Chapitre 11



  - J'aime voir vos yeux quand je vous parle, murmura-t-il d'une voix profonde ; À l'avenir essayez de ne pas les abaisser de la sorte.

Il pouvait la sentir frémir sous la pulpe de ses doigts. Délicatement il ôta ses doigts de son menton...gardant la douceur de sa peau sur ces derniers. Il se carra contre le dossier de la chaise, sans jamais cesser de la regarder.

- Je suis ici pour travailler, répéta la jeune femme comme si elle voulait s'en convaincre.

- Ça, je pense l'avoir imprimé, dit-il interrompu par son majordome qui déposa les plats sur la table.

- Spasiba, dit-il brièvement avant de reporter son attention sur la jeune femme.

Pétrifiée, égarée elle lissait nerveusement la nappe immaculée. Forcé de l'admettre, il n'y avait rien en elle qui lui inspirait une bribe de méfiance.

- Alors si tout est précis, j'aimerais ne plus jamais aborder ce point dans les prochaines vingt-quatre heures.

Nessa était au bord de l'explosion intérieure mais pas pour les bonnes raisons. La fermeté de ses doigts semblait encore inscrite sur sa peau qui avait réagi presque aussitôt le contact établi. Elijah Wolfkov était un homme de pouvoir, et l'autorité qu'il exerçait sur elle n'avait pas l'effet qu'elle aurait voulu ressentir. En mettant les choses aux clairs elle espérait pouvoir se concentrer sur son travail. Hélas, l'homme d'affaires n'avait pas manqué de lui faire comprendre que les points qu'elle lui avait exposés n'étaient ni un problème ni une excuse valable pour le décourager.

Perdue dans ses pensées Nessa tourna la tête en direction de la baie vitrée pour contempler son reflet. Elle n'avait rien de spécial et n'essayait pas de l'être. Un souvenir insurmontable lui monta dans la gorge et elle dut le combattre tant bien que mal alors que des flashs lui imposaient ce qu'elle tentait chaque jour d'oublier.

- Moy sladkiy ? Est-ce que tout va bien ?

Nessa sursauta, relevant péniblement les yeux sur l'homme d'affaire. Il avait les sourcils froncés, se donnant l'air inquiet par sa soudaine pâleur.

- Ou..oui, mentit-elle en s'efforçant de lui sourire ; J'étais ailleurs, veuillez m'excuser.

Le milliardaire Russe ne semblait pas convaincu mais garda le silence.

- Qu'est-ce que c'est ? S'informa Nessa pour faire diversion.

- Je l'ignore, dit-il vaguement sans prêter attention à son assiette ; Goûtez et dites-moi ce que vous en pensez.

Une lueur de défi couvrait ses yeux noirs. Pour une raison qu'elle ne sut expliquer, l'homme d'affaires était parvenu à lui faire oublier ses souvenirs contre lesquels elle luttait depuis plusieurs minutes.

- Du veau, c'est délicieux, murmura-t-elle en observant les flammes des bougies vaciller par les légères brises de vent.

Quelques secondes s'écoulèrent dans lesquelles Nessa sentit les yeux de l'homme d'affaires posés sur elle. Signe qu'il n'allait pas tarder à lui poser une question.

Pour éviter le piège, Nessa s'empressa de réfléchir et vite !

- Parlez-moi un peu de vous ! Lança-t-elle d'une voix un peu trop enthousiaste.

Il plissa des yeux, visiblement intrigué par cette invitation douteuse. Pour tromper son embarras Nessa reprit un peu de vin mais remarqua que sa main tremblait.

- Vous ne lisez jamais la presse ?

- Jamais, j'aime plutôt les livres de cuisine.

Et c'était la pure vérité. Si Ivy ne l'avait pas informé sur le passé de son client, jamais Nessa aurait su que devant elle se tenait un mafieux, reconverti en homme d'affaires impitoyable.

- Votre amie vous a dit l'essentiel, il n'y a rien d'autre à savoir sur moi.

Il voulait clairement bâcler le sujet, remarqua-t-elle en soutenant son regard menaçant.

- Vous avez peur que je parte en courant ? Osa-t-elle demander avec un sourire en coin.

- Je saurais vous retenir, dit-il sans ambages : Vous savez que j'appartiens à une famille de mafieux, et que j'ai fait de la prison.

- Vous avez déjà tué quelqu'un ?

Les traits de l'homme d'affaires se fissurèrent sur l'instant. Il l'observait avec une expression dure.

- Si c'était le cas, que feriez-vous mademoiselle Blake ?

Nessa sentit sa bouche s'assécher. Un nœud se forma dans son estomac.

- Je l'ignore, avoua-t-elle en dépliant sa serviette pour masquer son regret d'avoir posé une question aussi dangereuse.

- Il n'y a qu'une chose à retenir de mon passé, c'est que je ne regrette rien, déclara-t-il sur un ton ferme.

Nessa arrima son regard au sien et le regretta amèrement. Jamais elle n'avait ressentie une peur aussi violente de toute sa vie.

- Le reste, n'a aucune importance mademoiselle Blake.

- Veuillez m'excuser, j'ai été trop loin.

- Pas aussi loin que je l'aurais cru, dit-il en se redressant ; Vous êtes bel et bien curieuse mademoiselle Blake. J'ai pour habitude de rencontrer des femmes qui n'osent pas relever mon passé au risque d'en subir mes foudres.

Il marqua une pause dans laquelle il prononça une phrase en Russe. Son accent était si rude, si grave qu'elle ressentit le besoin urgent de dévier son regard ailleurs.

- Vous avez de la chance que je sois de bonne humeur ce soir et enchanté d'être en votre compagnie. Vous êtes décidément pleine de surprises...bonnes ou mauvaises, elles me fascinent.

Le souffle coupé, elle avala péniblement sa salive.

- Je saurais m'en souvenir monsieur Wolfkov, parvint-elle à dire en approchant sa main en direction de son verre.

Il la stoppa, attrapant son poignet d'une main ferme mais délicate. Nessa hoqueta, le sang figé dans ses veines.

- Vous devriez manger, assez d'alcool pour l'instant et ça ne vous aidera pas à vous donner des forces jusqu'à l'achèvement de ce repas.

Au-delà de cette peur fichée dans ses reins, c'est muette de stupéfaction qu'elle le dévisagea. Il était parvenu à la déceler sans difficulté.

- Je ne suis plus une enfant, objecta Nessa alors que le contact de ses doigts l'électrifiait.

- Certes, mais vous êtes sous ma responsabilité durant l'intégralité de votre séjour, dit-il d'une voix de gorge teintée de fermeté.

Il relâcha doucement son poignet.

- C'était écris, sur le contrat, vous auriez dû le lire.

Le trouble la gagna, ayant soudain l'impression d'être prise au piège mais ne s'avouait pas vaincue pour autant.

- Ai-je droit à un traitement spécial ou vous faites cela avec tous vos employés ?

- C'est un traitement on ne peut plus spécial, à l'instant même où vous avez franchie la porte de mon domaine.

Nessa laissa échapper un rire nerveux.

- J'ai peut-être l'air un peu fébrile, je suis plus forte que j'en ai l'air.

- Je n'en doute pas un seul instant, mais cette décision n'a rien à voir avec votre silhouette.

Le front plissé, Nessa enfonça ses doigts dans ses paumes. Et soudain elle crut comprendre.

- Vous n'avez pas confiance en moi, c'est pour cette raison et...

- J'ai confiance en vous.

- Pas suffisamment pour me laisser vaquer à mes occupations sans être obligée de vous signez un bon de sortie !

Sa pique le fit sourire.

Ses joues s'enflammèrent.

- Mangez.

Subtilement il cherchait à garder le mystère. Ensorcelée malgré elle par son regard magnétique elle eut bien du mal à lui opposer un refus quel qu'il soit.

Elle avait l'impression qu'il avait annihilé sa raison et son esprit.

- Monsieur Wolfkov, je crois que...

Nessa fut interrompue par l'arrivée impromptue du majordome qui échangea avec son patron l'air contrit.

L'homme d'affaires lui adressa un sourire malicieux.

- Vous avez beaucoup de chance mademoiselle Blake, veuillez m'excuser.

Il se leva avec la grâce d'un félin mais ses pas frappaient le sol avec détermination.

Lorsque la porte se referma, Nessa retrouva une respiration plus apaisée.

Mais pour combien de temps ?

Elle se saisit de son verre de vin pour le porter à ses lèvres puis se stoppa dans son élan...songeant avec un frisson glacial à son avertissement...comme s'il se trouvait juste derrière elle, prêt à se fondre sur elle comme un félin se fondant sur sa proie.

Et lorsqu'elle dévia son regard légèrement sur sa gauche cette pensée inquiétante prit tout son sens.

Car l'homme d'affaires se trouvait bel et bien là, le dos appuyé contre la porte, le regard éclairé par le seul vacillement des flammes.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top