Prologue

     Un cri glaçant retentit dans le camp de l'Ombre, un cri de douleur qui venait plus précisément de la pouponnière. Cette dernière se trouvait entre les branches tombantes d'un grand pin, le tout renforcé d'aubépine et de ronces aux pointes acérées.

Sous cette nuit sans étoile, aux prémices de l'hiver, Pleurs de Louve mettait bas dans d'atroces souffrances et cela depuis la venue du crépuscule.
Fleur de Lierre se tenait à ses côtés, essayant d'apaiser au mieux les maux de la reine noire, sans réel succès jusqu'alors.
Mais la future mère arrivait à terme, la guérisseuse le sentait en palpant délicatement son ventre gonflé; dans quelques instants les petits arriveraient.
La pouponnière était vide, Bise Nocturne avait préféré dormir dans la tanière des guerriers avec ses chatons, afin de laisser plus de place et de calme à sa sœur et amie.

Il régnait dans le camp une ambiance tendue et le moindre hurlement déchirait le cœur de chacun, surtout celui de Chant du Corbeau, le compagnon de la martyre. Ce dernier faisait les cent pas devant l'entrée, fou de rage devant ce sentiment d'impuissance. Il était allé chercher de l'eau et des toiles d'araignée mais maintenant, il ne savait plus que faire pour s'occuper l'esprit.
La guérisseuse passa la tête à l'extérieur et le foudroya du regard.

« De l'air ! s'écria-t-elle, tu ne m'aide en rien à tourner en rond comme ça, va plutôt me chercher un bâton solide.

- Un bâton ? répéta le matou noir, interloqué.

- Oui, c'est pour invoquer le clan des Étoiles !  » le railla Fleur de Lierre, irritée.

Vexé, l'intéressé battit furieusement l'air de la queue avant de partir au petit trot pour accomplir sa mission.
Il était orgueilleux, la chatte brune le savait parfaitement, mais rares sont les guerriers qui contredisent leur guérisseuse !

Fleur de Lierre se remit au chevet de sa patiente, toujours en proie aux douleurs les plus lancinantes.

« Ça ne va plus tarder maintenant, tout va bien se passer...» murmura la guérisseuse, d'une voix qui se voulait rassurante mais où perçait une note d'inquiétude.

L'intéressée ne trouva pas la force de répondre et émit une plainte à fendre de l'âme; jamais Pleurs de Louve n'avait aussi bien porté son nom...
Les branches de la tanière bougèrent quand Chant du Corbeau se fraya un chemin jusqu'à sa compagne, une branche humide dans la gueule. Sa fourrure noire était chargée des odeurs de la pinède, les effluves musquées et fraiches de celle-ci agissaient comme un baume sur les nerfs à vif de la soigneuse.

« Désolé... tout est mouillé par l'averse de ce matin, murmura-t-il, penaud.

- Ça fera très bien l'affaire », le rassura-t-elle en essayant de prendre un air assuré.

Tandis que le lieutenant se couchait dans un coin, Fleur de Lierre plaça le bout de bois entre les mâchoires crispées de la reine.
À chaque contraction, les dents de Pleurs de Louve s'enfonçaient un peu plus dans l'écorce; cette solution faisait disparaître les cris, pas la souffrance.

Un premier paquet gluant tomba dans la litière de mousse et d'aguilles, et immédiatement la guérisseuse coupa d'une griffe experte la protection qui entourait le petit, l'accueillant ainsi dans le monde des vivants. Elle commença alors à le lécher vigoureusement pour le réchauffer et ainsi obtenir une réaction. Mais rapidement une terrible évidence s'imposa à la guérisseuse démunie : le petit était mort-né, jamais il ne vivrait.

Pleurs de Louve brisa net le bâton quand un second chaton se présenta, presque immédiatement suivi d'un troisième.
Il s'agissait là de deux femelles encore sans vie qui attendaient ses soins, mais débordée, Fleur de Lierre donna la dernière-née à son père :

« Lèche-la pour la réchauffer.

- Moi ? s'étonna-t-il, sidéré.

- Qui d'autre !? »

Elle n'avait pas de temps à perdre avec des questions idiotes ! Après une longue seconde d'hésitation, le mâle se pencha sur la chatonne immobile et lui donna de vigoureux coups de langue pour tenter de conjurer le sort.
Mais bientôt, il apparut comme une certitude que la mort avait gagné sur la portée de fantômes.

« Je dois baptiser mes petits, ils n'iront jamais au clan des Étoiles si je ne le fais pas ! haleta Pleurs de Louve dans un regain d'énergie.

- Comment veux-tu les nommer ? l'interrogea froidement son compagnon.

- Petit Songe pour le mâle et pour les femelles ce sera Petite Mémoire et... »

Un son inespéré sortit soudainement de la petite dernière, tout n'était pas perdu finalement ! Le père attrapa sa fille pour la poser contre le ventre salvateur de sa génitrice et aussitôt la chétive petite attrapa une mamelle pour téter avec la force du désespoir.

Sur trois chatons, seule une s'échappait des griffes de la mort, seule une connaîtrait les joies et les larmes de la vie, seule une aurait la chance de grandir et cela fendait le cœur de Pleurs de Louve.
Une sur trois c'était mieux que rien, elle le savait bien, mais elle aurait mille fois préféré mourir pour laisser la place à ses petits.
Elle, elle avait eu le temps de vivre, d'expérimenter, de changer... et deux sur trois n'auraient pas cette chance.

Alors non, une survivante ce n'était pas assez.

L'unique rescapée sembla s'animer sous les remords de sa mère et piaula faiblement. Les gémissements se muèrent rapidement en miaulements stridents à briser les tympans d'un sourd !

Chant du Corbeau regarda sa fille avec insistance, la détaillant sous toutes les coutures, avant de déclarer d'un air décidé :

« Celle-là c'est une battante, elle s'appellera Petite Obsidienne. »

Fleur de Lierre de son côté ne pouvait s'empêcher d'avoir un mauvais pressentiment en observant la chatonne, peut-être aurait-il mieux fallu qu'elle suive la voie de sa fratrie vers le clan des Étoiles...

Mais après tout, les prophéties sont-elles forcément gravées dans le marbre ?

~~~O~~~

     Des soupirs d'apaisement se firent entendre dans le clan du Vent quand Plume de Harfang passa la tête en dehors de la pouponnière avec un air réjoui :

« C'est un petit mâle vigoureux ! déclara-t-il à l'assemblée dressée devant lui, Tu peux rentrer, mon frère. »

À cet appel précis, Plume de Cygne se leva dignement et c'est la queue haute qu'il rentra dans la tanière de bruyère, heureux de retrouver sa compagne, Vol de Colombe.
La reine blanche était sereine, couchée sur le flanc avec son unique chaton collé contre elle, ce dernier était aussi blanc que son géniteur.

« Je suis certain qu'il aura tes yeux Vol de Colombe, j'aimerais donc l'appeler Petit Azur. annonça le tout nouveau père, aux anges.

- C'est un beau nom. » admit l'intéressée en couvant sa progéniture d'un regard empli d'amour.

Comme tout était sous contrôle, le guérrisseur s'éclipsa discrètement avec le cœur léger; voir cette famille heureuse était le plus beau des cadeaux !
Pourtant une pensée vint nuire à son bonheur, et si l'oracle qu'il essayait d'oublier avait à voir avec ce petit ?

Ce chaton si pur, pouvait-il être le "auréolé de blanc et d'azur" de la prophétie ?

Mais après tout, le destin contrôlait-il la vie dans ses moindres détails ?

~~~O~~~

Hey !

Et là je sais ce que vous vous dites :
Dis-moi Jamie !
C'est drôlement manichéen comme début !

Et je réponds...
oui, sur une première lecture on peut penser ça !
Mais je vous rassure...
je n'aime pas les personnages manichéens.

Évidemment dans les débuts de cette histoire il faudra montrer l'opposition entre ces deux minous... mais après, pour que cette sérénade devienne dangereuse, il faudra troubler un peu tout cela !

~ Bises ~

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