| Chapitre 35 |

(Média : Clair-Obscur) 

        Pendant ce temps-là, dans la plus sombre tanière du camp appelée tanière de la guérisseuse, où le crépuscule pointait à l'horizon, laissant peu de lumière y entrer, Clair-Obscur boudait face à son repas. À côté d'elle, Nuage de Lys rendait le silence plus froid et plus lourd, examinant pensivement l'étagère réservée aux poisons. Encore couché dans un nid, le corps de Songe Crépusculaire semblait simplement dormir, quoi que dans un mauvais rêve. Les brises qui se glissaient dans l'antre donnaient l'illusion qu'il respirait... Rien ne perturbait ce calme triste. À moins que... Des pas approchants confirmaient que l'aphasie allait être tue. Une fourrure claire, flamboyante, contrastait avec l'anti-jour, s'infiltrant dans l'antre. 

 « Bonsoir... » marmonna Flamme du Lion en s'arrêtant sur le pas de l'entrée, se mordant la babine inférieure, sa frénésie trahie par ses traits froncés. 

      Notre guérisseuse eut un soubresaut qui la crispa sur le coup. Elle reprit son souffle qui s'était coupé durant une seconde et pivota, ses yeux glacés fixant le nouveau venu avec un sourire chaleureux et forcé. Une tension soudaine lui prenait les tripes, elle avait peur de ne pas se présenter correctement face à ses camarades. Ce renouveau avait pour but de rendre tout le monde heureux, alors elle devait montrer l'exemple. Elle ne le faisait pas vraiment ; ce n'était pas ainsi qu'elle allait guérir. Ses pupilles tremblaient à force de retenir des larmes. 

 « Approche... Un problème ? » s'égosilla t-elle pour ne pas dire une chose inaudible. 

     Il ne bougea pas de sa place, à croire qu'il craignait que son coup allait partir, il avait des fourmis dans les griffes. Il répondit entre ses crocs :

 « Nuage d'Ancolie m'a chargé d'aller chercher du pavot. 
 —  Du pavot ? Pour ? » 

     Il leva les yeux au ciel, davantage énervé par le manque de logique de la féline. Une colère irrationnelle bouillonnait en lui, il allait finir par s'incendier. Son nom atténuait ce qu'il ressentait réellement, "flamme" n'était pas assez fort pour décrire son irritation permanente. 

 « Pour moi. » 

      Elle s'inclina en guise d'excuse, sa figure présentant les traits d'une femelle pitoyable. On comprenait mieux son lien de parenté avec Étoile Sanglante. Elle ne pensait pas que ce geste allait créer encore plus d'animosité chez son patient, et elle ne l'aurait pas remarqué de toute façon. Elle examina sa réserve et réussit à identifier le pavot, au moins une chose simple à reconnaître, il lui semble que ce sont des graines, les seuls remèdes de graines. Elle enroula cinq grains dans une feuille, qu'elle tendit au chat doré. 

    Il ne suffit que d'un croisement de regards pour que le peu de contrôle de lui qu'avait Flamme du Lion ne s'évapore complètement. Il leva la patte et ne pût retenir son coup, puissant et brusque. La guérisseuse lâcha le remède aux pattes du félin, son cœur se serrant quand le sang ruissela sur sa joue. Ce n'était pas la première fois qu'on la maltraitait de la sorte - à en juger par ses blessures -, ni la première fois que le guerrier giflait quelqu'un à cause d'une rage incoercible. Une question trottait dans la tête de la soigneuse, que, sur le coup, elle la révéla : 

 « Tu... tu es fou ?! » 

      Elle le regrettait déjà, elle avait crainte d'une autre baffe. Et puis, elle ne voulait plus blesser... À cette pensée, elle se jura qu'elle ne dirait plus rien. Ce n'était pas si soudain, une telle décision, après tout ce qu'elle avait fait...

      Le félin en face d'elle reprit peu à peu son souffle, sa figure s'assombrit. Il répondit tout en faisant un signe de tête vague en remerciement pour le remède apporté : 

 « Je ne suis pas fou. Je suis blessé, c'est différent. Mais à force de me traiter comme un fou, je finirais par l'être vraiment. » 

       Il ramassa la feuille de pavot et repartit sans un mot. Elle observa les barrières de lierre frémir, puis se replacer doucement à leur position initiale. Son corps se recroquevilla machinalement, elle ne faisait pas attention à la blessure de son visage, qui coulait. Nuage de Lys avait assisté à la scène cependant elle eut préféré ne pas s'en mêler.  Elle n'aurait pas su quoi faire de toute manière. Elle était concentrée sur une étagère, inspectant les poisons, une lueur passionnée dans les prunelles. Finalement, elle se détourna et trottina vers l'extérieur, une bouffée de chaleur l'envahissait d'un coup à force de rester ici, immobile. 

 « Tu vas où ? s'étonna Clair-Obscur, pas particulièrement inquiète. 
 —  Ramasser des plantes, certaines choses manquent, » marmonna l'intéressée en s'extirpant de l'antre. 

       La noiraude ne se souciait pas de la situation présente ; elle ne se disait pas que son apprentie ne connaissait pas tout ou qu'elle risquerait d'être en danger. Elle ne réagissait pas à ce genre de choses, sinon en retard. Alors qu'elle lui miaulait "bonne cueillette !", son élève était déjà loin.  

~°~ 

      Nuage de Lys cueillait ce qui lui semblait utile, traînant sans le savoir non loin de l'endroit où ses camarades s'entraînaient actuellement. La gueule encombrée de plantes en tout genre, elle s'apprêtait à aller à un autre endroit quand elle ouïs des cris d'encouragements des siens. Piquée de curiosité, elle alla entrevoir, au travers des fourrés, ce qu'il se passait. Les apprentis s'étaient tous mis en ligne, Nuage d'Immortelle exclue et posée près d'un Brûlure du Soleil frustré, prêts à détaler à un certain signal. Nuage de Lys comprit qu'ils allaient faire la course. Elle sourit un peu, se surprenant à s'intéresser à la scène et à qui allait gagner. 

 « Détalez ! » cria Esprit de l'Écureuil d'un de ses rares tons enjoués. 

      Les onze apprentis filèrent presque en même temps, certains réagissant légèrement après, freinés par le stress. Chaque mentor encourageait son propre novice, et cela faisait chaud au cœur de constater que l'on pouvait toujours raviver l'étincelle éteinte du Clan de la Plaine. Même si la saison des neiges n'était plus très loin, pour eux, il s'agissait des beaux jours. Peut-être utopiques et éphémères, mais c'était un pas de plus. Tout ça ne serait jamais arrivé sans l'aide d'un certain membre... 

     La course était tout de même prise au sérieux. Nuage de Lys suivit la progression du mieux qu'elle le pouvait. 

     Comme Nuage de Houx et Nuage d'Olivier étaient dernières, peinant à tenir le rythme, l'apprentie soigneuse hésita pendant une seconde à les encourager, chose à laquelle elle renonça pour des raisons qui lui échappaient. Juste devant, Nuage de Trèfle trottinait. L'antépénultième était Nuage de Libellule, sur les talons de Nuage de Chenille. Ensuite, Nuage d'Acajou, Nuage de Cyprès, et le duo Nuage de Chinchilla et Nuage de Vautour qui s'affrontaient pour la troisième place. 

    Avec toute la détermination dont usait Nuage du Désespoir, elle n'était que deuxième. En tête, Nuage de Discorde narguait sa concurrente naïvement, ne se doutant pas qu'elle la rendait folle de rage. Nuage du Désespoir s'appuya de toutes ses forces sur ses quatre pattes et se jeta sur sa camarade. Celle-ci, prise de surprise, riposta, griffes dehors, au visage de son assaillante. Par miracle, cela n'atteint pas ses yeux. Néanmoins, en vu de son tempérament, l'haineuse aspirante répliqua plus violemment en poussant un grondement menaçant. La compétition se stoppa nette, et Esprit de l'Écureuil réagit vite, séparant les deux femelles. 

 « Nuage du Désespoir ! Ce n'est que pour de l'amusement, cette course ! Tu te rends compte que c'est la troisième fois de la journée que je vais devoir te renvoyer au camp ? Sois un peu plus contrôle... Il s'agit de ta camarade... Nuage d'Ancolie fait tout ce qu'elle peut, tu sais... parle-lui un peu, si cela est difficile... » 

     Bien que la lieutenante était patiente, elle s'avouait perdue avec cette novice. Nuage du Désespoir l'observait d'un regard noir, éternellement silencieuse quand on lui demandait pourquoi elle faisait cela. Nuage de Discorde, elle, essayait de jouer les dures en supportant ses blessures. 

 « Bon... » 

      Un chat de confiance... 

 « Poussière de Cendre, tu voudrais les ramener au camp ? Et les laisser, dis-le à Nuage d'Ancolie. Nous rentrons bientôt, de toute façon. » 

     La guerrière concernée fut surprise d'être choisie. Elle s'exécuta silencieusement, faisant un signe aux deux novices que Nuage du Désespoir aurait ignoré nonchalamment si la seconde de la chef ne l'avait pas réprimandée. La jeune chatte obéit, non sans tirer sur l'oreille de sa camarade grise. Nuage de Lys en profita pour regagner le campement discrètement. 

     Esprit de l'Écureuil se tourna vers les cadets du Clan, la mine dépitée. De quoi chasser tout son espoir de réussir son projet de renouveau. Elle était une féline pessimiste et parfois défaitiste, aussi avait-elle pu constater que chacune de ses bonnes actions échouait. Toutes les batailles, elle n'avait jamais pu y assister, la malchance lui tombant infernalement dessus. Toutefois, elle était forte, se suffisait à elle-même, et son désespoir, elle le savait, finirait par disparaître. Son objectif premier était de guérir les siens, c'est cette responsabilité et cette détermination impérissable qui la tenaient sans complexe sur ses quatre pattes. 

 « Gagné ! » cria Nuage d'Olivier, triomphante, se trouvant sur la ligne d'arrivée indiquée. 

     Si quelques élèves étaient enjoués par le comportement de la petite féline, la majorité n'y parvenait pas. D'ailleurs, personne n'avait remarqué que Nuage de Chenille était en pleurs, en retrait. Une âme soucieuse, Nuage de Libellule l'interrogea sur ce qui n'allait pas, cependant Nuage de Chinchilla ramena sa sœur à sa priorité ; sa fratrie, sur laquelle elle devait veiller en tant qu'aînée. À contrecœur, la jeunette laissa la femelle sensible. Son travail en ce moment était de s'assurer que Nuage d'Immortelle ne manque de rien. Nuage de Chinchilla se montrait vraiment trop protectrice. Nuage de Libellule se faisait contraindre d'aider sa famille en tant que "grande" alors que tout le monde savait très bien que Nuage d'Ancolie était mieux disposée qu'elle à le faire, et puis, elle se sentait seule à un point où elle ne comprenait plus en quoi elle était utile quand on insistait pour qu'elle fasse des choses qu'elle ne maîtrisait pas. Qui plus est, cela avait de quoi nourrir son angoisse et son stress habituel. 

 « Tout va bien, Nuage d'Immortelle ? questionna t-elle pour la énième fois de la journée. 
 —  Mmh... Oui... maugréa t-elle, paressant, allongée sous l'œil découragé de son mentor, Brûlure du Soleil. Fatiguée... » 

     Nuage de Chinchilla se mettait à suggérer qu'ils devraient rentrer, argumentant auprès de la lieutenante, disant que, à cette heure, ils étaient à découvert d'hordes de bêtes sauvages ou même d'une possible fourberie des ennemis. Elle était ainsi, à envisager tous les dangers et à vouloir à tout prix les éviter. Au lieu de chercher une once d'embrouille, elle se basait avant tout sur son envie de paix, qui n'était jamais exaucé visiblement... 

 « Clan de la Plaine, nous rentrons ! » déclara enfin la rouquine. 

      Si l'hésitation n'était pas des moindres, c'est parce qu'elle se disait qu'à leur retour, ils allaient enterrer un corps... 

~°~ 

      Cela allait être difficile psychologiquement. Durant la journée entière, pas un seul chat n'avait pas eu une pensée pour Songe Crépusculaire. Clair-Obscur traînait le cadavre jusqu'au centre de leur montagne, personne ne pouvant en détacher ses yeux peinés. Tout le monde se présentait à sa mort. Non, en fait. Il manquait la meneuse. Sa suppléante avait teinté, en vain, de la faire sortir, mais elle ne bougeait pas, refusait de répondre, elle sanglotait depuis on ne sait combien de temps dans un coin froid de son antre, rejetant son compagnon également. 

      D'ailleurs, Onde de Chance supportait mal ce qu'elle pressentait. Elle ne le voyait pas, pour autant, ses autres sens lui suffisaient pour quitter la place en larmes quand il fut dit que le temps des au revoir était terminé, que la volonté de leur ancêtres était sa mise en terre. Elle ne réussit qu'à se retrouver assommée par une chute maladroite. Poussière de Cendre accourait avec Saut de Lièvre pour la réconforter, suivis de près par Tempête de Questions, inquiets et tout aussi tourmentés par ce décès. La journée avait semblée longue à tous... et la nuit le sera tout autant...

 « Pourquoi... Pourquoi... Pourquoi j'étais pas là... Pourquoi je suis aveugle à ce point... Pourquoi... J'ai été égoïste... stupide... abrutie... Je suis qu'une ratée... » 

     "Mais non, non, ce n'est pas de ta faute..." murmuraient-ils, essayant de calmer ses hoquets violents. Ils restaient là pour elle, tandis que leurs camarades transportaient la fourrure glacée vers son lieu de repos. Tornade Spiralée suivait, sa sœur Baie d'Érable sur les talons, portant des airs coupables. On aurait dit tout bonnement des criminelles qui s'évitaient les foudres d'autrui. 

      Les dernières brises vespérales s'égaraient contre le macchabée de l'analyste. Les prunelles vides de lueur de son apprentie le fixaient, à l'image de celles des autres. Il fut déposé aux racines d'un chêne. Étonnamment, Esprit de l'Écureuil ne fit pas de discours ; elle voulait que Tornade Spiralée l'improvise. Une méthode supplémentaire pour se repentir. La guerrière aux motifs spiralés prit une inspiration, closant ses paupières pour gérer un début d'anxiété. 

 « Songe Crépusculaire a grandit. Il a grandit avec un seul et unique espoir ; aider les siens. Alors qu'il s'investi, il récolte une massive haine. Une haine sans nom... Pourquoi ? Nous savons tous qu'il s'agissait là du félin le plus sain et le plus adorable de tous... si bien qu'il promettait trop de choses... il s'est retrouvé dépassé. Seulement, était-ce une raison pour le malmener à ce point, le salir, en abuser, brûler petit à petit son âme ? Non ! Cela n'avait aucune raison d'être. Rien n'est justifiable... Il était là pour tout le monde, mais... personne n'était là pour lui. Personne pour lui démontrer reconnaissance. Nous avons tout brisé. Il était trop fragile, il était trop tard pour le réparer. Il a sombré. Sombré si bas... Nous le regretterons pour toujours... Il nous manquera, à tous... Il ne reviendra pas, rien ne suffira... mais... il est dans nos cœurs... » 

     Consciente que cela ne suffirait pas, elle enchaîna machinalement, à croire qu'elle connaissait par cœur la suite, malgré le fait que sa voix était brisée et qu'elle la forçait, la gorge serrée de regrets et de chagrin : 

 « À la vie, à la mort, je me promets d'être à tes côtés. À la vie, à la mort, tout a mal tourné. À la vie, à la mort, j'ai perdu la raison de t'aimer. À la vie, à la mort, mes yeux embrumés. À la vie, à la mort, en voulant être ta tornade, un tourbillon d'émotion m'a emportée. À la vie, à la mort, ma spirale infernale t'a achevée. À la vie, à la mort, sans en prendre compte, mon cœur battait. Je veux te promettre, à la vie, à la mort, mais la lune révèle que tu as trépassée... » 

     Elle se ficha de ce qu'on pensa d'elle ; elle eut un sanglot, et étouffa le suivant, tourna le dos à la scène, ses oreilles tremblantes au bruit de la terre grattée. On recouvrait le corps d'un amour qu'elle a tué pour de vrai. 

~°~ 

NDA 

**s'étire** 

AHHH

J'espère que ce chapitre vous a plu ! 

Et j'espère surtout que j'ai pas écrit n'importe quoi à cause de la fatigue bjbejbjfjejjnsksnk surtout que j'ai l'impression de faire trop de répétitions aaahhahaha

♥ 

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