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Volets fermés, plongé dans l'obscurité, un jeune homme se tient la tête dans ses bras tremblants. Il a un pinceau coloré d'une fine touche de peinture blanche dans une main et un carnet de croquis dans l'autre. Dans le noir complet, on ne distingue rien d'autre que la silhouette du garçon et les larmes salées qui coulent paisiblement le long de ses joues.
Il a encore fait ce même rêve, ce rêve où il rencontre ces adolescents qu'il aime tant aux drôles de prénoms et puis cette fille aux yeux si particuliers. Cette fille, qu'il aimerait aimer si elle existait réellement. Mais elle n'existe pas. Ils n'existent pas. Aucun d'eux n'existe. Alors pourquoi passe-t-il ses nuits à rêver d'eux et de leurs rêves ? De toute façon, cette fois-ci, ça ne s'est pas passé comme prévu, le rêve est allé trop loin, beaucoup trop loin. Ils se sont embrassés et ça s'est mal fini.
La vision d'horreur du rêve se réanime dans l'esprit du garçon, lui faisant redoubler de larmes et de frissons. Il a peur, cette petite bande d'amis dont il aimait rêver, maintenant occupe ses cauchemars. Il a peur d'elle. Pourquoi ça s'est terminé ainsi ? Et si tout ça n'était qu'un signe ? Un signe du destin pour le sortir de son utopie ? Pourquoi a-t-il peur de ce qu'il a créé ?
La silhouette se lève peu à peu en lâchant son pinceau et son carnet, essuie du revers de sa main encore tremblante, les larmes qui continuent de plus belle. Le garçon se dirige vers les volets pour les ouvrir, il ne se rappelle même plus de la dernière fois qu'il a fait ce simple geste. Beaucoup trop longtemps. Pourtant, aujourd'hui, il sait qu'il en a besoin.
La lumière du jour envahit la pièce, dévoilant un atelier, l'atelier. Des tableaux s'amoncellent en plusieurs tas, n'ayant plus de place sur aucun mur. Des pots de peinture remplissent les espaces vides entre les toiles, le bureau et les chevalets. Cobalt, pourpre, corail, indigo, or, pomme, il y en a de toutes les couleurs. Sur le plafond, des étoiles en plastique sont collées créant l'Espace et ses constellations. Les étoiles décollées forment maintenant un sol d'étoiles sous ses pieds, comme des étoiles tombées du ciel.
Le jeune homme a des cheveux bruns coupés court et des yeux gris acier. Reconnaissable entre mille, c'est Pluton, même si, à vrai dire, ce n'est qu'un surnom qu'il s'est donné.
Lui, le garçon des brouillards, éloigné de tous, à l'écart de cette société qui l'inspire pourtant. Pluton, la planète abandonnée, la planète qui n'en est même pas une. Ça le représente bien, il trouve. Maintenant, il a des doutes.
Les yeux tournés vers l'autre côté de la fenêtre, il regarde ce monde qu'il oublie parfois, perdu dans son monde à lui, rempli de pensées vagabondes.
Un rayon de soleil l'aveugle et, sans s'en rendre compte, un sourire de toutes les couleurs prend place sur son visage. Soleil. Ça lui rappelle son prénom, son vrai prénom, celui que ses parents lui ont donné. Samson. Soleil en hébreu. Mais, Samson, c'est celui qu'il aimerait être, un garçon-soleil qui efface celui des brouillards, un garçon-soleil qui serait moins dans la Lune. Et s'il le devenait ? Et s'il sortait de son atelier qui sentait le renfermé pour aller dehors, voir quel parfum avait la vie ?
Émerveillé par la beauté sous ses yeux, il n'avait pas pour autant oublié ce qui se passait dans son dos.
Samson regarde l'intérieur de l'atelier, une grimace collée sur son visage. Prudemment, il s'approche de ses tableaux, se rappelant le rêve de la nuit. Des tableaux étranges comme on n'en voit peu ; toujours les mêmes tableaux aux têtes de planètes, mais aux traits pourtant humanoïdes. On peut reconnaître sur les visages ronds des toiles, la peau bleue de Terre, le roux de Mars ou les yeux verts profonds de Vénus, le modèle préféré de Samson. Sur un tableau, elle porte même la robe à fleurs de son rêve.
Tous ces tableaux, c'est la vie de Pluton, la vie d'un artiste triste avec comme seuls compagnons ces amis imaginaires. Même s'il aimera toujours rêver, même s'il aimera toujours peindre, cette vie c'est celle de Pluton, pas celle de Samson.
Et puis, le garçon, dans un élan de détermination, reprend alors le pinceau qu'il avait abandonné pour le tremper dans un pot de peinture rouge écarlate et se dirige vers un tableau représentant Vénus. Les yeux trous-noirs semblent le toiser avec mépris. D'un trait rageur, Samson recouvre cet horrible regard qu'il reproduit ensuite sur les autres toiles de la jeune fille. En un violent coup de pied, il envoie balader les pots de peinture, faisant tomber les couches de couleur sur les œuvres, recouvrant peu à peu les traits des personnages. Un coup de poing dans le mur et les toiles se fracassent sur le sol d'étoiles.
Samson observe le désordre qu'il a créé, fier de lui. Il sait ce qu'il veut maintenant et ce qu'il veut ne se trouve pas dans cet atelier isolé.
L'adrénaline coulant dans ses veines, Samson actionne la poignée de la porte d'entrée, qui s'ouvre sur ce nouveau monde. Il sort, ses pieds nus touchant le béton brûlant.
Aujourd'hui, le brouillard qui sommeillait en lui s'est dissipé jusqu'à ce qu'il fasse même soleil dans son cœur. La main posée inconsciemment sur sa poitrine, comme pour empêcher les rayons de soleil de passer au travers, il est enfin heureux.
Aujourd'hui il va découvrir le monde, aujourd'hui il va réaliser son vrai rêve, aujourd'hui il va v i v r e .
Samson, libère ta lumière. Libère les étoiles.
FIN
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