ça ?
— Tu n'as pas fini ton initiation. C'est la raison de ta venue, ici. Tu dois finir ton initiation, au risque de mourir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top