Chapitre 4

"I don't know where the lights are taking us"

Dangerous de David Guetta

THOMAS

Lundi soir, Jack sonne chez moi.

— Regarde ce que je te ramène, me dit-il en levant une grosse mallette.

— Rentre vite.

Surpris, il obéit tandis que je vérifie qu'aucun voisin ne nous a vus.

— Détends-toi. Personne ne m'a suivi et personne ne peut savoir ce qu'elle contient.

Il a raison. Je commence déjà à être parano, non, prudent. C'est le seul moyen de rester en vie. Nous nous asseyons sur le canapé et il ouvre la boîte de Pandore. Mes yeux brillent lorsque j'aperçois des Spectre M4. Jack sourit et je ravale ma joie.

— À ce que je vois, tu connais le modèle, tant mieux, me dit-il en partant, je vais te laisser t'amuser avec alors.

— Attends. Ta blessure, je peux regarder.

Il soupire, mais revient s'installer à côté de moi. Il soulève son tee-shirt. Délicatement, j'inspecte la plaie sous son regard. Je n'aime pas l'alchimie que je ressens. Lui non plus d'ailleurs, puisque l'instant d'après il est debout.

— Tout est ok, dis-je, à plus.

Le lendemain, je me mets au travail avec pour fond sonore un film d'action. Les pièces détachées sont étalées sur la table basse, je vérifie si elles sont abîmées et les nettoient. Au vu du nombre, j'en ai encore pour deux bonnes heures. Tandis que je lime le canon, on sonne à la porte.

— Raven, qu'est-ce que tu viens faire ici ?

— Je t'ai appelé, mais tu ne décrochais pas. Et puis on est lundi, qui dis lundi dit fiesta chelous de mes parents et vu que tu travailles plus au bar me voilà. Comme d'habitude, je t'ai pris à manger.

Je jure. Le lundi soir a toujours été notre moment. La semaine, on travaille tellement qu'on ne prend pas le temps de se voir en dehors des cours. Et pour la première fois, j'ai oublié.

— Je suis désolé, ça m'était complètement sorti de la tête. Installe-toi.

Il s'assoit avec nonchalance sur le canapé.

— À ce que je vois, t'es en train de bosser. Tu veux un coup de main ?

Je lui souris et lui tends une arme. Tandis qu'il l'examine, j'en profite pour décapsuler une bière et croque dans mon hamburger.

— Si on en fait une chacun, ça te va ? me demande-t-il.

Je hoche la tête et lui fais de la place sur la table basse. Sans attendre, il commence le démantèlement. Nous n'avons plus fait ça depuis le collège. Après les devoirs, mon père nous apprenait à démonter et à nettoyer les armes. Ses yeux pétillaient quand il nous expliquait leur fonctionnement. Pour lui, l'armurerie, c'était toute sa vie, mais pour moi, c'était un moment entre père et fils, non le projet de ma vie.

— Thomas, à quoi tu penses ?

— Quoi ? À rien.

— Tu ne sais pas si t'as pris la bonne décision, c'est ça ?

Je secoue la tête, même si cette idée me trotte dans la tête. Parfois, je me demande si j'ai accepté pour l'argent ou pour revoir Jack. Et si c'est la deuxième option, alors je suis un crétin.

— Non, à mes parents pour changer.

Il me tape gentiment l'épaule.

— Ils n'ont pas été tendres avec toi, mais t'as eu la chance d'avoir des parents qui s'occupaient de toi. Et pas l'inverse. C'est horrible ce que je vais dire, mais j'aurais aimé avoir les mêmes.

Je lui souris tristement. Raven aime ses parents plus que tout. Mais ce sont des hippies qui n'ont aucun sens des responsabilités. Ils vivent dans leur monde de naïveté. Mon meilleur ami a toujours été comme moi, un indépendant. Même s'il vit encore sous leur toit pour veiller sur eux.

— Sinon comment est ce Jack ? me demande-t-il.

Je me mets à rire, parmi tous les sujets, il n'aurait pas pu trouver pire. Mais au moins, ça nous change les idées. Dans la bonne humeur, nous nous remettons au travail.

Dimanche, Jack vient récupérer les Spectral M4. Je lui explique ce que j'ai fait tandis qu'il vérifie impressionné par mon travail.

— Bon boulot. Je savais que tu avais du talent.

Malgré moi, je souris.

— Faut que je t'enlève tes points avant que tu partes.

Sans un mot, il se cale contre ma table et enlève son tee-shirt. Une douce chaleur s'installe en moi. Contrôle-toi bordel, c'est qu'un torse.

— Attends-moi, je vais chercher ma trousse de secours.

Quelques secondes plus tard, je reviens. Quand ma main touche son épaule, une décharge électrique me parcourt. Son regard pèse de nouveau sur moi. Il l'a senti aussi.

— Pourquoi habites-tu tout seul ? me demande-t-il pour éviter le malaise.

— Mes parents et moi on ne se parle plus. Ils ont toujours voulu que je reprenne la boutique familiale. Mais moi, je voulais être chirurgien. On s'est disputés et je me suis réfugié chez mon grand-père. Il était le seul qui me comprenait. À sa mort, j'ai hérité de sa Jeep et de quoi me payer un appart. Je lui en serai infiniment reconnaissant. Et toi, tes parents ?

Il grimace de douleur, je m'excuse. Mais ses yeux bleus se sont voilés de tristesse.

— Ils sont morts quand j'avais treize ans. J'étais dans la voiture quand c'est arrivé. Ça n'a pas été facile, et ça m'a emmené là où j'en suis.

Ne sachant quoi dire, je lui tapote gentiment l'épaule gauche. Ses confidences nous perturbent. On est tous les deux méfiants, aucun de nous ne raconterait ça à un inconnu. Pourtant, c'est le cas et étrangement ça fait du bien. Je n'aime pas la manière dont on se regarde. Le désir et l'incompréhension flottent dans l'air. Rapidement, je m'écarte après avoir posé un pansement propre.

— Voilà, tout est bon, tu peux y aller, lui dis-je, on se voit demain.

Il me regarde interloquer et obéit. La mallette en main, il sort de chez moi. Une fois fermé, je n'arrive plus à cacher le désir qui vient de me provoquer. Un flot d'insultes m'échappe. Mais qu'est-ce qui m'arrive ?

Nouvelle semaine nouvelle fournée. Tout se passe bien. Jusqu'à samedi. Jack m'a envoyé un mystérieux message : « Tu es libre ? » Automatiquement, j'ai répondu « oui » sans me poser plus de questions. Et puis dans l'après-midi, on sonne.

— Jack, qu'est-ce que tu fais ici ?

Il rentre et ferme la porte.

— Il faut que tu apprennes à tirer.

Je le regarde avec des grands yeux. Qu'est-ce que je dois comprendre ? Que je suis en danger ? Qu'il s'inquiète pour moi ?

— Pourquoi ? Y a des choses que je dois savoir.

— Non, je veux juste que tu saches te protéger. On fait un métier dangereux. Ryan aussi est passé par là et, crois-moi, j'espère qu'il n'aura jamais à s'en servir. Est-ce que tu veux bien ?

Dit comme ça, il n'a pas tort. Mieux vaut prévenir que guérir. Je hoche la tête et nous montons en voiture.

— Pourquoi tu aimes les armes ? je demande par curiosité sur le trajet.

Il soupire tristement. J'aurais dû me taire. J'allais lui dire de ne pas répondre, trop tard.

— Je déteste ça, mais je n'ai pas eu le choix. Si mes poings ne suffisent plus alors cette arme est mon dernier recours. Tu sais, les vendre ne me fait pas plaisir non plus, malheureusement, c'est... c'est tout ce que j'ai trouvé. Et toi ?

Avec lui, mes préjugés sur les mauvais garçons sont en train de disparaître. Moi qui pensais avoir l'esprit ouvert. Pour être honnête, ça me fait mal de l'entendre dire ça. J'aimerais trouver une solution pour qu'il ne sente plus jamais en danger.

— Rappelle-toi, je lui réponds, j'ai grandi dans une armurerie. Les armes étaient le seul sujet de conversation que j'avais avec mon père. Alors, je m'y suis intéressé. Et elles me fascinent autant qu'elle m'effraye, c'est étrange.

Le regard fixé sur le volant, Jack sourit.

— C'est vrai que c'est étrange, dit-il avec humour.

— Oh ferme là.

Mon poing s'écrase sur son épaule, il exagère un aïe. Nous nous mettons à rire. Bizarrement, le voir heureux fait battre mon cœur plus fort.

Garé devant le centre de tir de Posen, je sens le stress monter. Je ne suis plus sûr que ce soit une bonne idée. Mais Jack y tient. Si me savoir en sécurité le rassure alors allons-y. Une fois à l'intérieur, l'ambiance n'est pas aussi austère et glauque que je l'avais imaginé. Au contraire, les habituées discutent entre eux, les membres du personnel conseillent les nouveaux clients, mais surtout, tout le monde connaît Jack.

— Alors tu nous amènes un petit nouveau, le charries le patron.

— Ouais et dans deux heures, je parie qu'il pourra te botter les fesses.

Les deux se mettent à rire comme de vieux amis.

— Je t'ai tout préparé, t'as plus qu'à t'installer dans le box deux.

— Merci, t'es le meilleur.

Lunettes de protection et casques autour du cou, j'écoute les consignes de Jack. Il me parle du recul, du positionnement de mes mains et de mon corps, de la gestion de ma respiration ainsi que de la visée. J'ai beau avoir eu des centaines d'armes entre les mains, je ne connais rien de tout ça.

— T'es prêt ? me demande-t-il

— Je crois.

Il met son casque, je fais de même. Mon cœur tambourine. Je prends de grandes inspirations. Tu ne vas tuer personne. C'est une cible, rien d'autre. Je pointe le Beretta vers le bout de papier. Un sentiment de puissance m'envahit et je déteste ça. Est-ce pour ça que les gens tiennent tant au 2e amendement ? Mon doigt glisse vers la gâchette. Jack ne dit rien pour ne pas me déconcentrer et je lui en suis reconnaissant. Une fois que je me sens prêt, je tire. Le recul me surprend. Mon pouls s'affole. Mes mains tremblent. Mon épaule me fait un mal de chien. La cible, elle, n'a aucune égratignure.

— Alors, comment tu te sens ? me demande Jack.

— Bizarre. Je... Je crois que c'est le truc le plus violent que j'ai jamais fait.

Il sourit et me répond :

— J'ai eu le même sentiment. Mais après des heures d'entraînement, ça devient naturel et c'est ce qui fait peur.

— T'as les mots pour me rassurer dis donc.

Il prend une mine désolée, puis nous reprenons l'entraînement. Pendant l'heure qui suit les balles évite soigneusement la cible. Ça devrait me rendre dingue moi qui ne supporte pas l'échec. Et pourtant. Mais je comprends ce qui ne va pas quand je transperce l'abdomen. Un vent de panique s'empare de moi. Si je sais viser, alors je sais tuer. Je peux tuer. La crise d'asthme me prend à la gorge. Je devrais savoir depuis le temps qu'un stress intense peut m'achever. Un coup d'inhalateur et c'est reparti. Mais lorsque je tourne mon regard vers Jack, l'inquiétude le consume.

— Je suis désolé, c'était une mauvaise idée. Je... Je voulais pas te mettre dans cet état.

— Je vais bien, même si j'ai des centaines de questions en tête. Jack, soit franc avec moi, tu penses que je suis en danger ?

— On est tous en danger.

Je hoche la tête. Si cette arme ne sert pas à ma protection alors elle servira à la sienne. C'est le but d'un coéquipier.

JACK

Thomas et moi, nous nous fréquentons plus que convenu et c'est ma faute. Mes cauchemars et mon devoir de le protéger m'ont entraîné dans un cercle vicieux. Plus on traîne ensemble, plus je m'attache, plus je m'inquiète. Être ami avec lui ne me gêne pas, mais les circonstances ne s'y prêtent pas. Derek m'a dans son viseur et je ne peux pas me permettre d'avoir une faiblesse de plus.

Pourtant, je ne peux m'empêcher de le suivre quand il rentre des cours. Une fois enfermé chez lui, je respire de nouveau. Putain de cauchemars. Je n'en serais pas là si mon imagination ne le visualiser pas toutes les nuits en train de se faire tuer. S'il n'y avait que ça, quelques fois après les ventes, je l'invite à boire un coup. Mon excuse : faire un débriefing de la soirée. La réalité : m'assurer qu'il va bien. Ça devient n'importe quoi. Je vis carrément une double vie, une avec Ryan où je suis le mec cool, rassurant avec qui on s'amuse, et l'autre avec Thomas où je suis le mec paumé, apeuré et qui ne sait pas ce qu'il fait. Jongler entre les deux et en train de me rendre dingue. Mais j'ai fait des choix, il faut les assumer. Tout ce que je peux faire à présent, c'est limiter les dégâts. Je dois laisser plus de liberté à Thomas et je dois être plus franc avec Ryan. Ça sera déjà un bon début.

« Je ne sais pas où les lumières nous entrainent.»

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