Chapitre 20

« - Je te déteste Nuage du Requiem, je ne te considère même plus comme ma sœur ! Laisse tomber c'est fini viens pas me reparler ! cracha Nuage de Chinchilla, sanglotante de haine et de tristesse, au museau de Nuage du Requiem. ...Et dire que je pensais que jamais je ne serais séparée de mon frère et de ma sœur. Maintenant, je suis seule. Par ta faute. De toute façon, Etoile Sanglante t'exilera. » 

L'apprentie blanche la renversa et partie en courant. Nuage du Requiem doit avouer que elle-même elle n'arrivait pas à digérer cet événement. Elle s'en voulait tellement. Elle s'était privée de son frère et de sa sœur par sa propre faute. Elle se sentait solitaire, comme si un désert l'entourait. Mais ça, elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. Un vent lui cingla la fourrure. Pourtant, la chatonne grise ne bougea pas. Elle s'approcha du corps de Nuage Éphémère. Elle le poussa du bout du museau, mais ça ne servait à rien. Sa respiration coupée et son flanc ne se soulevant plus le prouvait. Pourtant, elle se devait de rester ici. Elle laissa échapper de longs sanglots incessants. Elle hurla de désespoir et se lamenta. La colère commença à l'envahir sans qu'elle sache pourquoi. Elle était en colère contre elle-même. Son frère lui en voulait forcément.

« - Désolée, Nuage Ephémère... Vraiment désolée... » murmura t-elle d'une voix étouffée. 

Nuage du Requiem ignorait si son frère l'entendait ou même voulait l'écouter. Elle commença à se lever et à vers quelques pas en direction du camp, mais elle se stoppa. Nuage de Chinchilla lui avait dit qu'elle allait se faire exiler pour ce qu'elle avait fait alors... la dénonçait-elle à Etoile Sanglante ? Ça ne l'étonnerait pas. Mais alors... à quoi bon qu'elle rentre ? Peut-être parce qu'elle voudrait faire ses adieux aux autres. Elle soupira en ressentant un douloureux mal de tête mais continua tout de même sa route en traînant les pattes. Elle se tint prête à tenir face aux regards noirs de ses camarades puis passa l'entrée du camp. Pourtant, quand elle entra, rien ne se passa. Les deux Clans réunis, celui du Lac et celui de la Plaine, discutaient entre eux autour du repas du soir. Ceux du Lac rechignaient à manger, ils étaient habitués au poisson, et puis leur pile n'était pas très haute. Ils n'étaient pas doués.

Elle passa sur la plaine. Personne ne sembla la remarquer. Elle continua et passa près de l'antre du chef. Elle entendait Nuage de Chinchilla la dénoncer à Etoile Sanglante, tout d'abord en décrivant comment ça s'était passé. Nuage du Requiem sentait qu'elle allait bientôt devoir partir à jamais. Ne plus jamais revoir sa plaine, ça lui manquerait... Peut-être était-ce mieux pour tout le monde qu'elle soit solitaire toute sa vie. Même qu'elle se sentirait peut-être mieux. Elle s'assit sous un chêne au fond du camp et attendit l'appel d'Etoile Sanglante, qui annoncerait son départ. Lorsqu'elle vit la meneuse sortir de son antre et lui jeter un regard en faisant la moue, elle comprit que c'était son heure. La chatte noire s'appuya sur le promontoire et convoqua une assemblée par cette phrase rituelle que Nuage du Requiem voulut entendre une dernière fois : 

« - Que tous ceux qui sont en âge de chasser se rassemblent autour du promontoire pour une assemblée du Clan ! » 

Le Clan de la Plaine arriva. Quelques membres du Clan du Lac, intrigués, s'approchèrent aussi. 

« - Nuage du Requiem, vient par ici, » ordonna la femelle noire en la toisant du regard. 

Celle-ci monta sur le promontoire, tête basse. Elle regarda tout son Clan. Nuage de Chinchilla lui jeta un regard méprisant puis détourna le regard. 

« - Nuage du Requiem a commit un acte cruel : elle a tué son propre frère, Nuage Ephémère, lors d'une simple dispute. » 

La foule poussa des miaulements surpris et un brouhaha commença à se faire entendre. A l'autre bout de la lande, Nuée de Bulles avait tout entendu depuis sa tanière. Les yeux embrumés d'une profonde amertume, elle regarda le ciel étoilé et tendit sa patte. J'ai échoué, Nuage de Joyau... Il m'est impossible de tuer Nuage du Requiem pour ce qu'elle a fait, j'aurai trop de mal... Un de moins, c'est trop. Ma promesse a volé en éclats... 

Elle regagna sa tanière et s'assit près de Flocon Cendré, encore dans le coma. Doucement, elle lui susurra à l'oreille : 

« - Adieu. Je n'ai même plus d'espoir pour que tu te réveilles. » 

Elle fit tomber quelques larmes sur sa tête puis se roula en boule en attendant la fin du rassemblement. En voyant Nuage du Requiem partir du camp, son cœur brûlait peu à peu. De toute façon, si elle perdait Nuage du Requiem de vu, elle ne pourrait certifier si elle est vivante ou non. Un acide de chagrin lui serra la gorge. Elle ne savait pas si elle aurait la force de parler à Envol du Merle. Elle quitta sa tanière à pas lents et repéra son frère pas très loin. Elle accourut vers lui et lui fit signe de la suivre. Tandis qu'ils marchaient vers sa tanière, Nuée de Bulles lui expliquait la promesse qu'elle avait faite à Nuage de Joyau lors de sa mort. 

« ...J'ai dit que jamais ils ne mourraient tant que je serais encore là. Mais je me sens stupide et honteuse. J'aurai dû me douter qu'il allait se passer quelque chose. Le Clan des Etoiles m'a abandonné... 

- Ne dis pas ça ! 

- Et pourtant... J'ai dû mal à y croire. Je ne pourrais pas vivre toute ma vie avec ça sur la conscience. 

- Mais ce n'est pas de ta faute... 

- Une promesse est une promesse... Je m'y suis engagée et j'ai perdu. » 

Le guerrier noir dévisagea sa sœur et secoua la tête, plein de désespoir. Il posa sa patte sur son épaule. 

« - Le Clan a besoin de toi. Tu es une guérisseuse loyale, affirma t-il, sur le bord des larmes. Tu ne peux pas partir. 

- Une guérisseuse n'a pas le droit de tomber amoureuse, pourtant, concéda la chatte brune, entourée d'une aura funèbre. 

- T-tu... tu es amoureuse de quelqu'un ? » 

Nuée de Bulles acquiesça d'un vague signe de tête. Envol du Merle baissa la tête, l'air abattu. 

« - De qui ? 

- Depuis que je suis apprentie, je suis amoureuse de Flocon Cendré, confia t-elle, sinistre. Je pleure toute la journée depuis qu'il est dans le coma... » 

Suite à cette révélation, Envol du Merle en savait plus sur sa sœur. En réalité, elle était toujours pessimiste et sinistre, un caractère qu'elle essayait de dissimuler avec des sourires forcés et son rôle de guérisseuse prit très à cœur. Elle vivait dans un chagrin sans fin et un ennui infernal. Pour la réconforter, il lui caressa le flanc avec sa queue. 

« - Si tu as eu le courage de rester jusqu'à aujourd'hui, c'est que tu es capable de continuer... murmura t-il d'un ton calme. 

- C'est parce que j'avais de l'espoir. Là, je ne sais même plus pourquoi je suis encore là. Je me fais persécuter par ma propre mère, la seule personne que j'aime est dans le coma, mon dos doit être soutenu par des fougères pour ne pas se briser, je n'arrive même plus à dormir et de toute façon, je n'ai pas tenu ma promesse que j'ai faite à Nuage de Joyau. Je suis brisée à l'intérieur et à l'extérieur et la liberté de vivre ne me dit rien. Si c'est pour souffrir encore, je préfère m'en aller. » 

Le guerrier noir éclata en sanglots. Il ne voulait pas voir sa sœur partir. Il aurait dû l'aider avant... Comment avait-il pût ignorer sa dépression ? Il se sentait coupable. Nuée de Bulles frotta sa tête contre sa fourrure et murmura : 

« - Si Flocon Cendré se réveille de son coma, tu pourras lui dire à quel point je l'aime. Adieu, ne me retiens pas. » 

Il sentit les larmes de sa sœur lui mouiller la fourrure. Elle partit en courant, tête basse, décidée à mettre fin à tout ça. Envol du Merle la poursuivit. Il devait l'en empêcher, elle ne pouvait pas partir comme ça ! Nuée de Bulles tentait de le semer en zigzaguant entre les arbres. Le guerrier noir réussit pourtant à la rattraper. La guérisseuse s'arrêta, haletante, et se retourna. Des larmes perlaient le long de ses joues.

- Je t'ai dit de ne pas me retenir, alors part, grogna t-elle sèchement.

- Ne pars pas s'il te plaît ! s'étrangla t-il d'une voix crissante. 

La femelle brune sortit les griffes. Elle ne va pas m'attaquer tout de même ? songea Envol du Merle, l'air abasourdi. Mais elle ne l'attaqua pas. Elle se planta d'un coup ses griffes dans sa poitrine.

- Non ! Nuée de Bulles arrête !

C'était trop tard. Sa respiration ralentissait peu à peu, et le sang gicla de ses poumons. Elle toussa un peu en crachant du sang, puis s'arrêta. Elle retira ses griffes et s'écroula lourdement au sol. Envol du Merle resta figé sur place à verser des larmes sur le corps de sa soeur. Il ne voulait pas accepter qu'une telle chose se soit produite. Il n'aurait jamais le courage de l'annoncer à Flocon Cendré s'il se réveille. La nuit était tombée et les étoiles apparaissaient dans le ciel. Un vent frais lui cingla la fourrure. Il ne savait pas combien de temps il resta dans ce calvaire, figé, à pleurer le suicide de Nuée de Bulles, avec l'impression d'avoir le coeur transpercé. Une heure ? Deux heures ? C'était une sensation horrible de perdre sa soeur. Il se sentait condamné à rester ici.



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