Chapitre 1
"When we first met
I never thought that I would fall"
— I'll never love again deLady Gaga(1)
JACK
Une balle, une balle vient de se loger dans mon épaule gauche et putain ça fait mal. J'oublie souvent que dans cette ville les problèmes ne se règlent pas avec des mots. Ici, ce sont les armes qui font la loi et je l'ai appris à mes dépens. Soit tu y échappes, soit, comme moi, tu te fais tirer dessus. La chance, si on peut dire ça, était de mon côté. Tout ce qu'il voulait c'était me rappeler à l'ordre.
Ce n'est pas la première fois que je me retrouve dans ce genre d'embrouille, d'habitude, j'arrive à gérer la situation sans être blessé. Mon arme est une dissuasion à elle toute seule. Au besoin, je tire. Mais cette entrevue n'était pas censée prendre cette tournure, et jamais je n'aurais osé lui mettre mon Beretta sous le nez.
Après lui avoir échappé, je me dirige vers le bâtiment le plus proche qui n'est autre que mon ancien lycée. Je n'y ai pas mis les pieds depuis qu'on m'a renvoyé en seconde. J'avais une fâcheuse tendance à sécher les cours et à enfreindre le règlement. Les choses illégales me passionnaient beaucoup plus. Je passais mon temps dans les rues aux côtés de gens peu fréquentables, mais qui ont dû pouvoir dans cette ville. C'était le seul moyen de survivre pour les garçons comme moi, la seule porte de sortie.
Comme tous les lieux autour de Blue Line, aucun de Ghost ou Tyrant n'a le droit de revendiquer le lycée. Chacun peut occuper le territoire à condition de ne pas se marcher dessus et d'être transparent sur ce qu'ils y font. Cet accord, de ce que j'en sais, tient toujours. En tout cas, Ghost le respecte, c'est certain. Il a un code moral qu'il suit à la lettre et ne fait aucune exception malheureusement. Mais aujourd'hui, c'est un avantage parce que personne ne viendra me chercher ici.
Je déboule alors dans le parking tel un mort-vivant, avec mes cheveux châtain blond ébouriffé qui tombent sur mon front et ma barbe qui ruissellent de sueur. Mon appartement est trop loin pour que j'y aille à pied sans risquer de m'effondrer sur le trottoir, il me faut un moyen pour rentrer chez moi. Merde, la Chevrolet cabossée de Ryan est toujours là. Il ne va pas tarder à terminer les cours. S'il me voit dans cet état, il me posera trop de questions, et je ne veux pas lui mentir si ce n'est pas nécessaire.
Avec appréhension, je guette l'entrée du bâtiment et cherche désespérément une voiture ouverte. Je pourrais les voler sans problèmes, mais je n'ai pas le matos qu'il faut et le temps manque. Je perds trop de sang, ma tête tourne et bientôt je serai inconscient sur le bitume. Les premières résistent, je jure, si quelqu'un me voit, je suis bon pour aller en prison. Bingo, la portière avant d'une vieille Jeep noire s'ouvre. Je me glisse sur le siège. Merde, je vois tout flou. Je tape contre le tableau de bord. Il me faut de l'aide. Avec difficulté, je m'assois sur la banquette arrière. Le propriétaire de cette magnifique caisse devrait se bouger les fesses. Je pisse le sang. Mes yeux se ferment. Mon corps va lâcher. Tu t'es mis dans une sacrée merde, Jack. Dans un dernier effort pour rester conscient, j'appuie sur ma blessure. Tout mon être se crispe de douleur et je me mords la lèvre pour ne pas crier. Mon idée stupide ne me fait gagner que quelques minutes...
THOMAS
— T'as parlé à tes parents de tes problèmes d'argent ? me demande Raven quand nous sortons du lycée.
— Je ne leur parle plus, pourquoi je leur demanderais du fric ? De toute façon, je me débrouille très bien tout seul et tu devrais le savoir.
— Ça pourrait te soulager. Un boulot au lieu de deux ça vaut le coup. Et puis tu les rembourses une fois à l'université. Ne me regarde pas comme ça, tu sais que j'ai raison. Bon, j'y vais. Sois prudent sur la route et ne t'attire pas d'ennuis au bar.
Je grogne tandis qu'il s'éloigne. Si seulement tout pouvait être facile. Je sais que je suis épuisé, je n'ai pas besoin qu'il me le rappelle. Je donnerais tout pour rentrer chez moi et me détendre devant un bon film. Mais je ne peux pas. Je n'ai qu'une heure avant de commencer le travail. Juste le temps de prendre un café. Mes sacrifices finiront par payer, je le sais.
Depuis plus d'un an, je me gère tout seul sous le regard inquiet de mon meilleur ami. Il pense que je frôle le burn-out. Je ne suis pas d'accord. Mes nuits sont correctes pour un asthmatique, quatre à cinq heures c'est pas si mal. Je ne suis jamais en retard en cours et enchaîne les bonnes notes. Pour ce qui est de ma vie sociale, elle me convient. Raven est mon seul ami et les plans culs sont mon réconfort. Changer ne m'intéresse pas et parler à mes parents encore moins. Raven doit l'accepter.
Je finis par arriver à ma Jeep.
— Fais chier.
J'ai oublié de la verrouiller, quel boulet ! En colère contre moi, je monte dans la voiture et jette mon sac sur le siège passager.
— J'ai besoin de ton aide.
Ses mots sont à peine audibles. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Avec prudence, je me retourne.
— Oh merde, dis-je pris de panique.
Un jeune homme pâle est assis à l'arrière de ma voiture. Son sang dégouline sur son tee-shirt, sur le siège, avant de s'écraser sur la moquette. L'air se bloque dans mes poumons. C'est pas vrai, pas maintenant. Rapidement, j'attrape mon inhalateur. Une fois la crise passée, je demande :
— T'es qui ? Qu'est-ce que tu fais là ?
— Plus tard les questions, me répond-il dans un grognement de douleur, ramène-moi chez moi.
J'ai mal entendu, il veut que je le ramène chez lui. Une balle dans l'épaule, ce n'est pas un simple bobo. L'hôpital, c'est son seul moyen s'il veut survivre.
— Pas question, dis-je avant de mettre le contact.
— M'oblige pas à te menacer. Fais ce que je te dis.
Dans le rétroviseur brille une arme. Je jure. On est à Chicago, à quoi je m'attendais ?
— C'est quoi ton adresse ? je demande à contrecœur.
Le trajet me paraît long et pénible, pourtant mon pied ne quitte pas l'accélérateur. L'habitacle est rempli de gémissements et de grognements de douleur. Je ne peux m'empêcher de jeter des coups d'œil inquiets dans le rétro. L'inconnu semble tenir le coup. Mais ni lui, ni moi, ne sommes ravis d'être coincés ici.
Je finis par me garer en bas de son immeuble. Il parvient à s'extraire avant de s'appuyer lourdement contre la voiture. Sans un regard, ni un mot, il passe son bras par-dessus mon épaule. Ses pieds traînent pratiquement sur le sol. Sa tête tombe en avant. L'avancée est périlleuse. Nous ne cessons de tanguer.
— S'il te plaît, je le supplie, reste éveillé. On est bientôt arrivé.
Il grogne pour se donner du courage.
Je finis par ouvrir la porte de l'appartement et allume la lumière.
— Dépose-moi sur le canapé.
Assis, il retire son arme, enlève le chargeur et les pose sur la table basse. Pourquoi m'accorde-t-il sa confiance ?
— Il faut que tu m'aides à enlever ma veste et mon T-shirt, dit-il faiblement.
En quelques secondes, l'inconnu est torse nu. Je me surprends à regarder son tatouage tribal sur son pectoral gauche, son piercing au téton droit, ses légers abdominaux et les quelques cicatrices qu'aborde son torse.
— La vue te plaît, me dit-il dans un sourire provocateur.
— Qu... Quoi ? je demande le rouge aux joues.
— Je rigole, c'est pour te détendre un peu. On dirait une bombe prête à exploser.
Un rire nerveux passe mes lèvres. Mes mains ne cessent de trembler et mon cœur bat dans mes oreilles. Je suis jaloux de son calme et de sa résistance à la douleur. Mais au vu de ses cicatrices, il semble avoir l'habitude. La plupart des habitants de Chicago ont ses marques sur le corps. La majorité d'entre elles sont dues à des bagarres, des règlements de compte, des vols qui tournent mal... Même moi, je n'y ai pas échappé. Une fois au travail, on m'a cassé une bouteille sur la tête alors que j'essayais de calmer le jeu entre deux ivrognes.
— La trousse médicale est dans la salle de bains, dit-il me sortant de mes pensées.
Enfermé à l'intérieur, j'ouvre les placards à la volée. Les produits s'entassent sur le sol. Où est cette maudite trousse ? Respire. Elle ne doit pas être loin. Avec plus de calme, je reprends mes recherches. Je la trouve enfin et la ramène dans le salon. Quand j'arrive à sa hauteur, son téléphone sonne. Il raccroche dans un soupir, l'air contrarié.
— Est-ce que ça va ?
— Ouais, c'est juste mon meilleur ami qui s'inquiète. Je le rappellerai demain.
De sa main gauche, il envoie un rapide texto, tandis que je m'assois sur la table basse. Une compresse pleine de désinfectant à la main, je l'applique sur la plaie. Il jure sous l'effet brûlant du produit. Je le regarde : qu'est-ce que je dois faire maintenant ?
— Prends la pince médicale et enlève-moi cette balle.
— Je ne peux pas. Je ne suis pas médecin.
— Fais-le, s'il te plaît.
Si j'avais fermé ma stupide voiture, je n'en serais pas là. Tout le monde le sait, Chicago n'est pas une ville où tu laisses ta caisse sur un parking et encore moins ouverte. Je jure et respire un grand coup, dis-toi que c'est ta première chirurgie en solo.
Je prends mon courage à deux mains, m'empare de la pince et l'introduis avec douceur dans la plaie. L'odeur de sang ne m'atteint pas et je me concentre pour ne pas trembler. Du coin de l'œil, je le vois serrer les dents et les poings face à la douleur. Je suis impressionné, à sa place j'aurais déjà perdu connaissance. Je réussis à trouver le projectile et le retire avec délicatesse. Avec triomphe, je l'observe avant de la poser dans une petite coupelle.
— Maintenant l'étape la plus difficile, tu dois cautériser la plaie et recoudre.
— OK, mais je le fais avec quoi ?
— Tu ne vas pas aimer. Tu prends une balle de 9 mm. Tu l'ouvres et tu verses la poudre sur la plaie. Ensuite, tu prends le briquet dans la poche de mon jean. N'oublie pas de mettre mon tee-shirt entre les dents et tu y mets le feu. Ça va provoquera une petite explosion et après tu n'as plus qu'à recoudre. Il se peut que je tourne de l'œil, mais ça ira, je te fais confiance.
Je n'aime pas cette idée. Les risques d'infection sont élevés. Pourtant, quels autres choix avons-nous ? Rapidement, je fais ce qu'il me demande. Il gémit lorsque la poudre rentre en compte avec sa peau à vif. Quand il hoche la tête, j'y mets le feu. Une détonation. Un cri lui échappe tandis que ses phalanges abîmées deviennent blanches. Son corps se contracte et se débat face à la douleur. Puis plus rien. Inquiet, je vérifie son pouls. Le soulagement m'envahit quand je sens son cœur pulsé sous mes doigts. Il ne me reste plus qu'une étape. Armé d'une aiguille et d'un fil, je tente de faire des points propres et serrer. Une fois fait, un bandage vient terminer le tout.
Un rire nerveux m'échappe tandis que ma main passe dans mes cheveux bruns. Je suis content que cette situation absurde soit terminée. Après tout, cela fera une bonne anecdote à raconter. Avant de m'éclipser, je le recouvre d'un plaid et laisse la trousse de secours sur la table basse. Il en aura bien besoin demain.
— T'es en retard. Tu sais que le vendredi soir on est blindé, m'informe mon patron.
— Je sais. Désolé, j'ai pas pu t'envoyer de message.
Je pose mes affaires et j'arrive. Après les avoir balancées dans le casier et saluées mes collègues, je me mets derrière le comptoir. Les premières commandes ne tardent pas. Je n'ai pas une minute de répit, concentré à faire les cocktails, servir les pressions et surveille que personne ne fasse de bêtises. On a beau être dans la partie la moins flinguée de la ville, ça n'empêche pas les cinglés de se pointer. La preuve, il y a maintenant une heure, quand ce mec est rentré dans ma voiture. Je me surprends un instant à me demander s'il va bien, je me rassure en me disant qu'il respirait quand je suis parti et me remets au travail. Je discute avec quelques habitués, les nouveaux venus et je reste vague sur les raisons de mon retard vis-à-vis de mes collègues. Certains pensent que je me suis tapé mon plan cul avant de venir.
— Tu te souviens qu'un jour le patron t'a chopé avec ce mec, Bradley, dans les vestiaires. Sa tête était à mourir de rire, raconte Robbie.
— Ça n'est arrivé qu'une fois, je me défends, sous le rire de mes collègues.
— Au fait, me demande Rita, depuis que je te connais tu n'as jamais eu de relation sérieuse. Pourquoi ? T'as peur de t'engager ?
— Ce n'est pas mon truc les relations amoureuses.
Elle me regarde avec de grands yeux, la bouche ouverte, mais je l'arrête tout de suite.
— N'essaye même pas de me convaincre que l'amour c'est génial, puissant et que ça change un homme. Tout ça, c'est des conneries.
Elle lève les mains d'un air innocent et je souris. Rita et moi savons très bien que cette conversation ne fait que commencer.
Vers deux heures, le bar ferme et c'est un soulagement. Depuis trente minutes, je me bats pour ne pas m'endormir sur le comptoir. Mes aventures de ce soir m'ont bouffé toute mon énergie. Et aussi étonnant que ça puisse paraître, l'inconnu n'a cessé d'occuper mon esprit. Y a des tas de types comme lui en prison, dans les faits divers ou à l'hôpital. En général, ils sont violents et désagréables. Pas lui. Il m'a fait confiance. Il ne m'a pas tué pour avoir vu son visage. Ce n'est pas commun et ça m'intrigue.
— Smith, m'interpelle Rita, tu devrais aller te coucher. Je m'occupe de la fermeture. Mais ce n'est pas gratuit.
Je lui souris et la remercie. À peine rentré chez moi, je me suis effondré sur mon lit. Heureusement que c'est le week-end.
Ligne de métro qui sépare Chicago en deux
[1]« Quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois
Je n'aurais jamais pensé tomber pour toi »
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