Nessa le dévisagea stupéfaite. Il avait l'air si sérieux qu'elle vacilla.

- Vous êtes toujours aussi franc ? Aussi direct ?

- À quoi bon mentir ? Cela ne m'apportera rien, j'aime être honnête.

Il se dirigea vers la porte et l'ouvrit sans plus tarder.

- Allons-y mademoiselle Blake, il est temps pour nous de descendre.

Nessa toucha de nouveau la natte qu'il lui avait fait tout en marchant un pas après l'autre. Il referma la porte et posa sa main dans son dos, un geste d'élégance mais qui couvrait un feu indescriptible. Elle avait presque la certitude qu'il connaissait son passé et le savoir la mettait dans une position délicate. Pour en être sûre, Nessa devait impérativement lui poser la question.

Mais comment ?

Quelques années plus tôt, elle avait fait une erreur qui l'avait conduite en enfer. Étudiante brillante et réservée, Nessa s'était éprise d'un étudiant populaire.

Peter Banks.

Croyant depuis l'enfance aux contes de fées, Nessa s'était laissé séduire. Quelques mois plus tard, Nessa avait appris qu'elle attendait un enfant. Et alors qu'elle pensait vivre un bonheur sans ombrage, son conte de fées avait viré au cauchemar.

Peter avait perdu le soutien financier de son père, après avoir appris qu'ils s'étaient fiancés. Pour lui Nessa n'était pas assez bien pour lui, et sa famille trop modeste pour l'inclure dans la haute société. L'alcool puis la première gifle avait suivi. Le cœur et le corps déchirés Nessa avait perdu son bébé trois mois plus tard, se rappelant encore du petit coup qu'elle avait vaguement ressenti trois jours plus tôt. Une perte déchirante qu'elle n'était jamais parvenu à oublier.

L'humiliation que lui avait subir Peter avait pris fin deux mois plus tard.

Elle n'oublierait jamais le regard fou qu'il lui avait jeté lorsque son père était venu la chercher, fusil à la main.

Sa gorge se noua.

Il lui avait ôté son identité, il l'avait façonné à sa manière afin qu'elle perde tout repaire. Ce soir, sans le savoir Elijah Wolfkov était parvenu à la délivrer d'un poids. Ce chignon, elle le portait depuis tant d'années qu'elle en avait oublié la sensation de sentir ses cheveux contre son dos.

De les sentir libres.

Allait-elle perdre cette habitude de les nouer chaque matin comme si Peter allait surgir derrière elle pour la punir ?

Elle trouva la réponse dans les yeux sombres de l'homme qui se trouvait à ses côtés.

Chaque fois qu'elle plongeait son regard dans le sien Nessa sentait une peur bien plus forte la saisir jusqu'à la gorge.

Ils descendirent l'escalier ensemble, et si l'homme d'affaires semblait désintéressé de tous ces regards portés sur eux, Nessa tenta de les fuir au mieux.

- Vous devriez saluer vos invités, dit-elle en mettant de la distance entre eux.

Son comportement ne passa pas inaperçu aux yeux de l'homme qui s'empressa de les plisser.

- Je connais mes invités, ils n'ont guère besoin que je vienne les saluer, je dirais même que c'est à eux de venir à moi.

Nessa avala péniblement sa salive.

- Vraiment ? N'est-ce pas arrogant d'avoir cette certitude que...

- L'arrogance s'empare des jeunes entrepreneurs qui pensent que cette attitude peut leur apporter plus de respect jusqu'à la chute, la coupa-t-il d'une voix douce mais ferme : Les hommes que vous voyez là sont ici pour un but précis.

- Lequel ?

- Obtenir mon soutien financier dans des investissements juteux.

Il semblait s'en ravir, nota Nessa en le dévisageant timidement. Il n'était pas arrogant, il savait juste quel pouvoir il détenait entre ses mains.

- Vous n'avez pas peur de faire un mauvais investissement.

- Il faudrait être fou pour me duper, dit-il avec un lent et sombre sourire.

Nessa frémit et s'empressa de détourner le regard sur les invités. Allait-il la laisser pour s'occuper de ses convives ? Ou allait-il rester à ses côtés toute la soirée ?

Désarmée par autant d'attention qui lui était porté, elle ne sut quoi dire ni quoi faire.

- Allons voir à quoi ressemble les jardins, proposa-t-il soudain.

C'était tentant, songea-t-elle en apercevant les belle lumières se confondre avec le soleil couchant. Il la prit par la taille pour l'entraîner à l'extérieur du domaine. Elle aurait bien voulu s'écarter mais sa main ferme la retenait sans effort comme si une force mystérieuse l'empêchait de s'écarter.

La foule se mit à chuchoter mais Nessa trouva la force de les ignorer et accepta la coupe de champagne que lui tendait un serveur. Elle se concentra sur le paysage fabuleux et unique tout en touchant nerveusement ses cheveux. Elle rompit son geste lorsque deux invités s'approchèrent. Elijah Wolfkov avait raison, songea-t-elle en esquissant un sourire poli. C'est eux qui venaient à lui et non l'inverse. Le pire fut de constater l'expression sur leurs visages.

Il y avait de l'admiration et de la crainte.

- Laissez-moi vous présenter mademoiselle Blake, déclara-t-il en glissant sa main dans son dos.

Nessa eut toute la peine du monde à ignorer la petite décharge électrique qui courait le long de sa colonne vertébrale.

- C'est elle qui s'est occupée du menu de ce soir, j'espère qu'il vous plaira.

- J'étais au dîner de l'autre jour, intervint un homme qui se mit à la scruter de la tête aux pieds ; Jamais je n'aurais crû que derrière ces délices se cachait une aussi belle demoiselle.

Nessa accueillit ce compliment avec un léger sourire en coin mais l'atmosphère changea subitement.

- Votre domaine est impressionnant, lança l'autre homme à l'adresse du propriétaire.

- Il l'est, en effet, affirma-t-il sans saveur dans la voix.

Après un moment de silence, une conversation purement professionnelle s'engagea. Nessa en profita pour s'éclipser discrètement sans se retourner. L'air était frais, agréable et sa curiosité la poussa vers la piscine éclairée. Elle la contempla un moment, puis pivota les talons pour observer les invités. Elle n'eut besoin d'aucun effort pour trouver le propriétaire du domaine. De loin il paraissait toujours aussi impénétrable et terriblement beau. Des femmes énamourées l'entouraient, mettant les hommes à l'épreuve.

Mais aucun d'entre eux pouvait l'égaler, constata Nessa quand Ruby passa sa main autour de son bras.

Il captivait les femmes, les mettaient en rivalités sans même s'en préoccuper.

Pire !

N'avait-elle pas eu la sensation de se sentir belle tout à l'heure ?

Elle avait eu l'impression d'être unique. Mais tout cela n'était rien d'autre qu'un sentiment éphémère. Ces hommes qui l'entouraient ce soir y compris monsieur Wolfkov ne cherchaient pas ce qu'une femme comme elle recherchait. Tout cela n'était qu'un jeu dont ils étaient les seuls maîtres.

- Vous n'êtes pas de ces femmes qui se mêlent à la foule n'est-ce pas ?

Nessa réprima un sursaut. Il s'agissait de l'homme qui l'avait complimenté quelques minutes plus tôt.

- Désolé, je ne voulais pas vous faire peur, s'excusa-t-il en lui tendant la main : Je suis Hans Harper, et vous êtes ?

- Nessa Blake, dit-elle en acceptant sa poignée de main.

Un sourire enjôleur couvrit les lèvres de ce dernier. Aussitôt Nessa comprit que ce n'était pas une conversation de pure courtoisie qu'il cherchait mais visiblement autre chose de plus distrayant.

- Je suis surpris d'apprendre que vous êtes traiteur et que vous disposez d'un établissement.

- Pour quelle raison ? S'enquit Nessa sur la défensive.

- Vous me paraissez si jeune, commenta-t-il en dardant son regard sur elle.

Nessa préféra ne pas répondre et reporta son attention sur les convives. La haute et dominante silhouette du maître des lieux avait disparue. Craignant de le voir surgir de nulle part Nessa tourna la tête dans toutes les directions possible mais ne le trouva pas.

- Vous ne devriez pas vous approcher de monsieur Wolfkov, lança Hans

Surprise elle reporta son attention sur lui.

- Vraiment ?

Hans grimaça.

- Croyez-moi mademoiselle Blake, vous devriez maintenir vos distances, vous n'avez aucune idée de qui est cet homme.

Essayait-il de lui faire peur pour mieux la mettre dans son lit ? Avait-il vu qu'elle le cherchait des yeux ?

- Je connais son passé, fit-elle remarquer en inclinant légèrement sa tête ; Je sais qui il est monsieur Harper.

- Vous en êtes sûre ? Insista Hans avec un sourire en coin avant qu'une voix rude ne vienne l'interrompre.

- Pourquoi ne pas laisser mademoiselle Blake avoir son propre avis sur la question ?