Épilogue
~O~ Étoile Ardente ~O~
Étoile Ardente toisa Furie d'Églantine avec toute la superbe dont elle était capable.
La grande chatte écaille aux prunelles d'ambre la fusilla du regard, ses longs crocs dévoilés brillaient dans les feux de l'aurore et sa queue en panache frappait l'air avec véhémence.
La meneuse du Tonnerre était fière de son élève, leurs lunes d'entraînement se soldaient par une réussite totale.
Ses larges pattes griffues pétrirent la mousse encore toute imbibée de rosée avec satisfaction.
La fougue dans l'œil de Furie d'Églantine n'était pas sans lui rappeler elle au même âge.
Un jour cette petite dirigerait le clan du Tonnerre et plus encore !
« Bien ça ira pour aujourd'hui, bon travail ma fille. »
~~~O~~~
~*~ Azur Brumeux ~*~
« Approche-toi Petite Rosée ! »
Azur Brumeux se tenait à côté d'Héron Cendré.
C'était un grand jour, un jour de renouveau, un nouveau souffle et il était heureux d'être avec son meilleur ami.
La petite chatte grise, parfaite imitation de sa défunte mère Tempête de Grêle, s'approcha du rocher où se tenait Étoile Hurlante.
Un sérieux étonnant pour quelqu'un d'aussi jeune habitait chacun de ses gestes et son regard bleuté paraissait morne.
« Comme tes frères et sœurs il est temps pour toi de commencer ton apprentissage ! Nuage de Rosée, j'ai choisi pour te guider un jeune guerrier à l'esprit clair ... Héron Cendré ! »
Azur Brumeux regarda le petit félin rejoindre son élève d'une démarche souple et assurée.
Novice et mentor se frôlèrent du bout de la truffe et, pour la première fois, le matou immaculé vit une lueur de joie briller dans l'œil de l'apprentie.
« Héron Cendré je compte sur toi pour lui transmettre ta clairvoyance et ton agilité, qu'elle soit dans les griffes ou dans l'esprit ! »
Azur Brumeux regarda le duo et une jalousie brûlante lui brûla les entrailles.
La complicité naissante qu'il pouvait lire entre les deux félins l'exaspérait.
Il lui faudrait attendre encore longtemps avant qu'Étoile Hurlante ne lui confie un apprenti.
« Arrête ça... lui souffla Brise au creux de l'oreille, être envieux de son bonheur ne ravivera pas le tien.
- Je sais. Quand pars-tu ?
- Ce soir.
- C'est inutile que je te demande de rester ?
- Nous avons déjà eu cette discussion, rester serait une forme de renoncement pour moi. C'est un mal pour un bien.
- Pourquoi faut-il souffrir pour espérer être heureux un jour ?
- La vie est douce amère Azur Brumeux. Mais je pense que les efforts d'aujourd'hui nous servirons demain.
- J'espère...
- Arrête d'espérer et agis ! »
~~~O~~~
~*O*~ Nuage d'Obsidienne ~*O*~
« Nuage d'Obsidienne ! »
La féline de jais compta les pas qui la séparaient de l'Arbre Creux.
Ce tronc mort aux branches tortueuses qui avait fait d'elle une novice et qui ferait d'elle une guerrière !
Étoile de Vipère posait sur elle un regard chargé de souvenirs.
À travers ses prunelles, Nuage d'Obsidienne se rappela de leurs premiers échanges, de leurs piques, de leurs combats et de leur pacte...
Tout lui revint en mémoire, que ce soient les peines, les douleurs et les victoires.
Malgré tout ces épreuves, l'apprentie était fière d'avoir été sa novice.
À la question tant de fois posée Nuage d'Obsidienne répondit sans hésitation :
« Oui, je le jure ! »
Elle savoura ce moment, son moment. Il était à elle et à elle seule.
Le galop du grand cerf dans la pinède, le vol silencieux du hibou, le parfum pétrichor des bois après l'averse, le caresse de la lune et le cri du corbeau résonnèrent dans son âme quand Étoile de Vipère déclara :
« Alors, à partir de cette nuit, Nuage d'Obsidienne disparaît et laisse place à Perle d'Obsidienne ! Nous saluons tes talents et ta persévérance ! »
Oui, c'était son nom.
« Perle d'Obsidienne ! Perle d'Obsidienne ! Perle d'Obsidienne ! »
Son clan l'acclamait, son rêve se réalisait.
Ils acclamaient Perle d'Obsidienne !
Euphorique, la guerrière songea qu'un jour ils acclameraient Étoile d'Obsidienne avec encore plus de ferveur.
Elle aimait être acclamée, rien n'était plus beau !
Perle d'Obsidienne ferma les yeux et murmura pour elle-même :
« Acclamez-moi ! »
~~~O~~~
~•~ Langue de Vipère ~•~
Étoile Ténébreuse avait mis fin à ses jours la nuit même où il avait ôté la vie de celle qui avait été sa compagne.
Langue de Vipère n'arrivait pas à comprendre comment son chef avait pu prendre deux décisions aussi irrationnelles en si peu de temps...
Pire, elle avait l'impression d'avoir échoué à protéger son meneur. Voir sa lourde silhouette immobile dans sa tanière, la gueule rouge encore du sang de Bise Nocturne et des baies empoissonnées qu'il venait d'avaler.
Oui, elle se sentait coupable.
Coupable, le mot était faible... Langue de Vipère se sentait rongée par les remords. Cette sensation qu'une horde de termites s'accrochaient à son cœur comme à un tronc d'arbre, lui était insupportable.
La mort de Fumée du Ciel, celle de Griffe d'Ours, Pleurs de Louve et sa sœur, sans oublier son meneur... qu'elle soit liée de près ou de loin à ces événements Langue de Vipère ne pouvait s'empêcher de se dire : « Et si j'avais fait ceci, ou cela... les choses auraient-elles été différentes ? »
Mais l'on peut refaire une vie avec des « si », n'est-ce pas ?
Langue de Vipère suivait Fleur de Lierre en direction de la Source de Lune. Aucune d'elles n'avaient envie de parler pour ne rien dire, si bien que seules les sonorités parfois douces parfois fracassantes de la nature venaient masquer ce silence sidéral, abyssal.
Où était son équilibre ? Avait-il seulement existé ?
La stabilité, la sécurité, la sérénité... tout cela lui paraissait bien loin.
Tout son raisonnement était-il caduque ?
Dans ce cas tout allait s'écrouler, toutes ses certitudes allaient s'évaporer au moment où elle en avait le plus besoin !
Au moment où elle allait devenir chef, où il lui fallait prestance et assurance, tout tombait en poussière.
L'équilibre n'était qu'une vaste fumisterie, une figure fourbe du déni, un leurre pour les désespérés.
Les vies accordées par les esprits de jadis la déchirèrent, la dévorèrent, la déboussolèrent ...
tout était flou, tout n'était que souffrance.
Les félins qui se succédaient devant elle venaient d'un autre temps, d'un monde oublié par les plus jeunes. Pourtant leurs noms lui étaient étrangement familiers :
Étoile Écarlate, Silhouette-des-Ombres, Papillon de Minuit...
Des vies qui apportaient avec elles des valeurs ancestrales : Une fidélité indéfectible, un courage sans failles ou encore une noble clémence.
Rien que cela !
Plus tard des visages connus apparurent :
Sa mère, Croc de Couleuvre, l'effleura du bout de la truffe.
Langue de Vipère se sentit aussitôt beaucoup plus jeune, beaucoup plus heureuse...
« Avec cette vie, ma tendre petite, je te donne l'amour ! »
La douleur remplaça la quiétude.
Aussitôt Langue de Vipère se blottit contre le poitrail de sa mère.
Petite Vipère savoura son odeur et sa douceur. Petite Vipère existait toujours, mais cet univers était trop dur pour elle.
« Tout ira bien, tu verras, je suis là... »
Langue de Vipère ouvrit les yeux, elle était seule.
Les paroles de Croc de Couleuvre résonnaient encore dans le noir absolu.
Puis vint le tour de Griffe d'Ours, véritable colosse de cuivre et d'argent, qui s'approcha d'elle d'un pas ample et aérien.
Ses yeux de miel et sa voix chaleureuse lui arrachèrent le cœur, son mentor lui manquait terriblement :
« Ma chère élève, avec cette vie je te donne la fantaisie ! Laisse-toi aller, réapprends à rire, tu n'en seras que plus forte. »
À peine avait-il fini de parler que sa silhouette s'estompait déjà.
« Je suis désolée ! Lança Langue de Vipère au spectre évanescent avec l'énergie du désespoir.
- Ne le sois pas, je suis mort en faisant ce que j'aimais le plus : combattre pour mon clan. Rends-moi fier de toi en faisant de même ! »
Langue de Vipère hocha la tête en direction de Griffe d'Ours mais celui-ci avait déjà disparu, laissant place à Chant du Corbeau.
L'ancien lieutenant, noir comme l'orage et brillant comme les étoiles, s'installa souplement devant elle :
« Avec cette vie je te donne la fierté et la stratégie, les fondements de l'identité de notre clan. Ne jamais baisser la tête et apprendre à mesurer ses forces sont les clés de la victoire. »
Langue de Vipère trembla de douleur quand il lui effleura le front.
Quand elle se redressa, Chant du Corbeau était toujours là, bien que légèrement en retrait.
À sa place se tenait deux petites boules poils charbonneuses :
« Nous sommes Petite Mémoire et Petit Songe, et avec cette vie nous te donnons la foi et l'espoir ! Sans cela, la vie est bien malheureuse.
- Vous avez la foi alors que vous n'avez jamais pu goûter à la vie ? »
Langue de Vipère se dit qu'elle dépassait les limites mais l'ironie de la situation la répugnait.
Pourtant le regard de ces chatons épargnés par le cynisme brillait de candeur :
« La foi n'est pas forcément envers tes aïeux, Langue de Vipère. Avoir foi en soi, en ses proches, en ses valeurs c'est parfois amplement suffisant ! »
Les deux chatons se frottèrent gentiment entre ses pattes et filèrent retrouver leur père.
Chant du Corbeau regarda sa progéniture avec amour et, avant de s'en aller, lui lança avec son sérieux habituel :
« Ma fille est une battante mais elle doit apprendre à choisir ses combats. Guide-là. »
Au moment où elle allait répondre, apparut celui qui lui manquait chaque jour depuis bien des lunes.
Elle savoura sa présence comme le cadeau le plus précieux. À ce moment précis elle se dit qu'elle avait une chance folle, rares sont les vivants qui peuvent côtoyer les morts.
Fumée du Ciel colla sa tête contre la sienne et tous deux restèrent sans rien dire pendant un fragment de seconde.
« Avec cette vie je te donne le sens du sacrifice ! Si un jour tout est sombre et qu'il ne te reste que ce coup à jouer, sache que je serai à tes côtés ma sœur. »
Langue de Vipère cria de douleur quand sa nouvelle vie lui fut insufflée. Mais malgré sa souffrance, elle savoura son étreinte avec son frère de toutes ses forces avant de déclarer fermement :
« Un jour je te retrouverai.
- Oui, un jour nous nous retrouverons. Fais tout pour que ce jour soit le plus lointain possible, tu as le droit de vivre ... »
Langue de Vipère vit les traits de Fumée du Ciel se troubler puis disparaître mais jusqu'au bout ils se regardèrent, comme pour prolonger un peu ce moment de paix.
Enfin, de la pinède d'argent s'échappèrent deux ombres lumineuses : Bise Nocturne et Pleurs de Louve.
Les sœurs gracieuses et superbes, semblables à deux diamants noirs rutilants, s'installèrent devant elle.
Langue de Vipère dévisagea Pleurs de Louve avec des yeux chargés d'excuses et d'angoisses.
Pourtant l'expression des deux guerrières respirait calme et apaisement. Elles étaient à leur place, à l'abri auprès de leurs ancêtres.
Elles avaient bénéficié du pardon de leurs aïeux, leur punition dans le monde des vivants avait donc suffit.
« Avec cette vie, Langue de Vipère, nous te donnons la dévotion à toute épreuve ! »
Une flamme ardente l'engloutit quand leurs truffes l'effleurèrent, c'était la hargne brasillante de ceux qui se battent jusqu'à leur dernier souffle.
Bise Nocturne s'écarta et avant de disparaître lui murmura :
« Merci de t'être battue pour protéger notre honneur tachée. Ne culpabilise pas trop, Étoile Ténébreuse avait ses raisons... »
Pleurs de Louve allait suivre sa sœur dans les limbes lumineuses mais d'un coup, la guerrière défunte se figea, se retourna, et braqua sur elle deux émeraudes mystérieuses d'intensité :
« Regarde sous tes pattes, vois en toi-même et accepte. »
Sans comprendre, Langue de Vipère s'exécuta, qu'elle ne fut pas surprise de trouver sous ses coussinets deux pierres.
Sous sa patte droite se trouvait une orbe noire, parfaite et lumineuse.
Sous la gauche, une orbe aussi identique qu'elle était ténébreuse, mais décorée malgré elle d'une foule de fissures nacrées à peine visibles...
Le comble de la stupéfaction atteint son paroxysme quand elle sentit une morsure glacée sur sa langue.
La lieutenante ouvrit la gueule et aussitôt s'en échappa une troisième perle, aussi obscure que l'ébène, qui se cassa en deux à son contact avec le sol.
De cette dernière sphère brisée se dégageait rancoeur, pourriture et chaos.
Une valse d'échos sibyllins se mit aussitôt à virevolter dans les volutes nébuleuses des ténèbres. Les murmures capricants persiflaient et la raillaient sans cesse. Langue de Vipère n'arrivait pas à comprendre leurs paroles cabalistiques, tout était fumeux et inintelligible !
« Toutes trois sont des perles d'obsidienne, déclara simplement Pleurs de Louve, Au fond de toi tu sais déjà, tu comprends Langue de Vipère, alors accepte. »
Oui elle savait, oui elle comprenait, mais jamais elle n'accepterait.
« Je la guiderais.
- Peut-être réussiras-tu là où je n'ai pas eu le courage d'essayer... »
Après un salut Pleurs de Louve se fondit dans un halo éthéré, la laissant seule.
Langue de Vipère se sentait tirée en arrière, elle ne bougeait pas mais la pinède semblait tourner à l'infini autour d'elle.
De cette spirale interminable s'éleva un chœur de voix aussi belles que tonitruantes :
« Étoile de Vipère ! Étoile de Vipère ! Étoile de Vipère ! »
Ce mélange d'images floues et de sonorités discordantes la firent sombrer dans le néant.
À son réveil, Fleur de Lierre la regardait avec un drôle d'éclat dans le regard :
« Bon retour parmi les vivants. Rentrons.
- Oui, rentrons. »
Étoile de Vipère se leva, un poids nouveau sur les épaules.
Le poids de son nom et de ce qu'il impliquait.
« Longue vie à toi, Étoile de Vipère ! » songea-t-elle avec sarcasme.
Le ciel était sombre et aussi trouble que la surface huileuse d'un marécage, un orage se préparait derrière les nuages fuligineux.
Étoile de Vipère l'entendait déjà gronder au fond d'elle.
~~~0O0~~~
Hello !
La première partie de cette fanfiction est enfin terminée.
Un grand merci à vous tous pour votre présence et vos commentaires.
Je m'excuse encore une fois pour la lenteur de la publication mais j'espère que cette « fin » vous a plu.
N'hésitez pas à me donner votre avis, c'est toujours un plaisir !
La suite est déjà prête, et sortira incessamment sous peu.
Bonne journée à tous !
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