I/ Tempête

Azur Brumeux luttait contre les morsures endiablées du vent hurlant dans la lande. Les bourrasques folles cabriolaient dans les cieux sombres et sanglants du crépuscule, effrayant les chevaux sauvages sans un scrupule. Le martèlement de leurs sabots, pareil au grondement du tonnerre, faisait trembler la plaine.
Leurs crinières dansaient furieusement dans les fougueuses rafales, leurs naseaux dilatés exhalaient une fumée blanche et tous filaient vers les collines du sud.

Azur Brumeux trouvait ces moments inoubliables, et malgré le souffle algide de la brise, il prenait toujours un temps pour contempler la nerveuse et écrasante beauté de son territoire.

Perché en haut de Glacial, le guerrier immaculé demeurait immobile, à contre-courant avec la frénésie ambiante. Le déchaînement des éléments à venir se lisait dans l'azur obscur, dans la fébrilité du gibier ou même dans l'humeur âcre et hargneuse de la vaste prairie...
Il aimait cela, il aimait quand toute cette tension était libérée le temps d'une averse de grêle ou d'un orage tapageur.

Le vacarme avait du bon, il troublait les sens et empêchait de réfléchir.
C'était le parfait remède pour ne pas ressasser.

Azur Brumeux aurait pu rester ainsi longtemps, déconnecté du monde et de ses devoirs.
Il prit une grande inspiration et, derrière le parfum humide de l'imminente pluie, décela une nouvelle senteur.

Le guerrier de marbre se redressa et déclara sans même tourner la tête :

« Alors, l'as-tu trouvé ? »

Une silhouette gracile se rangea à ses côtés et posa à son tour un regard noir sur la terrible majesté du paysage.
Ses yeux jaunes dardés sur l'horizon brillaient de frustration, ses fines pattes élégamment chaussées de blancs laissaient apparaître des griffes effilées et sa réponse laconique fut ponctuée par le cri glaçant d'un busard :

« Non. »

Azur Brumeux ne répondit rien, attendant la suite.
Tornade-des-Alizés finissait toujours par détailler le fond de sa pensée.
Le froncement de son museau et le battement presque mécanique de sa queue indiquaient son intense réflexion, il pouvait l'entendre penser.

Elle secoua longuement la tête avant de partager avec lui les méandres de sa cogitation :

« Je n'ai rien trouvé, pas la moindre piste ni le moindre indice. Rien. Pourtant je sais qu'il est là, caché au plus profond des collines. Je le sens.

- Cela fait bientôt quatre lunes que tu es à sa recherche. Tu ne penses pas que tu tournes en rond ? »

Les prunelles Tornade-des-Alizés lancèrent des éclairs, il les affronta sans broncher :

« Pourquoi veux-tu retrouver Oreille de Mustang ? Pour le tuer ... mais tu me jures que non. Pour obtenir des excuses ... tu me soutiens que tu n'en attends pas. Pour avoir des explications. Tu retournes ciel et terre pour des explications. Alors je te le demande une dernière fois Tornade-des-Alizés, pourquoi veux-tu retrouver ton père ? »

À cette dernière question, la petite chasseuse baissa les yeux comme pour chercher ses mots.
Azur Brumeux comprenait ce qu'elle ressentait, mais il savait aussi que les explications n'étaient pas la réponse à tous les maux.

« Si tu le trouves tu devrais peut-être le tuer finalement... Les explications n'apportent rien, si ce n'est de nouvelles interrogations ! déclara-t-il, railleur.

- Depuis quand es-tu devenu si cynique... »souffla-t-elle avec amertume.

Azur Brumeux se sentit aussitôt coupable, son amie ne méritait pas de subir ses ombrages :

« Désolé...

- Je ne veux plus le tuer, le coupa-t-elle, cela ne servirait à rien. »

Elle leva une patte avant, contempla ses griffes nacrées avant de reprendre avec plus d'aplomb :

« Je suis une guerrière pas une meurtrière. Je veux pouvoir me regarder dans une flaque sans trembler, je ne veux pas céder à la facilité. Mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi mon père a tué ma mère. Il a cité des faits devant Étoile Hurlante mais il avait l'air parfaitement stoïque, comme si ses actes n'avaient aucune emprise sur lui. Ce n'est ni pour le culpabiliser ni pour lui pardonner que je veux le retrouver. Je veux comprendre, Azur Brumeux, c'est tout.

- Comprendre quoi ?

- Comprendre comment on peut tuer quand on aime et qu'on a aimé. Sans ça, j'ai peur de ne jamais pouvoir aimer quelqu'un à mon tour. »

Tous deux se turent, éprouvés par ces confessions.
Azur Brumeux se dit que c'était un peu présomptueux de prétendre qu'il la comprenait.
Au contraire, sa façon de réfléchir lui était étrangère. Pourtant il voulait essayer, même si pour cela il lui faudrait des trésors de patience.

« Tu ne diras rien à personne, n'est-ce pas ? l'interrogea-t-elle sur une petite voix.

- Je ne dirai rien. Tu peux compter sur moi.

- Merci. »

Tous deux restèrent immobiles et silencieux, se laissant bercer pour le chant déchirant du vent.
Tornade-des-Alizés finit par quitter sa torpeur :

« La tempête arrive. Nous devrions rentrer. »

~~~O~~~

Perle d'Obsidienne marchait à pas de loup dans les méandres de la pinède immobile.
La nuit noire et muette drapait les cieux d'un voile opaque, si bien que même l'œil le plus perçant n'aurait pu déceler la moindre étoile.

Ni le chant de la chouette, ni le murmure de la bise ne vinrent troubler le silence de la nature endormie.
La guerrière demeurait méfiante; l'absence totale et absolue de bruit était une mise en garde, l'irréfutable signe qu'un danger se préparait dans l'ombre.

Perle d'Obsidienne essayait d'humer l'air nocturne pour mieux sentir l'invisible mais rien n'y faisait.
Aucune odeur, aucun son, aucune matière ... c'était une menace dépourvue de substance qui la guettait depuis les ténèbres inaccessibles.

La jeune combattante se figea soudain, une effluve venait de lui chatouiller la truffe.
C'était une senteur âcre et nauséabonde qui la prenait à la gorge.

Perle d'Obsidienne toussa tant ce parfum de mort lui retournait le cœur.
Elle avançait à tâtons dans l'obscurité quand elle trébucha sur quelque chose.

Un rayon blafard déchira la brume et inonda d'une lueur blême une charogne couchée à ses pattes.

Perle d'Obsidienne sentit son sang se geler et son échine se hérisser d'angoisse.
Maintenant, la guerrière savait où elle se trouvait. Elle était sous le pin où sa mère avait trouvé la mort.

« La mort est aussi immonde que magnifique, tu ne trouves pas ? »

Son cœur rata un battement.
Perchée sur la première branche du grand pin trônait Pleurs de Louve.
Bien loin du cadavre en voie de décomposition, la chatte semblait ondoyer dans la nuit comme une souple silhouette dessiner à l'encre noire.
Ses prunelles émeraudes, fières et saisissantes, brillaient de mille feux.

Les yeux de Perle d'Obsidienne allaient frénétiquement du cadavre de sa mère étendu sur les racines noueuses, à sa mère bien vivante et toute rayonnante sur le rameau épineux.

Tout cela n'avait pas le moindre sens, elle rêvait donc.
Perle d'Obsidienne détestait rêver.
Qu'ils soient doux ou terribles, ses songes n'étaient que des illusions, des fantasmes qui jouaient avec son esprit.
C'était une perte de contrôle qu'elle ne tolérait pas.

« Qu'est-ce que tu veux ? » cracha la cadette, les griffes sorties.

« Range tes griffes ma fille, je suis déjà morte », ricana Pleurs de Louve.

L'instant d'après la guerrière défunte bondit gracieusement de son perchoir. Elle regarda sa propre dépouille avec nonchalance, comme si c'était là la chose la plus naturelle qui soit !

Mère et fille se jaugèrent du regard, cherchant une faille où frapper, un endroit à blesser.

L'ombre de sa génitrice, créature insaisissable toute luisante sous la lune livide, l'étouffait.
Sans qu'elle sache pourquoi, Perle d'Obsidienne avait à nouveau l'impression d'être une chatonne tétanisée par le regard tranchant et la voix glaciale de sa mère.

Perle d'Obsidienne avait peur de Pleurs de Louve.

Vous savez, ce genre de peur qui vous donne simplement envie de pleurer en criant, de crier en pleurant.
Ces angoisses irrationnelles et indélébiles qui vous guettent tout le jour durant et fondent sur vous aux premières ténèbres du soir naissant ...

Même morte sa mère la hantait. Serait-elle un jour débarrassée ?

« Qu'est-ce que tu veux ? feula nerveusement Perle d'Obsidienne.

- Je ne veux rien, simplement passer du temps avec toi ! »

Son rire, pareil à un vol de corbeaux, envahit la nuit dans un écho interminable.
Pleurs de Louve avait la tête baissée, observant un asticot s'échapper de la gueule béante de son propre cadavre.

« Qu'est-ce que tu me veux !? hurla-t-elle, frissonnante de peur.

- Toi ! » tonna soudainement Pleurs de Louve avec une voix qui n'était pas la sienne.

Sa mère releva brusquement la tête, braquant sur sa fille des yeux grouillant de larves.
Les vers tourbillonnaient dans les orbites vides et se laissaient tomber dans sa gueule grande ouverte.
Et elle riait comme une damnée, elle riait telle une furie endiablée !

C'était une véritable image infernale qui s'abattait sur Perle d'Obsidienne.
Cette fragrance de wmort, ces vers fourmillants, ce rire tonitruant, ces sueurs froides et ce goût amer chargé de rancoeur et de peur, tout cela la dévorait.

« Laisse-moi ! Laisse-moi ! Laisse-moi ! »

Mais sa voix était bien faible comparée à ce rire fou.

Perle d'Obsidienne essayait de fermer les yeux mais il lui était impossible de bouger ne serait-ce qu'une oreille.
La guerrière pouvait sentir l'haleine putride de sa mère contre sa truffe.
Cette dernière se colla contre elle et, dans un geste maternelle, l'enserra délicatement de sa queue.

Puis, dans un doux murmure Pleurs de Louve lui susurra dans le creux de l'oreille :

« Jamais plus je ne te laisserai ma fille, jamais plus ... »

L'instant suivant, Perle d'Obsidienne se réveilla en sursaut dans la tanière des guerriers.
La respiration sifflante et l'échine hérissée d'effroi, la guerrière faillit manquer une odeur intruse.
Une odeur qu'elle aurait pu confondre avait le parfum de son rêve, mais qui n'était autre que l'effluve marquante d'un renard...

~~~O~~~

Nos craintes sont comme des plaies, si on ne les soignent pas elles s'enveniment.

~~~O~~~

Hello !
Voici enfin le nouveau chapitre,
j'espère qu'il a plu.
N'hésitez pas à me donner votre avis, c'est toujours un plaisir.
Portez-vous bien !

~ Bises ~

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