Chapitre 6 - Jules
Mes doigts pianotent sur les touches de mon clavier. Les mots défilent sur mon ordinateur. Je me sens surexcitée. J'ai osé surmonter ma peur.
Ce matin, après avoir bu mon café et nettoyé mon appartement, je voulais profiter du dimanche à me reposer. J'ai fait ma liste pour les courses pour demain après-midi et me suis mise devant la télé avant de préparer mon déjeuner.
Une idée a traversé mon esprit. J'ai ouvert mon application note et ai écrit une idée de trame. Très vite, j'ai imaginé la moitié d'une histoire.
Je suis honteuse de la source de cette soudaine écriture. Mais Léxandre me chamboule. Il a renversé tout sur son passage, telle une tornade. Il me donne de l'imagination et des idées salaces !
Mes émois d'adolescente sont plus forts que jamais. Je peux désormais me l'avouer. Revoir Léxandre m'a retransformée en jeune lycéenne éprise du mauvais garçon.
Comme si c'était insondable ? Mon comportement est reconnaissable à des kilomètres à la ronde. Trois fois. J'ai revu trois fois Léxandre et à chaque fois j'étais ingérable. À la fois envie de fondre dans ses bras et embrasser ses délicieuses lèvres.
Je vais à la ligne en appuyant sur la touche entrée du clavier. Mon personnage masculin n'a pas de prénom. Mettre celui de l'ami de Louis est inenvisageable. Il comprendrait tout de suite de quoi il retourne. Puisque l'identité de l'homme n'est pas encore révélée, je le surnomme l'inconnu aux yeux de jade.
« L'attraction entre nos deux corps était insoutenable. J'ondulais contre lui sur un morceau sensuel. L'homme me dévorait du regard, pressant ma taille de ses mains viriles. Son membre, enfermé dans son pantalon, frôlait mon bas-ventre. Ces contacts me rendaient toute chose. J'étais excitée. J'avais hâte que la soirée se termine et que l'homme m'emmène au septième ciel.
Je savais ce qu'il m'attendait. Pas besoin de parler. D'échanger des futilités. Son regard incandescent me promettait une nuit endiablée... »
Une heure après le commencement de mon histoire, je regarde le compteur de mot. Neuf cent vingt mots. Je suis contente ! Mon chapitre n'est pas du tout terminé, mais je suis très inspirée. Je continue donc d'écrire avec un fond de musique pop. Les chansons défilent et les mots aussi. Je termine le premier chapitre tard et le conclus avec mon premier chapitre à caractères sexuels.
Pour cette fin, je n'en suis pas convaincue. En fait, j'ai peur que cette scène érotique soit enfantine. Je n'ai jamais écrit ça ni même lu. J'opte pour faire une pause et lire une romance érotique, histoire de comparer. J'ai peur que détailler tout transforme le passage en porno. Ce n'est pas du tout ce que je recherche !
Je souhaite écrire une romance, piquante et un peu explicite. Mais pas un bouquin sur le cul. Le principal est l'histoire d'amour, bien que les protagonistes couchent ensemble sans même se connaître.
Après la lecture de l'histoire, qui s'avère être une nouvelle érotique, je me remets au travail. Ce que j'ai écrit me satisfait, finalement. Ce ni trop ni pas assez. Je relirai plus tard pour modifier les tournures de certaines phrases.
Je mets en page le début du chapitre deux, puis tape un premier paragraphe. Là, le néant. Je ne sais pas du tout quoi écrire dans ce chapitre. J'ai un point A et un point B, mais rien qui les relie. Je lance donc un nouveau document et tape dans un tableau un semblant de trame. Chapitre par chapitre, je note les actions. Lorsque je n'ai plus d'idée, j'arrête.
Il est déjà neuf heures du soir et je n'ai pas mangé !
J'enregistre mon travail et quitte mon bureau. Je reprendrais plus tard.
C'est heureuse que j'atteins mon salon. Madeleine m'y attend sagement. Je la nourris en sifflotant l'air de la dernière musiquée écoutée. Une musique dont les paroles me font écho. Roi de Bilal Hassani.
La première fois que je l'ai écouté, je n'étais pas convaincue. Une heure après, je sifflotais l'air de la musique. Deux jours après, je connaissais les paroles par cœur.
Une fois Madeleine nourrit, je file dans ma cuisine. Je lance un repas rapide aux micro-ondes. Je n'ai pas la patience de cuisiner. J'ai besoin de manger vite pour me reposer. Demain, je reprends le travail. Ce week-end m'a fait du bien. Déconnecter des réseaux sociaux est utile. On n'imagine pas la pression qu'on peut avoir, même quand on aime ce que l'ont fait.
Impossible pour moi de changer de métier. Je me plais dans ce que je fais. Malgré les quelques soucis avec des internautes, je me sens à ma place. Puis, l'argent motive ! Même si lors de mes études, ce n'était pas ce qui m'intéressait. Je me suis lancé dans un bac plus trois en licence professionnelle e-marketing par curiosité. Très vite, la passion est venue. Je ne me voyais nulle part ailleurs. Donc, j'ai bossé et ai décroché ce job il y a plus d'un an et quelques.
En plus du travail, j'ai croisé Jordan à plusieurs reprises durant les pauses. Regards noirs, insinuations douteuses devant les collègues. Je l'évite du mieux que je peux. L'entendre me tenir coupable de notre rupture monte le sang dans mes oreilles.
Oui, j'en suis coupable. Mais lui aussi à sa part de responsabilité.
Je soupire en sortant ma boîte de nouilles. J'étouffe un cri. C'est brûlant ! Je dépose vite le pot sur ma table et retire le couvercle. L'odeur du curry monte dans mes narines.
Je me lèche les babines ! J'ai une faim de loup.
À table, comme toutes les autres fois, je mange en consultant mon téléphone. Je lance une vidéo de la célèbre plate-forme YouTube. La youtubeuse Beauté explique les nouveautés reçues d'une grande marque de maquillage avant de faire un crash test complet.
J'aime observer cette femme se maquiller. Elle m'apprend plein de choses ! C'est grâce à elle que j'étale le fond de teint avec une éponge et non avec les doigts.
La vidéo se termine et je nettoie mon assiette et mes couverts. Les mains sous l'eau chaude, je pense à la suite de mon histoire. J'imagine Léxandre à la place de mon personnage. Et bien sûr, moi à la place de Sarah.
Tout au fond de moi, je sais d'où vient le premier chapitre. De mon désir enfoui et repoussé. Celui qui vient tout droit de mon adolescence et de mes hormones en feux lorsque Léxandre était dans les parages.
Combien de scénarios ai-je fait, nous imaginant coucher ensemble ? Que ce soit dans les toilettes du lycée ou dans ma chambre quand Louis s'absentait pour fumer.
J'en avais longtemps honte. Avec un père enterré et une mère aux abonnées absentes, il n'y a que Louis qui m'a aidée à grandir. Si parfois je faisais la sourde oreille, il était mon allié durant mon adolescence. Sans lui, je n'aurai jamais su mettre des mots sur ce qui m'arrivait. Et j'avais bien trop peur de vérifier sur le Net !
Lorsque j'ai eu pour la première fois mes règles, les filles de ma classe se sont moquées. Je n'avais aucune protection hygiénique sur moi. Le sang a taché mon pantalon. Ç'a été la pire humiliation de ma vie !
Aujourd'hui si ça devait arriver, même si je me sens encore mal vis-à-vis de ce moment, je n'aurais plus honte. Les accidents arrivent. Ce n'est pas moi qui aurais un problème, mais les personnes qui se moquent de ça !
Cette première fois, donc, Louis m'a ramenée à la maison et m'a tout expliqué. La panique est partie aussi vite qu'elle est arrivée. J'étais, naïvement, contente de devenir une femme ! Je dis bien naïvement. Si la douleur ne se mêlait pas au sang, ça irait :
Mes pensées divergent tandis que mes pas me portent jusqu'à ma chambre. Vu l'heure avancée, je décide de me coucher. Demain, une longue journée m'attend !
***
Le lendemain matin, je suis à la bourre. Je n'ai pas entendu mon réveil. Le petit-déjeuner zappé et habillée à la va-vite, je dis au revoir à Madeleine et quitte mon appartement.
Je conduis prudemment jusqu'à mon boulot. Je préfère arriver en un morceau. Tant pis si j'ai trente minutes de retard !
Lorsque je foule l'entrée, je suis tétanisée sur place. Mon patron est accoudé à l'accueil. Ses iris émeraude trouvent les miennes. J'esquisse un sourire forcé.
Je suis dans la merde jusqu'au cou.
Pourquoi n'est-il pas dans son bureau ? J'aurais pu gagner le mien en toute tranquillité !
— Madame Becker, m'interpelle-t-il en souriant.
— Monsieur, je...
— Vous êtes encore en retard, remarque-t-il en haussant son sourcil droit.
Je remue ma tête en signe d'accord. Je suis fautive. Rien de tout ça ne serait arrivé, si je ne m'étais pas couchée tard. Je ne peux m'en prendre qu'à moi.
— Je suis désolée, Monsieur, dis-je en avançant lentement comme si j'avais peur qu'il me dévore. J'ai travaillé tard hier soir et...
Je me tais. Les iris inquisiteurs de mon patron me sondent. Il se décolle du comptoir et pince ses lèvres. À ses traits, je lis les questions qui se bousculent dans son cerveau.
— Vous avez un deuxième emploi ?
— Euh... non. Je ne voulais pas dire ça. Je...
Je cherche une excuse. Je suis bel et bien incapable de lui parler de mon histoire.
Monsieur Weits croise les bras contre son large torse. Sa veste voir remonte un peu. Mes yeux se baladent le long de son corps. À vrai dire, je le détaille et me récite mentalement qu'il est comme tous les autres. Je n'ai pas à avoir peur. Monsieur Weits est mon supérieur, pas mon ennemi.
— Que vouliez-vous dire ? Vous travaillez au black ?
Je prends mon courage à deux mains. Mes poumons se gonflent et l'air s'extrait avec lenteur.
— Non, pas du tout. J'ai écrit pratiquement toute l'après-midi jusque tard dans la soirée...
Comme s'il ne voulait pas en savoir plus, il secoue son menton. Je me tais et attends son verdict ; que je rattrape mes vingt-trois minutes de retard ce soir.
— Mettez-vous au travail, Madame. Bonne journée.
Je reste pantoise. Rien, aucun sermon. Il me fait un signe de la tête, avant de se retourner vers l'agent d'accueil.
— Merci, à vous aussi, Monsieur.
J'aime le fait qu'il ne s'immisce pas dans ma vie privée. Qu'il ne me dise pas comment gérer ma vie pour ne pas arriver en retard.
L'ascenseur me mène à mon étage, l'avant-dernier.
Pour être honnête, je n'ai pas la tête à bosser. Des scènes se créent dans mon cerveau. Il faut à tout prix que je les écrive en mémo avant de les oublier !
Le temps que l'ordinateur s'allume, j'en profite pour écrire à l'arrache sur un post-it. Des mots, des scènes, des lieux. Tout y passe. Une fois mes idées couchées sur papier, je me lance dans mon travail.
Comme d'habitude, je m'occupe des réseaux sociaux et des mails. Je réponds en privé et quand je n'ai pas d'information, je questionne l'éditrice Géromine Merle.
Là, une jeune auteure de dix-neuf ans demande quand elle aura une réponse. Dans son mail, elle ajoute que si elle n'en a pas dans la semaine, elle signera avec une maison d'éditions concurrente.
J'envoie un mail, sans aucune pression, à l'éditrice pour lui demander des informations. Si son manuscrit a été lu, s'il y a déjà une réponse. La réponse ne se fait pas désirer.
De : G.Merle (GéromineMerle@Lunaéditions.com)
À : Luna Éditions (contact@lunaéditions.com)
Objet : Re : Manuscrit L'envol d'Élise Pujol.
Date : 28/09/2020
Bonjour Jules,
Le manuscrit de Madame Pujol nous a été soumis le mois dernier. Il est en court de lecture par le comité. Aucun avis n'a été donné. L'auteure aura une réponse dans les deux mois qui viennent, sauf contretemps de notre part.
Cordialement,
Géromine Merle, Éditrice
Je la remercie et tape la réponse à l'auteure, disant exactement la même chose. Madame Pujol daigne me répondre une heure après. Je lis son mail en soupirant. Elle a beaucoup à apprendre de l'édition.
De : Élise Pujol ([email protected])
À : Luna Éditions (contact@lunaéditions.com)
Objet : Re : Re : Soumission Manuscrit Élise P...
Date : 28/09/2020
Deux mois à attendre ? J'ai reçu une réponse d'une maison hyper sérieuse en une semaine. Je ne peux pas attendre autant de temps !
Vous pourriez peut-être le lire plus vite ? Je n'ai pas envie de rater ma chance avec l'autre ME.
Élise.
Cette histoire va me fatiguer. Ne comprend-elle pas que nous ne sommes pas des robots ? Qu'il n'y a pas qu'elle sur terre ?
De : Luna Éditions (contact@lunaéditions.com)
À : Élise Pujol ([email protected])
Objet : Re : Re : Re : Soumission Manuscrit É...
Date : 28/09/2020
Madame Pujol, vous devez comprendre que vous n'êtes pas la seule auteure à avoir soumis votre manuscrit.
Notre comité de lecteur, ainsi que la directrice du comité font leur maximum pour répondre dans les temps, avec des commentaires détaillés.
Les délais de soumission sont de trois à six mois. Trois mois étant le plus rapide à ce jour, pour la plupart des maisons d'éditions. Dans de plus grande ME, cela peut même aller à un voire deux ans d'attente.
Si vous souhaitez publier vite votre roman, pensez aux délais d'éditions. Une fois le contrat soumis, le roman sort des mois après. Éditer un livre sont questions de passion et de patience. Il y a beaucoup de travail. De l'éditorial, du graphisme, etc. qui ne se font pas en un jour.
Donc, si vous ne souhaitez pas attendre, je vous invite à signer avec l'autre maison d'éditions qui saura sûrement répondre à vos attentes.
Cordialement,
Jules, CM de Luna Éditions.
Comme je l'aurais parié, l'auteure me répond dans le quart d'heure. Pendant ce temps, j'ai répondu à d'autres mails et ai publié le teaser d'une future sortie. Élise Pujol m'annonce que finalement elle pourra attendre. Mon petit doigt me dit qu'il n'y a pas de deux maisons d'éditions. Ce n'est pas la première fois que ça arrive.
Au début de mon poste, une poignée d'auteurs ont testé ce procédé. Prétendre qu'une autre ME est très intéressée. Monsieur Weits est immédiatement intervenu. Il a remis tout le monde à sa place et a annoncé que les délais seront respectés, qu'ils le veuillent ou nous. Là, les trois auteurs ont tous pu attendre.
Élise Pujol n'est ni la première ni la dernière. Et si un jour un auteur est obligé à répondre sous un temps imposé, j'aviserai avec mon supérieur.
Je suis toujours étonnée par les maisons d'éditions qui pressent les auteurs. Ils les font patienter des mois, parfois les oublient, pour les presser à signer leur contrat. Le pire est que cela marche. Que des auteurs s'angoissent pendant des heures pour ne pas rater la soi-disant chance de leur vie.
L'heure de quitter mon bureau arrive. Je saute sur mes pieds, l'ordinateur éteint et attrape mes affaires. Avant de rentrer, je dois faire les courses. Au passage, je prendrai un repas rapide au fast-food. J'ai bien trop la flemme de cuisiner ce soir !
Je m'arrête sur le parking du premier magasin que j'aperçois. Mes doigts prennent une pièce de mon porte-monnaie que j'engouffre dans le trou du cadi. Mon sac à main à l'épaule, je file dans le supermarché. Mon cadi roule à travers les rayons et se remplit petit à petit.
Une fois tout le nécessaire pris, je me rends à la première caisse disponible. Il y a beaucoup de monde. Je suis contrainte d'attendre dans la première file, qui me paraît la plus rapide.
Bien sûr, celle d'à côté va plus vite. Je maudis cette personne qui paie en petite monnaie ! L'homme aux longs cheveux noirs donne pièce par pièce. Une fois le montant cumulé, je récupère ses courses et quitte le magasin.
La dame devant moi avec ses deux enfants passe vite. La petite fille est assise dans le cadi, à la place enfant et joue avec son doudou. Elle est blonde aux yeux marron. Son minois est rond, ses joues rosies et du chocolat tache le contour de sa bouche. Elle rigole en remuant sa peluche rose dans tous les sens. Je lui donne dans les deux ans.
Quant à son grand frère, qui semble avoir cinq ou six ans, il se tient au cadi. Le garçon aide comme il peut sa mère en prenant les courses pour les jeter dans le chariot. Lui aussi est blond, fin et souriant.
Ils sont le contraire des enfants de la file d'à côté. Les trois brament et abîment mes tympans. Les parents font ce qu'ils peuvent pour les faire taire. À la fin, ils leur donnent une sucette chacun. Ayant gain de cause, les petits garnements la bouclent. Pour le bonheur des clients.
C'est bientôt mon tour. Plus que deux clients avec peu d'affaires. Je suis contente. J'ai hâte de rentrer chez moi et me replonger dans l'écriture. La journée a été dure. Je n'ai pu qu'écrire des idées par-ci par-là. Pourtant, la fin de mon chapitre m'a taraudée à chaque instant.
Demain, j'apporterai ma clé USB contenant mon fichier. Je pourrais ainsi travailler durant les pauses. Ça m'évitera de sortir pour prendre un café et croiser mon connard d'ex.
— Jules ? Jules, c'est bien toi ?
La voix féminine m'est inconnue. Je me retourne et avise une jeune femme brune aux yeux bleus. Elle est la cliente suivante. Ses cheveux mi-court et raide encadrent son visage fin. Elle porte un jean noir et un pull beige.
Plus je l'observe, plus son visage me dit quelque chose. Ma tante. Mais impossible, cette femme est bien trop jeune.
Un éclair traverse mon esprit.
Ma cousine ! Louise Becker !
— Louise ? C'est fou de te voir ici ! Ça fait quoi, bien quinze ans qu'on ne s'est pas vu !
Louise acquiesce en souriant. Ses lèvres fines et rouges s'étirent.
— Oui, je trouve aussi ! Je fais mes courses toutes les semaines ici, c'est la première fois que je te croise.
À vrai dire, je ne sais pas quoi aborder. Nous avons un ou deux souvenirs ensemble. Rien qui amènerait une longue conversation sur notre passé et nos bons moments.
Louise me coupe l'herbe sous le pied. Elle observe autour d'elle, puis dépose ses prunelles sur moi.
— Tu ressembles à tatie, dit-elle en souriant.
Mon ventre se tord. Ma mère, il y a bien longtemps que je n'ai pas pensé à elle. Ce n'est pas une personne qui manque à ma vie. Loin de là. Notre vie ensemble a toujours été un calvaire. Aucune conversation, juste de l'ignorance. Je n'ai pas eu de mère.
— Ah bon ? Ça fait quelque temps qu'elle a fuie ma vie.
Le visage angélique de ma cousine se crispe. Elle mord sa lèvre en glissant ses yeux sur les enfants d'à côté.
— Je suis désolée, je ne savais pas.
— Pas grave, Louise. Je la préfère en tant que fantôme ! Mais dis-moi, on pourrait se voir un jour ? Ça serait bien de renouer.
Immédiatement, je pense à Lola. J'ai oublié de l'appeler hier. Mon histoire a accaparé toute mon attention. Je le ferai ce soir. Pour m'excuser de mon oublie, je lui proposerai une sortie entre femmes. J'ai besoin de me changer les esprits.
— Oh... je vois. Euh, oui. Ce serait superbe. Et pourquoi pas ce soir ? Je n'ai rien de prévu.
Le client devant moi passe à la caisse. J'avance en même temps que mes courses, suivie par ma cousine.
J'accepte et nous choisissons l'heure et l'endroit. À vingt-heures vingt dans un restaurant de la ville.
Une fois mon tour passé, je me dirige à ma voiture. En moins de deux, je transfère mes sacs dans le coffre de mon véhicule, rapporte le chariot et démarre. Chez moi, je range tout et me prépare à la hâte.
L'heure tant attendue pointe le bout de son nez. Je quitte mon appartement dans une robe bleu nuit et un gilet noir. Pas de maquillage ou coiffure extraordinaire. J'ai juste coiffé mes mèches emmêlées.
Mon désir de me terrer dans mon fauteuil toute la soirée est loupé. Pas grave. Louper ce moment de retrouvailles avec Louise serait idiot.
Comme convenu, nous nous retrouvons sur le parking. Louise porte les mêmes vêtements. Ses cheveux bruns et lisses tombent sur ses épaules.
La température basse nous surprend. Nous entrons donc au plus vite dans le restaurant. Le serveur nous propose une table et nous nous installons en silence.
Toutes les deux, nous commandons le menu du chef. Et pour fêter comme il se doit ce jour, une bouteille de vin s'ajoute au repas.
La soirée démarre lentement. Nous abordons nos boulots, nos amours et nos passions.
Je découvre que Louise est conseillère immobilière depuis sa majorité. Son patron, un certain Hugo, l'a embauché très jeune. Dans sa vie, elle est seule. Dante Luccie, son collègue conseiller, est l'homme qui fait battre son cœur. Seulement, un problème entache ses sentiments. L'italien de vingt-neuf ans est marié et a des enfants.
Pourtant, cet homme la cherche. Surnoms, allusions, tout y passe. Louise est certaine qu'il a des vues sur elle. Un peu comme Léxandre et moi. Sauf que lui est en couple. Par respect, ma cousine met ses sentiments de côté.
Elle a beaucoup de force. Je n'imagine même pas la déception qu'elle doit avoir. Être éprise d'un homme inaccessible.
Un peu comme Léxandre, finalement. Ce dernier est célibataire, du moins je le pense ! Ce serait un comble qu'il n'ait rien dit.
— Donc toi, c'est l'ami de Louis qui te plaît,
mes joues brûlent ! Je baisse les yeux sur mon plat chaud presque vide. Parler de Léxandre me rend toute chose. Mes émotions sont incontrôlables et me renvoient à la moi adolescente. Celle qui minaude et veut sautiller partout en tapant des mains. L'image s'incruste dans ma tête. Je la chasse vite.
— J'ai... l'impression que c'est réciproque. Quand je l'ai embrassé, saoul, il m'a retourné mon baiser. Après cette soirée, on s'est revu... On était gêné, mais je suis certaine qu'il n'y a que son amitié avec Louis qui dérange. Enfin, j'espère...
Louise termine son plat. Elle réfléchit en mastiquant. Puis, ses paupières s'écarquillent. Ses iris verts brillent d'excitation.
— Un conseil ; ne te bourre pas pour franchir tes barrières. Mais parle-lui-en. Tu me dis que vous vous êtes embrassé, il n'a rien dit après ?
Ça remonte à loin. Je fais un effort considérable pour me remémorer ce moment intense. Et l'alcool qui coulait à ce moment-là dans mes veines n'aide pas !
— Je n'en suis pas certaine. C'est assez flou. Je me souviens de deux phrases. Que je suis la sœur de Louis et qu'il n'a pas le droit.
Louise hausse un sourcil, l'air songeur. Pour me donner une contenance, j'apporte à ma bouche mon verre de vin. Je bois une gorge et le repose. Mes doigts tremblent et mon ventre est contracté. Repenser à notre premier baiser est à la fois savoureux et douloureux. Ses lèvres étaient si douces. Son baiser puissant.
— Je comprends. J'ai vu ça plusieurs fois. Entre amis, on se jure de ne pas toucher à la famille. C'est d'autant plus important, ai-je envie de dire, lorsque c'est une sœur. C'est bien plus que du respect. Il ne faut pas leur en vouloir.
Louise se tait. Elle replace une mèche de ses cheveux bruns derrière son oreille droite.
Le serveur aux yeux foncés et au crâne lisse nous interrompt. Il demande si nous avons bien mangé et prends nos couverts. Cet homme est souriant et bienveillant. C'est un véritable plaisir.
— Mais vous êtes adultes et intelligents, reprend ma cousine en posant sa main sur la mienne. L'amour est plus fort. Enfin... dans certains cas. Merde, je ne devais pas sortir ça. Heu... Ce que je voulais dire est que si une relation naît entre vous deux, c'est le destin. Louis n'y pourra rien.
Si seulement elle avait raison !
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