5/ Entre Rêve et Réalité

Petit Azur était au pied de la colline qui menait à la sortie du camp, il n'avait pas le droit d'aller plus loin, c'était la règle.
Pourtant aucun son ne venait de nulle part: pas de voix, pas de cri, pas de souffle... rien.
Il ne voyait pas un seul de ses compagnons, ne sentait pas la moindre odeur, comme si tout avait disparu. Il était seul.

Alors il commença son ascension, visant le point culminant de la butte. Il y arriva sans effort, progressant naturellement, sans peiner un instant dans la pente couverte d'herbe douce. Enfin arrivé au sommet, un paysage grandiose s'ouvrit devant lui: vaste et sauvage, magnifique et serein... c'était la lande, sa lande.

Il tourna légèrement la tête vers la droite et eut la surprise de croiser le regard bleuté d'une petite chatte à la fourrure d'un blanc éclatant. Elle le salua d'un geste de la queue et ouvrit la conversation sur une banalité:

« Jolie vue n'est-ce pas ?

- C'est drôle... murmura-t-il, les autres m'ont toujours dit qu'il faisait froid ici, que le vent rugissait plus fort que mille lions en colère et que la pente était ardue pour les jeunes chats.

- Mais tout est possible en rêve, non ? lui repondit la lumineuse femelle.

- Tout paraît pourtant si réel...

- Le rêve c'est l'illusion tu as raison, mais symbolise-t-il nécessairement la tromperie ?

- Je ne sais pas, je n'ai jamais rêvé.

- Jamais ?

- Pas comme ça en tout cas », Conclut le jeune matou, pas plus inquiet que ça.

Le silence les envelopa, plus délicatement qu'une chatte berce ses chatons, et c'est naturellement que les paroles disparurent, paraissant comme superflues devant ce ciel étoilé.
Le temps était immatériel: juste un facteur inutilement présent, bien méprisable face à cet instant d'éternité.

« Tu as un nom ? demanda-t-il, sans réellement attendre une réponse.

- Comme tout le monde.

- Tout le monde a un nom ?

- Oui, tout le monde mérite de pouvoir être appelé, tu ne crois pas ?

- Si, j'imagine. Comment dois-je t'appeler ? l'interrogea-t-il, le regard toujours perdu à l'horizon.

- Nuit Claire, tu aimes ?

- Beaucoup, c'est en accord avec le ciel, aucun nuage ne vient l'assombrir.

- Cette nuit touche à sa fin, bientôt tes yeux s'ouvriront sur le jour.

- Déjà ?

- Tu as trouvé ça rapide ?

- Hors du temps, plutôt, répondit simplement Petit Azur. Je te reverrai ?

- Plus tôt que tu ne le crois »

Et c'est sur ces derniers mots qu'il ouvrit les yeux, la tête encore embrouillée de fatigue.
Petit Azur oublia bien vite son rêve, il avait bien plus important à penser: aujourd'hui aurait lieu son baptême d'apprenti.
Enfin !

~~~O~~~

Petite Obsidienne regardait les grands pins se dresser au-dessus d'elle, ils semblaient la toiser avec une suffisance mal dissimulée. La nuit noire avait drapé les cieux d'une ténébreuse cape brodée d'étoiles et ces dernières scintillaient comme des éclats de diamant.
Mais bien que magnifique, ce plaisir des yeux ne lui donnait aucune indication sur le lieu où elle se trouvait.
Ses pattes foulaient le sol couvert d'aiguilles depuis un moment déjà, cherchant un but dans cette expédition nocturne imprévue. Bientôt, elle déboula sur une petite clairière en hauteur qui dominait une pinède et où on pouvait voir, au loin, un lac nimbé de doux rayons lunaires.
En son centre, siégeait un grand matou noir au pelage luisant qui ne semblait pas s'intéresser à sa venue. Il restait là, assis et immobile, comme une statue de pierre sombre.

Confiante la petite chatte s'installa à ses côtés, attendant une quelconque réaction de sa part, mais rien ne vint, le mâle continuait à fixer le ciel.
Elle se risqua à poser la question qui lui brûlait la langue depuis son arrivée en ces lieux:

« C'est la forêt sombre ?

- Pourquoi penses-tu ça ? l'interrogea-t-il, en braquant enfin ses belles prunelles rougeoyantes dans les siennes.

- Je ne sais pas, c'est sombre.

- C'est tout ?

- Oui, je me trompe ?

- Peut-être.

- Ce n'est pas une réponse !

- Mais es-tu sûre d'avoir posé une question ?

- Évidemment.

- Veux-tu toujours une réponse ?

- Je ne sais plus maintenant, c'est de ta faute !

- Je ne peux pas savoir à ta place.

- Tu m'as embrouillé l'esprit !

- J'en suis désolé.

- Vraiment ?

- Pourquoi mentirai-je ?

- Bonne question, je rêve n'est-ce pas ?

- Indubitablement.

- Je m'appelle Petite Obsidienne et toi ?

- Soleil Cendré.

- C'est beau.

- Si tu le dis.

- Je vais me réveiller quand ?

- D'ici peu, j'imagine.

- Je vais te revoir un jour ?

- Une nuit serait plus juste.

- Je vais te revoir ?

- Sans aucun doute »

Et c'est sur ces dernières répliques que Petite Obsidienne se réveilla, les pattes et les paupières encore lourdes de sommeil. Elle avait l'impression d'avoir fait un effort titanesque !

« Drôle de songe », pensa-t-elle.

Mais son esprit était ailleurs, et cela pour une bonne raison: elle allait devenir novice, aujourd'hui elle allait pouvoir faire ses preuves...
Enfin !

~~~O~~~

« Voilà tu es plus blanc que la neige la plus pure ! se réjouit sa mère, après avoir passé un énième coup de langue sur la tête de Petit Azur.

- Voyons Vol de Colombe... la gourmanda gentiment son compagnon, la beauté est dans le cœur, pas dans la propreté des poils !

- Je te signale, mon cher, que ma mère disait toujours : "Qui a l'esprit clair doit avoir la fourrure propre !"

- Ta mère était folle... ronchonna Plume de Cygne, agacé.

- Mais non voyons, Lune du Nord était une grande guerrière ! J'admets que sur la fin elle était un peu...

- Folle.

- Survoltée serait plus juste, gronda-t-elle en fusillant son amour du regard.

- Il est quand mon baptême ? les coupa leur fils, se fichant pas mal de la discussion familiale à trois sous.

- Quand Étoile Venteuse se réveillera je pense, il est encore tôt, lui répondit une autre voix, quelque peu endormie.

- Lièvre-des-Neiges ! s'exclama le jeune chat en s'approchant de son cousin, je suis sûr que tu seras mon mentor !

- Voilà qui est peu probable ! ronronna l'intéressé, On ne donne presque jamais des novices à des guerriers aussi jeunes que moi ! Mon baptême remonte à trois lunes seulement.

- Mais j'aimerais passer plus de temps avec toi moi ! rouspéta le chaton, dépité. Je vais devenir un chasseur prodigieux, ce serait dommage que tu rates mes progrès fulgurants.

- Ne t'inquiète pas, je suis persuadé que tes exploits feront le tour du camp et ça en moins de temps qu'il ne faut pour le dire ! », le rassura le jeune combattant, en essayant de garder son sérieux face à l'assurance démesurée de son cousin.

Ils restèrent longtemps à parler de tout de et rien, si longtemps que le soleil montait doucement dans le ciel sans que rien ne vienne les troubler. Petit Azur, lui, en avait presque oublié son baptême imminent et buvait les paroles de son cousin. Ce dernier lui parlait de la chasse, des combats, des assemblées... tout un monde à explorer !

Soudain, quand le soleil eut atteint son zénith, leur vieille meneuse fit son entrée: bien que ses pattes ne soit plus aussi sûres que du temps de sa prime jeunesse, son regard lui, était vif et fier :

« Chats du Vent, approchez-vous pour une assemblée du clan ! »

La patrouille de l'aube était rentrée depuis longtemps et les excursions de chasse venaient d'arriver, si bien que le clan au complet serait-là pour lui, quelle aubaine !
Il se rengorgea près de sa mère et tenta de prendre un air grave et noble qui sied si bien au guerrier !
Bientôt tous les membres se retrouvèrent autour de l'amas de pierre, du plus vieux au plus jeune, du chef aux chatons, tous étaient là pour lui !

« Bien que les petits d'Éclosion de l'Ajonc n'aient que cinq lunes et demi, je pense qu'ils peuvent eux aussi accompagner Petit Azur dans la tanière des novices », annonça Étoile Venteuse.

Cette annonce le déçut quelque peu, il ne serait pas seul sur scène...
À ses côtés, Petite Brise, Petit Choucas et Petit Zéphyr sautillaient partout, fous de joie.

« Voilà qui n'est pas digne de futurs novices », pesta intérieurement le chaton blanc.

« Moi, Étoile Venteuse, chef du Clan du Vent depuis bien des lunes, j'en appelle à nos ancêtre pour qu'ils se penchent sur ces chatons... Petit Choucas ! », appela la meneuse en posant son regard sur le petit noiraud.

Le premier nommé n'en menait pas large, tout timide, il se présenta devant le rocher cérémonial la tête baissée :

« Désormais tu seras Nuage de Choucas et Kyrielle de Guêpes sera ton mentor ! J'espère qu'elle réussira à t'apprendre la prudence et le respect des règles, ce qui te manque cruellement jeune chat ! »

La ravissante minette s'approcha et effleura la truffe du jeune matou avec finesse, avant de retourner s'assoir dans les rangs accompagnée de son nouvel élève.

La cérémonie continua et la délicate Nuage de Brise reçut pour mentor le magistral Mistral Hivernal, quant à Nuage du Zéphyr, son deuxième frère, il eut pour professeur l'intrépide Oreille de Mustang. Petit Azur regarda les nouveaux duos se former en attendant désespérément son tour, jamais il n'avait ressenti autant d'émotions contradictoires: La joie, la peur, la fierté, l'espoir, l'angoisse, l'impatience...

« Petit Azur, approche-toi ! »

La voix cassée de sa chef le tira de sa rêverie, c'était son tour. Ce tour qu'il attendait depuis six lunes !
Il se redressa et arriva lui aussi devant se fameux roc ancestral, c'était à lui de montrer sa valeur, d'illustrer son honneur et de souligner la noblesse d'âme de son cœur !

« Maintenant tout le monde te connaîtra sous le nom de Nuage d'Azur... »

Le jeune chat immaculé ne bougeait plus, trop heureux, jamais tant d'impatience ne l'avait traversé à ce point.

«  ... et ton mentor sera Rafale Hurlante ! Puisse-t-elle te transmettre sa fougue et son intelligence ! »

Nuage d'Azur n'en revenait pas, il était l'élève de la lieutenante, c'était juste trop beau pour être vrai, c'était fou !
Rafale Hurlante lui fit un clin-d'œil, amusée par l'excitation qu'elle pouvait lire dans ses yeux émerveillés.
Enfin, la femelle élancée s'approcha de lui de sa démarche souple et toucha rapidement son museau, scellant ainsi la cérémonie, il était novice...
Il n'y croyait pas, il rêvait éveillé.

~~~O~~~

Les derniers feux du jour mourraient à l'horizon, dans quelques instants la nuit s'abattrait sur la clairière de pin et son baptême aurait lieu.
Une des coutumes du clan de l'Ombre consistait à célébrer chaque cérémonie importante à la nuit tombée, sous le regard de la chouette et du hibou et sous les hurlements des loups.

Petite Obsidienne attendait devant la pouponnière, accompagnée de Petit Puma, un des seuls chats qui avaient encore confiance en elle.

« Je vais m'ennuyer sans toi, soupira le petit mâle crème, les yeux obstinément baissés.

- Toi et Petit Balbuzard n'avez plus que deux lunes à attendre pour me rejoindre, tenta de le réconforter la femelle de jais.

- Ça me parait interminable.

- Et puis d'ici peu les petits de Lumière Sombre pourront jouer avec vous, non ?

- Petit Marais, Petit Lichen, Petite Ronce et Petit Gui seront toujours trop jeunes par rapport à nous, ils n'ont qu'une demi-lune... soupira-t-il, Oh ma mère m'appelle je dois y aller, à tout à l'heure ! »

Le soleil se faisait dévorer par la lune montante, d'ici peu seule la lueur blafarde des étoiles illuminerait la forêt et les réjouissances commenceraient.
Petite Obsidienne regarda son pelage : il était bien soyeux, mais elle avait quand même le sentiment d'avoir la peau sur les os, la faute à la saison froide qui touchait désormais à sa fin.

« Tu veux de l'aide pour ta fourrure ? »

Étonnée, elle croisa le regard émeraude de Pleurs de Louve, regard qu'elle n'avait pas croisé depuis trois lunes maintenant.

« Non, répondit froidement la petite femelle.

- C'était po...

- Pour quoi ? cracha-t-elle, pour me montrer que tu ne m'avais pas totalement oubliée ?! Voilà qui est trop aimable de ta part, mère.

- Je t'interdis de...

- Tu as perdu ce droit quand tu as décidé de vivre comme si je n'avais jamais existée ! Tu m'as laissée seule, sans rien m'expliquer, comme si je n'étais qu'un simple boulet ! Tu ne pouvais pas simplement attendre trois lunes de plus pour me donner l'illusion d'avoir l'ébauche d'une famille !? Non, il a fallu que tu retrouves ta liberté ! Alors maintenant que tu es libre de tes mouvements, laisse-moi vivre ma vie à mon tour, c'est la moindre des choses.

- Ton père est aussi fautif que moi ! se défendit-elle, outrée que sa progéniture lui parle ainsi.

- Oui, mais il a la décence de ne pas venir me voir comme si de rien n'était... »

Sa génitrice allait répondre mais Étoile Ténèbreuse l'en empêcha, ce dernier venait de bondir sur la première branche de l'Arbre Creux et bientôt son miaulement rocailleux appela le clan à se réunir.
Les chats en train de manger finirent leur proie en deux coups de crocs avant de rejoindre le lieu de réunion, la patrouille du soir décida d'écouter la cérémonie avant de partir et les anciens ne tardèrent pas à arriver.
D'un regard du meneur, le silence s'installa et Petite Obsidienne s'avança sous les prunelles parfois méprisantes de ses camarades. Arriverait-elle à se racheter à leurs yeux ?

« Moi, Étoile Ténèbreuse, chef du clan de L'Ombre, en appelle au clan des Étoiles pour qu'il se penche sur cette chatonne. Petite Obsidienne est aujourd'hui âgée de six lunes, elle peut enfin devenir novice sous le nom de Nuage d'Obsidienne ! annonça le grand chef. J'ai donc choisi Langue de Vipère pour être son mentor. J'espère que tu sauras lui transmettre tes talents de combattante et peut-être même apprendrez-vous ensemble les valeurs du pardon »

Des murmures inquiets parcoururent l'assemblée...
Tout le monde connaissait la rancœur de la jeune guerrière envers la chatte qui avait mené Fumée du Ciel au trépas, c'était peut-être une mauvaise idée de la lui confier...

« Langue de Vipère est bien trop jeune ! pesta Regard Voilé, Voilà à peine trois lunes qu'elle a cessé de s'occuper de mes tiques !

- Mon choix est fait, c'est irrévocable »

L'ordre était clair, Nuage d'Obsidienne ne pouvait pas s'y dérober, elle s'obligea donc à rejoindre la grande guerrière aux yeux jaunes. Des yeux jaunes luisant de mépris à son égard...
Elles partaient sur de bonnes bases, aucun doute là-dessus !

La toute jeune novice tendit la truffe vers celle qui devait la former, mais aucun museau ne vint l'effleurer en retour.
Le cœur battant la chamade, la colère lui échauffant le sang et la déception brûlant son âme la chatte noire ferma les yeux et attendit, le nez toujours levé en signe d'espoir.
Le silence avait de nouveau frappé le clan et le malaise étouffait tout le monde, une question demeurant dans l'esprit de chacun : Langue de Vipère allait-elle l'accepter comme apprentie ?

Mais après de longues secondes d'attente une truffe froide la toucha rapidement, si rapidement que la cadette pensa l'avoir imaginée.

« Nuage d'Obsidienne ! », cria en premier Nuage d'Énigme, bientôt suivi timidement par les chatons et le reste du clan.

L'intéressée écouta les acclamations des siens avec fierté, même si ces dernières étaient faibles c'était mieux que rien.
Enfin, l'élève regarda son mentor et un mélange d'émotions les traversa, aucune d'elles deux ne savaient comment réagir, elles restèrent donc figées, campant sur leurs positions et refusant de baisser la garde face à l'adversaire.

Nuage d'Obsidienne était enfin novice, mais à quel prix ?
Pour l'instant elle avait plus l'impression de cauchemarder éveillée...

~~~O~~~

Enfin nouveau chapitre !
Oui je suis très longue dans mes publications et j'en suis désolée.

Alors qui sont Nuit Claire et Soleil Cendré ?
C'est avec eux que l'intrigue commence vraiment, ils marquent le commencement et aussi la fin du monde enfantin des deux chatons.
Les dialogues entre eux étaient donc très simples pour illustrer d'abord le rêve et d'une certaine façon les dernières marques de la jeunesse !

J'espère que ce chapitre assez long vous a plu et j'attends vos retours avec impatience.

~ Bise ~

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