L'Ombre

La cathédrale de *** avait, depuis sa construction qui datait des temps sombres de l'âge moyen, toujours été un symbole de la Foi, du clergé et de la religion chrétienne dans la ville. Plus menaçante qu'accueillante, elle recevait dans son antre des centaines de prieurs par semaines, tous attirés par cet énorme édifice comme le serait des hétérocères par un lampadaire, par une sombre et froide nuit.
Depuis le haut de ses gargouilles, quelques vingtaines de mètres plus haut, jusqu'à ses statues ornant la façade sombre, qui semblait lever sur le visiteurs un implacable regard hautain, la cathédrale semblait tenter de repousser les personnes qui osaient s'en approcher.
Si l'on pénétrait dans le domaine sacré, les bruits de la ville s'estompaient comme étouffés par les murs de pierres noires, et on entrait dans une atmosphère enténébrée, rehaussé par les vitraux ne laissant pas passer la lumière du jour. Les bougies, allumées cà et là pour permettre aux visiteurs de déambuler, et de distinguer leur chemin, accroissait cette impression d'intimidation, en faisant paraître sur les visages anguleux des saints une ombre spectrale.
La nef était, comme toutes les églises, garnie de bancs en bois, inconfortables et austères. Le transept gauche abritait un tombeau, d'un illustre personnage tombé depuis dans l'oubli. Le cercueil de marbre était comme suspendu au-dessus des têtes, et semblait prêt à s'ouvrir pour sauter prendre à la gorge celui qui fixerait trop longtemps ses yeux sur lui.

Ce fut dans cette atmosphère que se fit la rencontre d'un jeune prêtre, et de son supérieur, sous l'oeil aiguisé des saints. Dans un coin particulièrement sombre, chuchotant pour ne pas déranger le peuple priant, ils s'entretenaient en baissant humblement la tête.

" Un carnet a été découvert dans l'habitat de la victime. Enfin, découvert par moi, chuchota le premier, une once de peur déteignant sur son chuchotement.

- Comment cela, la victime ? s'exclama presque son interlocuteur.

- La jeune femme morte, hier, dans le transept, ne semble pas morte d'une simple attaque comme présumé.

- Je comprend votre désir de compréhension, mais il pourrait mener à la perte de notre Cathédrale, faites attention à vos paroles !

- Je crains que ce ne soit pas mes paroles qui puissent lui porter préjudices, mais plutôt celle de la femme elle-même, murmura le jeune homme.

-Comment cela ? Qu voulez-vous dire ? s'emporta l'ecclésiastique en se saisissent du carnet qu'on lui tenait.

-Lisez-le par vous même et vous comprendrez. "

Il ouvrit donc le petit livre aux feuilles écornées à la première page, et commença sa lecture, plus énervé par le comportement de son subordonné qu'intrigué.

" 16 septembre

Ce carnet, je l'espère, me parviendra à garder mes idées claires si je commence à devenir folle, si cette affreuse histoire emporte ma pleine conscience. Peut-être quelqu'un parviendra aussi à expliquer cette aventure mieux que moi, si je ne le puis plus.

Par un beau jour de juillet, je décidai d'aller prier, histoire d'alléger ma conscience. Depuis la mort de mon mari, mes visites à la cathédrales s'étaient considérablement estompées, pour presque devenir inexistantes et je voulais rompre cette mauvaise habitude. Un début à tout, m'étais-je dit avec une once de résignation. Je ne voulais pas abandonner ma Foi, et me sentais donc dans l'obligation de prier dans un lieu saint, plutôt que dans mon simple logis.

J'entrai donc, durant cette belle journée, dans la cathédrale, où je fis aussitôt accueillir par l'austérité du lieu. Je m'assis sur un banc, oubliant mes problèmes, pour me mettre à prier.

Avant de continuer, je tiens à préciser que ma Foi n'altère pas, et n'altèrera jamais mon esprit rationnel. Les événements de cette Terre sont, à mon humble avis, régis par une force, autre que celle de hommes mais ce n'est pas pour autant que l'idée d'inexplicables événements soit due à une quelconque sorte de magie. Je crois, mais n'en perd pas ma lucidité.

Lorsque j'eus fini, je relevai la tête et une douleur lancinante me pénétra le coeur. J'en eus le souffle coupé et présumai une attaque. Je restai immobile, priant pour que cette affreuse souffrance s'en aille. Je dus bien attendre quelques minutes avant qu'elle ne s'arrêtât brusquement. Je pus alors respirer.

Je ne saurais décrire précisément le mal qui m'habita durant ces longues minutes mais j'eus l'impression qu'on me poignarda le coeur depuis l'intérieur, qu'on le déchira, tandis qu'on entravait ma respiration en me serrant le cou.

Je n'oubliai pas cet incident, mais il me parut devenir une simple anecdote, et je ne vis pas pourquoi j'en ferais toute une histoire.

J'avais entre temps été voir un médecin, pour un méchant rhume, mais il m'avait certifié que mon coeur se portait à merveilles, et que je ne succomberais pas du même mal qui m'avait pris mon mari.

Deux semaines plus tard, je décidai de retourner me confesser au Seigneur dans Sa maison. J'eus un sourire moqueur en y entrant, raillant ma couardise de la dernière fois. Je m'assis au même banc, pour réciter les mêmes prières lorsque la même douleur me reprit, plus forte encore. Je ne pus penser, ni parler. Je voulais crier pour que cela s'arrêtât mais aucun son ne voulait sortir de mes lèvres, comme scellées par je-ne-sais-quelle malice. Quand tout s'arrêta, il me sembla que ma force se soit évaporée, comme aspirée.

J'eus la certitude que si ce mal avait perduré quelques instants encore, je ne serais plus à l'heure qu'il est.

17 Octobre

Suis-je vraiment folle ? Où les autres le sont-ils ? Je ne sais pas, je ne sais pas, tout est flou.

Cette histoire me ronge, ronge mes convictions, ronge ma conscience.

Avant les évènements de ce matin, j'aurais pu encore attribuer mes douleurs à des raisons médicales, et ces apparitions dont seul mon œil a été témoin à des illusions que seul mon cerveau aurait imaginé.

Aujourd'hui, mue par ma curiosité, je retournai à l'Eglise, peut-être aussi par provocation à ce mal. Je voulais confirmer que ce que je ressentais en y allant était bien réel, et pas une chimère imaginée par mon corps. Aussitôt assise, j'eus la preuve que mes maux étaient certains. Plus forte encore que les dernières fois, la douleur attaqua tout mon système nerveux. Je sentis un vent de panique envahir mon être mais je ne pouvais en avertir qui que ce soit, ma voix étant emprisonnée dans ma gorge par la même force qui m'empêchait de respirer. Soudain, je sentis qu'on me secoua violemment, puis qu'on frappa dans mon dos avec force, comme pour me faire dégurgiter le démon qui s'était emparé de mes sens.

Cette démarche sembla porter ses fruits, car les tortures que j'endurais disparurent immédiatement, comme chassée par le plat de cette main salvatrice.
J'eus la force d'ouvrir les yeux, pour apercevoir en face de moi une jeune personne, de mon âge, qui me souriait avec inquiétude. Ses cheveux bruns masquaient son front, et tombaient sur ses yeux vulgairement. Elle demanda :
" Vous allez bien ? "
Je toussai un peu et répondis fébrilement :
" Oui, je crois. Merci. "
Son sourire s'élargit.
" Je suis soulagée d'avoir pu le faire partir.
- "Il" ? m'estomaquai-je avec le peu de voix qu'il me restait.
- Oui, "il". Ne le voyez-vous donc pas ?"

Elle sembla étonnée lorsque je secouai la tête.
" Étonnant. Enfin bref, maintenant qu'il vous a quitté..."
Je ne comprenais pas, mais je ne savais pas si c'était les brumes qui avait envahi mon cerveau à la suite de mes souffrances. Je me risquai tout de même à poser la question qui brûlait le bout de ma langue.
" Vous parlez de ce "il". Mais qui est-il ?
- Regardez dans le transept gauche, dans l'ombre de la colonne. Ne voyez-vous donc pas une silhouette noire, flottante ? me fit-elle en désignant l'endroit de son bras droit.
- Non, je ne vois rien.
- C'est étrange. Je ne sais ce qu'il est, mais il ne vous veut pas du bien. Il semblait vous habiter, et c'est la première fois qu'il a un tel comportement."

J'en avais assez entendu. Je me levai immédiatement, la remerciai et la quittai en prétextant un rendez-vous. Je ne savais plus que penser, un tourbillon de doutes tournoyaient dans mon esprit. Le monde tel que je le connaissait me paraissait flou, faux. Il me semblait que j'avais soulevé un pan de voile, et découvert une vérité que je peinais à comprendre, une vérité irréel. Je ne pouvais plus raisonner, et je ne le puis toujours pas.
Suis-je folle ? Si tel en est bien le cas, il me semble que nous sommes au moins deux. A moins que cette dame m'ait fait croire cette histoire. Mais dans quel but ?  Ce serait une bien puérile occupation, et puis elle n'en tirerait absolument rien.

Je me consume de questions.
Qu'elle est cette Ombre ?"

Le journal s'arrêtait là. Cette phrase, n'achevant pas le récit,  lui donnait une tournure dramatique et angoissante. Il semblait que l'auteur ait voulu découvrir le mystère, au péril de sa vie.
Le prêtre pausa le petit livret à ses côtés et se mit à rire doucement. Que cette histoire était stupide. Il y avait pas de quoi s'alerter. La pauvre avait sûrement des symptômes cardiaques et son esprit les avait transposés en illusions. Même si cette lecture lui avait fait froid dans le dos, il ne comptait pas s'en soucier plus. Quel intérêt y avait-il à suivre les angoisses d'une morte ?

Il alla retrouver son subordonné et lui lui demanda avec autorité :
" Personne d'autre que vous n'a lu cette chose ?
- Non, personne, lui garantit le jeune, son visage blafard peint d'effarement.
- Vous allez me jeter ce journal au feu, et ne vous avisez pas de me déranger à nouveau avec de telles foutaises ! ordonna-t-il.
- Oui, mon Père", blémit le jeune garçon avant de disparaître pour accomplir sa tâche.

Alors, le prêtre secoua sa tête, et s'apprêta à retourner à son travail. Il s'arrêta un instant devant le tombeau, et leva ses yeux pâles. Une douleur affreuse lui saisit les entrailles. Il tomba raide mort.

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