- Tout est parfait, murmura Nessa heureuse du résultat.

- Parfait en effet, intervint une voix grave derrière elle.

Sous l'effet de la surprise Nessa se retourna pour faire face à Elijah Wolfkov. Il n'avait pas mis longtemps à la rattraper et son air mécontent lui provoqua une angoisse latente.

- Vykhodi !

Le personnel y compris Doria s'empressa de quitter la cuisine. Peinant à comprendre, Nessa ouvrit la bouche mais la referma presque aussitôt. Comme paralysée par la seule force de son regard.

Il déposa sur la table de travail ce qui semblait être le petit-four qu'elle avait volontairement laissé sur la table.

Par interdiction ? Par refus d'interrompre Ruby Paxton ?

Nessa l'ignorait, elle était tout simplement partie.

- Vous êtes venu jusqu'ici, pour me...

- Je sais que ce monde dans lequel vous êtes plongé vous rend un peu nerveuse mais je ne veux pas vous voir fuir chaque fois que vous en avez l'occasion.

- Vous ne voulez pas mais moi j'en avait envie.

- Je ne pense pas, dit-il d'une voix ferme ; Je pense que vous vouliez tout simplement me fuir. Encore.

- Pas du tout ! Mentit-elle en le dévisageant, les sourcils froncés ; Je n'ai pas...

Zut ! Songea-t-elle intérieurement.

- Peur ? S'enquit l'homme en se penchant vers elle, si proche qu'elle pouvait sentir son parfum musqué.

- Ne jouez pas sur les mots dans l'espoir de me l'entendre dire. Encore !

- Je ne peux pas m'en empêcher, avoua-t-il en s'approchant plus près.

Ils s'affrontèrent du regard une bonne minute puis Nessa céda, brisant toutes les barrières usées qu'elle tentait de dresser comme rempart. Involontairement elle courut du regard la ligne féroce de ses mâchoires et se sentit emprisonnée par une force mystérieuse.

Non, en fait elle ne l'était pas. Cette force était l'arme principale de l'homme d'affaires.

Elle était redoutable.

- Allez donc voir si Ruby Paxton ne s'est pas cassé un ongle, lança-t-elle le ventre enflammé par le regard de braise qu'il lui adressait.

- Seriez-vous jalouse ? La taquina-t-il en plissant son regard.

Nessa pouffa et réprima une violente rougeur.

- Pas le moins du monde ! Pourquoi devrais-je être jalouse ? Cette femme n'aspire qu'à vous séduire or ce n'est pas mon cas.

Le milliardaire russe esquissa un lent et long sourire.

- C'est exactement ce qui me pousse vers vous, murmura-t-il d'une voix rauque ; Vous aiguisez ma curiosité pour ce point essentiel.

- Vous n'avez pas l'habitude qu'on vous résiste n'est-ce pas ? Osa-t-elle demander les mains accrochées au plan de travail.

- Je n'ai pas cette prétention, cependant je dois avouer que vous bousculez les habitudes auxquelles ces femmes m'ont habitué.

- Je vous l'ai dit, un long et vaste fossé nous sépare, bafouilla-t-elle lorsqu'il posa ses deux mains de chaque côté du plan de travail.. la rendant ainsi prisonnière.

Son passé, le présent et même le futur s'étaient comme dissous dans ses yeux sombres et impénétrables. Les atrocités qu'elle avait subie auraient dû la faire hurler, l'affoler de sorte qu'il s'écarte mais elle n'en fit rien.

Pire !

Elle se surprit à aimer cela.

- Je vous l'ai dit, ces détails sont insignifiants pour moi, dit-il enfin.

Sans qu'elle ne s'y attende, il prit le petit-four et l'encouragea à ouvrir la bouche.

Pour mettre un terme à cette affolante proximité elle s'exécuta, ignorant avec difficulté le contact de ses doigts.

Il se redressa enfin, la laissant libre de respirer.

- Plus vous allez me fuir plus je vais ressentir le besoin de m'approcher, déclara l'homme d'affaires comme un avertissement agréable à lui révéler ; Faites l'inverse et je finirais très vite par me lasser.

Il tourna les talons, la laissant seule et désorientée.

Est-ce la stratégie qu'elle devait mettre en place ?

Disait-il vrai ? Allait-il vraiment se lasser d'elle ? Et le voulait-elle vraiment ?

Voulait-t-elle vraiment ne plus ressentir ce sentiment protecteur qu'il lui offrait ?

Nessa se passa une main sur la joue, pour tenter de reprendre ses esprits.

L'heure du four en acier inoxydable indiquait 20h59. Il était temps de passer à table. Elle prit son courage à deux mains et ouvrit la porte qui donnait sur le jardin. Elle remarqua que les convives quittaient peu à peu la terrasse. Elle chercha le seul homme qui pourrait la guider dans cette fanfare grotesque mais ne le trouva pas. La panique la gagna, mais elle refusait de fléchir tout de suite. De ce fait, Nessa emboita le pas aux derniers invités et se faufila entre deux femmes dont l'une d'elles n'était autre que Ruby Paxton. Elle lui décocha une œillade assassine. Une mise en garde.

Nessa aurait voulu lui dire qu'elle n'avait rien à craindre et que jamais elle ne pourrait rivaliser avec elle.

Au lieu de ça, elle parcourut les chemins de table en cherchant désespérément son nom. Lèvres pincées elle riva son regard sur l'immense escalier sur le point de mettre un terme à l'angoisse qui commençait à l'envahir.

- Respirez, murmura une voix profonde derrière elle.

Nessa ferma brièvement les yeux, éprise d'un soulagement indescriptible. Il surgissait sans cesse de nulle part mais cette fois-ci elle en était ravie.

- Venez, vous êtes installée à mes côtés.

- Je ne vais pas vous lâcher de la soirée, prévint-elle en rougissant ; Un vrai pot de colle. Vous en aurez tellement assez que...

- Je me lasserais ? La coupa-t-il en levant un sourcil amusé ; Vous changez de stratégie ? Dans l'espoir que je me lasse ?

- N'est-ce pas ce que vous m'avez laissé comprendre ?

- Suis-je à ce point terrifiant ? Demanda-t-il d'une voix traînante mais légèrement irritée.

Nessa ouvrit la bouche mais la referma sans trop savoir quoi dire.

- Allons, venez, dit-il pour mettre fin à son supplice ; Je me languis de découvrir votre stratégie mademoiselle Blake.

- Je n'ai aucune stratégie, dit-elle quand ils furent assis ; J'ai dit ça sans réfléchir.

- Au contraire, contrat-il d'un murmure indéchiffrable ; Vous êtes intelligente, j'aime ça, il m'est rare de rencontrer une femme aussi prudente et intelligente que vous.

Nessa accueillit ce compliment différemment de ce qu'il croyait.

Son passé l'avait aidé à se montrer prudente.

Avant elle ne l'était pas.

- À présent reste à savoir si je vais me lasser de cette intelligence durant la soirée.

Nessa ne put s'empêcher de sourire. Assise à ses côtés elle avait l'impression d'être petite, et c'était loin d'être une impression.

La table était magnifique mais sobre. Seules quelques bougies parsemaient le chemin de table. Une rose rouge était déposée sur son assiette et elle remarqua très vite qu'elle était la seule à en avoir.

De quoi la mettre immédiatement mal à l'aise.

- Pour votre travail absolument parfait, lui glissa-t-il à l'oreille.

Un frisson délicieux parcourut son échine. Ce présent était pourtant simple, il s'agissait d'une rose, rien de plus. Et pourtant cette attention particulière fit naître en elle un sentiment étrange. Peut-être parce que personne jusqu'ici ne lui avait offert de fleurs.

Pas même Peter quand il la suppliait de le pardonner.

- Merci, elle est magnifique.

Nessa la déposa sur le côté de son assiette incapable de lui accorder un regard alors qu'elle savait que le sien était posé sur elle.

- Votre champagne est aromatisé, expliqua-t-il d'une voix douce mais qui ne parvenait toujours pas à dissimuler son accent ; Voulez-vous commencer le repas au vin blanc ?

- Non, je préfère rester au champagne merci.

Il se leva subitement, l'obligeant à réprimer un sursaut.

Il prit la parole, son verre levé en direction des invités. Tous étaient hypnotisés par son discours.

Même elle avait du mal à ne pas détourner les yeux de cet homme terriblement ténébreux et viril.

- Vache zdorovie !

Nessa imita les invités et leva son verre puis le porta à ses lèvres.

Jusqu'ici tout ce passait bien. Mais le dîner ne faisait que commencer.

Nessa ignorait ce que la suite lui réserverait. Et la réponse qu'elle trouva dans les yeux du milliardaire russe ne parvint à la rassurer. Au contraire il la paralysa entièrement.

Ce n'était pas du mystère, ni de la peine, ni le désir qu'elle avait brièvement décelé dans ses yeux noirs quelques heures plus tôt.

Non.

C'était un regard possessif...