20/ Une Chaleur Accablante

« Les tiens paieront demain l'affront que tu me fais aujourd'hui Étoile Hurlante ! »

La menace, emplie de rancœur et de mépris, frappa la lande avec la hargne d'un coup de tonnerre et la large patte anthracite d'Étoile Ténébreuse déchira la terre desséchée par l'impitoyable soleil.

Les vents hystériques, pareils à mille lions furibonds, rugirent dans le ciel noirci à l'horizon, tandis que la patrouille de l'Ombre s'évaporait comme un mirage dans les plaines poussiéreuses.
Pourtant la sentence prochaine serait-elle, bien réelle...

Alors que l'inquiétude lui rongeait les sangs, la meneuse du Vent vit les silhouettes des chats de la pinède s'effacer dans le lointain. Seul le Clan des Étoiles savait ce que l'avenir réservait aux siens.

« Suis-je une bonne chef ? » s'interrogea-t-elle en braquant droit devant elle un regard chargé d'angoisse.

~~~O~~~

   « Qui est-elle pour me refuser son soutien ! cracha Étoile Ténébreuse, fou de rage, Une chef fraîchement nommée qui s'oppose à moi !? Le meneur du clan le plus redoutable ! Moi qui lui ai apporté mon aide quand son clan d'incapables se faisait écraser comme une vulgaire mouche ! Une fois Étoile Ardente prosternée à mes pattes j'irai lui régler son compte à cette chatonne arrogante !

- Elle n'est pas si jeune ! ronronna Murmure de Lune en donnant un coup de museau amical dans l'épaule crispée de son frère aîné.

- Peu m'importe ! Chant du Corbeau et Sifflement du Serpent sont morts pour protéger ses guerriers ! Et rien ! Rien... pas la moindre compensation ! Je jetterai son cœur pourri aux charognards ! »

Nuage d'Obsidienne secoua la tête d'agacement, Étoile Ténébreuse était comme un orage bruyant : beaucoup de bruit pour pas grand chose ! Des paroles véhémentes certes, mais très peu d'actes en conséquence. Ainsi elle ne s'inquiétait pas trop pour le sort du clan du Vent, ce dernier avait largement le temps de se récurer les griffes avant que les représailles ne s'abattent !

La discussion entre les deux meneurs avait été brève et, à peine arrivée, la patrouille repartait déjà. Étoile Hurlante ne voulait pas lancer son clan dans une vengeance qu'elle qualifiait de "sanguinaire" et "d'irréfléchie" !

« Père, attaquons-nous toujours le clan du Tonnerre cette nuit ? demanda Sombre Énigme avec une indifférence feinte.

- Sans le clan du Vent c'est plus que risqué ! s'écria Murmure de Lune, nerveux.

- C'est même audacieux ! renchérit Croc de Cobra, Se jeter dans leur camp, qu'ils connaissent indéniablement mieux que nous, c'est... c'est une belle façon de mourir !

- Donc tu serais pour ? reprit son ancien élève.

- Oui Sombre Énigme, Sifflement du Serpent était mon frère et plonger mes crocs dans ces bouffeurs d'écureuils me comble déjà de joie ! »

les yeux du vétéran brillèrent sous la lumière aveuglante du zénith et Nuage d'Obsidienne réussit à déceler au fond d'eux de la colère, un sourd désir de vengeance et quelques notes de mélancolie.

Voilà qui est bien différent du Croc de Cobra que je connais !

« Et toi, Langue de Vipère, qu'en penses-tu ? » lança Etoile Ténébreuse à la guerrière murée dans un profond silence.

La grande femelle tigrée secoua indolemment sa longue queue avant de déclarer avec une froide détermination :

« La nuit est notre élément et la ruse est notre deuxième nature, la victoire est donc atteignable.

- Mais il y aura nécessairement un prix à payer... gronda sombrement Murmure de Lune avec dépit, Sommes-nous prêts à cela ?

- Rares sont les batailles qui ne volent pas des vies. Rares sont les combats qui ne sèment pas la mort, feula doucement Langue de Vipère.

- L'Assaut de ce soir est maintenu ! » conclut Étoile Ténébreuse pour le plus grand bonheur de Nuage d'Obsidienne.

Son épaisse fourrure dorée, ses larges prunelles jaunes, sa voix arrogante, son orgueil... Nuage d'Obsidienne ferait tout disparaître, détruirait tout, réduirait tout cela à néant.

Bientôt Étoile Ardente ne serait plus rien.

Juste un cadavre de plus.

~~~O~~~

    Nuage d'Azur dévala la colline qui menait au ruisseau séparant son territoire de celui du clan de la Rivière.
Peu après le départ du clan de l'Ombre, Étoile Hurlante avait dépêché une patrouille sur la frontière de la Rivière.

La rivière était un lieu étonnant pour lui, c'était une ambiance qu'il ne connaissait pas.
La lande rugit et la lande murmure ! Les vents giflent les longues fourrures et les brises chantonnent aux creux des oreilles attentives.

Il n'y avait rien de tout cela près de la frontière des chats pécheurs, rien de tout cela...

Les flots impétueux grondent parfois mais le plus souvent le doux clapotis émet un rire qui apaise les âmes perdues. La rivière est mutine et insouciante, elle galope entre les rochers et les poissons insaisissables. Mais il lui arrive de bouder et de se figer pour plusieurs lunes avant de craquer et de tonner son houleuse colère. Nuage d'Azur aimait bien cet esprit empreint de jeunesse et de sagesse, d'émotions et de silence, de rire et de larme.

En trois lunes ses pattes s'étaient allongées et son corps semblait plus élancé. Il avait l'allure encore frêle et dégingandée de l'enfance. Parfois même il trébuchait, il lui fallait du temps pour maîtriser sa nouvelle morphologie. Le pelage duveteux et les traits ronds du chaton n'étaient plus, Nuage d'Azur avait indéniablement grandi.
Sa fourrure, aussi blanche et lumineuse qu'un bloc de marbre transpercé par les vigoureux feux du jour, était plus longue et plus lisse. Sa queue en panache, semblable à la plume d'un grand cygne, aimait onduler dans la douce bise des plaines.
Ses yeux, pareils à deux pierres du bleu le plus pur et le plus beau, avaient conservé une candeur touchante.

C'était les yeux de sa mère.

Son air insolent, ses mauvaises habitudes, ses pensées hâtives...
Tout cela était encore là bien sûr. Il était incapable de se prendre vraiment en charge, se reposait beaucoup sur son mentor, s'ennuyait parfois et parlait toujours sans réfléchir. Il n'empêche que les prémices de la maturité commençaient à germer en lui. Les pertes endurées et les combats menés avaient débuté à l'aiguiser sur cette vie à double tranchants. La sagesse d'Étoile Hurlante était une luciole dans les voiles obscurs de la nuit, et il la suivait à chaque instant comme un modèle, comme une représentation fidèle de la perfection.

Il s'entendait bien avec Nuage de Choucas et Nuage du Zéphyr mais son meilleur ami restait encore et toujours Héron Cendré. Ce dernier était guerrier désormais, allait-il l'oublier ?
En vérité, il s'entendait bien avec tout le monde, il était l'apprenti populaire et respecté par les plus jeunes. Et la portée de Zyréel ne tarissaient pas d'éloges à son égard !

Il fuyait Plume de Cygne et Plume de Harfang comme le mal vert. Comment leur expliquer ? Comment attaquer le sujet ?
La rage, bien que silencieuse, attendait son heure pour ressurgir.
Les siens seraient-ils identiques si il était le fils de Plume de Harfang et non de Plume de Cygne ?

Un mensonge délicieux ou une cruelle vérité... Que vaut-il mieux ?

Pour l'instant il préférait se voiler la face.

Nuit Claire semblait l'avoir oublié ! Les drôles de songes avec cette abominable chatte du clan de l'Ombre s'étaient eux-aussi suspendus, mais dès qu'il était seul il se souvenait d'elle. Un jour il savait que leurs chemins se croiseraient... Mais quand ?

« Ce que tu peux être bête Lièvre-des-Neiges ! gloussa Kyrielle de Guêpes en battant des cils devant le cousin de Nuage d'Azur.

Le beau Lièvre-des-Neiges s'amusait à imiter un chat du clan de Rivière en train de chasser le lapin. La démarche lourde et stéréotypée se voulait comique...
Nuage d'Azur était amusé devant l'air irrité de Nuage de Choucas. L'amour que ce dernier nourrissait envers Kyrielle de Guêpes ne s'était en rien atténué, bien au contraire !

« Je crois qu'elle est sous le charme de mon cousin ! murmura malicieusement le novice blanc à l'oreille du noiraud.

- Impossible... grimaça furieusement l'intéréssé.

- Tu es aveugle dans ce cas.

- Lâche-moi Nuage d'Azur !

- Tu crois vraiment qu'il peut se passer quoi que ce soit entre toi et Kyrielle de Guêpes ? Excuse-moi, tu n'es pas aveugle tu es stupide ! ricana-t-il avec méchanceté.

- On a vu des couples plus improbables... se défendit Nuage de Choucas avec humeur.

- Elle est sublime, mon cousin est magnifique. Et voilà, le parfait couple est créé ! Toi, tu es juste un chat noirâtre sans une once de charisme... Que c'est triste !

- Sérieusement ?! Ce que tu peux être superficiel ma parole ! Et c'est quoi une jolie minette pour toi ? Qu'on rigole un peu !

- Kyrielle de Guêpes est un bonne exemple. chuchota Nuage d'Azur... Toute gracile, un pelage luisant doré et joliment rayé de brun sombre avec de beaux yeux d'un jaune clair et limpide, une beauté !

- C'est tes critères ou les miens là ? se moqua Nuage de Choucas.

- La finesse que ce soit dans la taille ou dans l'esprit est une qualité primordiale.

- C'est stupide pour deux raisons... Déjà une chatte peut être magnifique sans être un modèle de minceur ! Une femelle qui s'assume et qui rayonne de bien être est superbe pour moi. Ensuite... mieux vaut pour toi que ta future compagne ne soit pas trop intelligente, tu risques de ne rien comprendre à ce qu'elle raconte avec ton cerveau de lapin ! pouffa son ami.

- Cœur de chien !

- Silence vous deux ! gronda Étoile Hurlante.

- On attends quoi au juste ? Demanda Nuage d'Azur à son mentor en se retenant de se jeter sur Nuage de Choucas.

- Vous le saurez bien assez tôt »

La voix profonde et gutturale d'Aile de Condor fit soudainement régner le silence.
Ils attendirent calmement sur la rive sableuse. Le soleil continuait sa course dans le ciel bleuté et les rayons brûlants embrasaient sans retenue tout ce qui passait à leur encontre.

« Ils surveillent leur frontière une fois par lune ou quoi ?! persifla Lièvre-des-Neiges avec un énervement croissant.

- On attend une patrouille là ?! S'écria Nuage d'Azur, sidéré.

- Nan, jure ! Je pensais qu'on attendait le Clan des Étoiles ! pouffa le deuxième novice.

- Voulez-vous bien vous taire ! »

Et l'interminable attente reprit -si bien que Nuage d'Azur commençait à piquer du nez- quand soudain...

« Qu'est-ce que vous foutez là ? cracha un solide félin gris sur l'autre berge, Vous voulez vous battre c'est ça ?!

- Nuage de Galet, c'est assez ! tonna en retour un grand mâle sombre marbré de noir tout en toisant les intrus d'un œil mauvais.

- Que voulez-vous ? les interrogea aussitôt une femelle à la fourrure ébouriffée.

- Cœur de Requin, Forte Houle, c'est un plaisir de vous voir, commença doucement Étoile Hurlante.

- Pas la peine de perdre notre temps avec de fausses paroles qui se veulent diplomates ! Gronda la chatte gris sombre, la queue battante, Si vous souhaitez de l'eau, nous n'en possédons que très peu et nous la gardons pour nous ! Débrouillez-vous !

- La saison des feuilles vertes est certes terriblement sèche, mais nous ne venons pas pour cela, répliqua posément Aile de Condor.

- Pour quelles raisons alors ?

- Pour une seule et unique raison Forte Houle, je souhaite parler à votre chef !

- Et je m'empresse de te refuser cette requête Étoile Hurlante, pas par cruauté mais pour cause pratique : Étoile du Fleuve est mort, Marée Basse est en route pour son pèlerinage à la source de lune et je ne suis que la lieutenante remplaçante pour le moment.

- Mes condoléances à tout le clan de la Rivière. Comment ce vénérable meneur s'est-il éteint ?

- Cela ne vous regarde en rien, les cingla la guerrière adverse, glaciale, Reprenez votre chemin et ne revenevez que demain matin si vous souhaitez toujours rencontrer notre nouvelle meneuse.

- Nous reviendrons.

- Et nous vous attendrons »

La patrouille des hauts plateaux fit demi-tour mais, même de dos, Nuage d'Azur pouvait sentir le regard froid de Forte Houle sur sa nuque.

Une interrogation demeurait : Pourquoi Étoile Hurlante souhaitait-elle s'entretenir avec le défunt meneur de la Rivière ?

~~~O~~~

     L'air, chaud et chargé des senteurs florales, montait à la tête de Nuage d'Obsidienne. Bien que la nuit soit noire, la chaleur persistait et le couvert des grands chênes empêchait la bise de souffler aisément.
La femelle de jais regrettait déjà la douce fraîcheur de la pinède maintenant que ses pattes venaient de franchir la frontière.

Doucement le tapis d'aiguilles, la terre humide et les hauts conifères s'inclinèrent devant l'herbe jaunie, la terre craquelée par la sécheresse et les feuillus aux troncs épais.
Les parfums entêtants des fleurs exubérantes, la cavalcade de petits rongeurs affolés ou la caresse sans délicatesse des feuilles des arbrisseaux, tout cela était bien différent de ce que la novice connaissait. Dans ces moments là Nuage d'Obsidienne comprenait le gouffre qui séparait souvent les clans. Ils avaient beau avoir les mêmes rites et le même code, ils n'avaient pourtant rien en commun au niveau du cadre de vie.

Plus la grande patrouille de l'Ombre avançait en territoire ennemi plus la végétation devenait dense et menaçante. Les buissons épineux cherchaient à les ralentir, les racines dissimulées sous la mousse voulaient les voir trébucher, et c'était sans compter l'odeur pestilencielle du clan du Tonnerre qui devenait toujours plus forte à chaque pas.
Malgré tout, chaque chat cheminait sans un bruit, sans un râle, sans un souffle... seulement poussé par une vengeance plus lancinante à chaque foulée.

Nous y sommes presque...

Le terrain devenait pentu, bientôt ils atteindraient le camp caché dans un grand trou aux parois rocailleuses selon les dires des vétérans.
À son côté marchait Langue de Vipère et juste derrière elle Nuage d'Obsidienne pouvait sentir la présence rassurante de Sombre Énigme. L'impatience lui démangeait les griffes et la haine lui dévorait l'âme comme si un feu ardent la consumait.

Bientôt la colonne féline se figea non loin de l'entrée du camp adverse.
Un jeune combattant faisait le guet, peut-être un tout nouveau chasseur en train d'exécuter sa veillée...

Sort Funeste s'approcha dans l'ombre sans faire faire crisser une seule feuille. À quelques longueurs de renard du gardien, et à l'opposé des attaquants, le félin fit volontairement craquer une brindille avant de détaler dans l'obscurité, bientôt talonner par le jeune guerrier crédule.
La voie était désormais libre.

Tout s'enchaîne sans souci...

Les félins suivirent Étoile Ténébreuse et se précipitèrent avec la souplesse des ombres dans l'enceinte du camp pour se jeter sur l'ennemi endormi.
Exaltée, Nuage d'Obsidienne ne vivait plus que dans l'attente du combat imminent.
Mais après avoir fouillé les tanières de fond en comble, il fut évident que toutes les litières étaient désespérément vides.

« Je peux peut-être vous aider ? » susurra quelqu'un derrière eux.

Tous se retournèrent comme un seul chat et tous virent la même chose :

Une longue ligne de guerriers, sortant des voiles impénétrables de la nuit sans étoiles, venait de les suivre discrètement à l'intérieur du camp.
Étoile Ardente se tenait à leur tête, une expression victorieuse animant ses traits et une étincelle mauvaise enflamant ses prunelles.

« Surprise ! » feula-t-elle, hilare devant l'air furieux d'Étoile Ténébreuse.

Une question tournait en boucle dans l'esprit en surchauffe de Nuage d'Obsidienne :

Comment avait-elle su pour l'embuscade ?

~~~O~~~

Hey !
Enfin un nouveau chapitre.

Une petite discussion entre Nuage d' Azur et Nuage de Choucas sur la beauté féline.
Là encore Nuage d'Azur est plein de préjugés et j'essaye de lui montrer à travers différents personnages qu'il doit apprendre à être plus ouvert !

La rencontre avec de nouveaux membres du clan de la Rivière et l'annonce de la mort d'Étoile du Fleuve.
Pour le moment on ne sait pas ce que voulait demander Étoile Hurlante à ce dernier.

Et enfin l'arroseur arrosé avec l'échec total et absolu de l'embuscade dans le camp du Tonnerre avec une Étoile Ardente sûrement sur les nerfs !

N'hésitez pas à me donner votre avis !

~ Bise ~

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