Chapitre 4 - Jules
Ce matin, je me sens vidée. La soirée d'hier fut éprouvante. J'ai bu jusqu'à m'endormir dans le canapé. Je me suis réveillée, le corps endolori et la gorge sèche.
Pour me remettre d'aplomb et passer la journée sans encombre, je termine la bouteille d'hier. Verre de vin rouge dans la main, je profite de ma nouvelle vie de célibataire. Mes larmes coulent malgré moi.
Je n'arrive toujours pas à y croire.
Sans mon honnêteté, jamais Jordan ne m'aurait dit la vérité. Je suis en colère contre lui. Contre moi. Je n'ai rien vu.
Le disque tourne en boucle. J'insulte mon maudit ex en regardant mon animal de compagnie. Ma tortue naine dort dans son grand bocal en verre. Louis me l'a acheté à sa sortie de prison. Pour se faire pardonner. Il savait que j'en désirais une depuis l'enfance. Je l'ai appelé Madeleine !
Madeleine est comme un membre de ma famille. Ma vie sans elle serait fade. Je serais seule. Elle m'aide beaucoup, même si elle ne parle pas et ne me comprend pas. Je dois paraître folle à lui donner une place aussi importante.
Mais à part Louis, je n'ai pas d'autre famille. Ma mère s'est barrée à la mort de mon père et ma cousine, Louise Becker m'est inconnue. On a dû se parler une fois quand nous étions enfants. Pour ce qui est de ses parents, je ne les connais pas. Sa mère, la sœur de la mienne, habitait à l'autre bout du pays. Les sœurs se voyaient donc rarement.
J'avise l'heure sur la boxe de ma télé. Dans trente minutes je serais à mon poste. Puis, une heure et demie après, je serais dans le bureau du directeur. J'ai hâte que tout soit terminé, pour rentrer chez moi et me coucher.
N'ayant pas le choix, je me prépare et quitte mon appartement. Le trajet jusqu'à mon lieu de travail est court. Ma voiture garée, je sors le cœur battant.
Cette journée me sera pénible. Croiser Jordan me sera pénible. Je me sens à la fois trahie. Dire que j'espérais emménager avec lui ! Je comprends toutes ses réticences. Jordan n'attendait rien de notre couple. Juste se vider les couilles.
Quelle conne !
Je reprends mes esprits quand je pénètre dans le hall de la maison d'édition. À l'accueil, je salue l'employé que je ne connais pas vraiment. Je suis plus du genre à faire mon travail et rentrer chez moi. Les affaires des autres ne me regardent pas. Je suis ici pour bosser, non me faire des amis.
C'est ce que j'aurai dû me dire il y a moins d'un an ! Je n'aurai pas succombé à Jordan et mon cœur ne serait pas brisé.
La matinée est interrompue par l'important rendez-vous. Il se passe en salle des réunions. Y sont présents le PDG, l'éditrice Géromine Merle, un graphiste, Tony Bell et moi-même.
Émilien Weits nous énumère ses idées. La couleur, l'effet visuel qu'il désire, ainsi que le design pour les pubs. Tout y passe. Tony et moi notons toutes les idées sur des feuilles. C'est un travail collectif. Monsieur Weits n'impose pas. Il demande notre avis.
Le rendez-vous dure une heure et quart. Le graphiste et moi-même avons de nouvelles instructions. Lui, de lui présenter des visuels et moi, de modifier mes heures de publications. Au lieu de huit heures de matin, l'annonce de la sortie du jour se fera à dix heures et la pub à six heures du soir.
Monsieur Weits nous invite à gagner nos postes. Il nous salue et je range mes feuilles en silence. Madame Merle est la première à quitter la salle. Elle est suivie du graphiste. Je me retrouve seule avec l'éditeur.
Une idée traverse mon esprit. Et si je lui parlais de mon projet d'écrire un livre ? Il pourrait m'aiguiller !
Non. Mauvaise idée. Je serais bien trop honteuse.
Alors je le salue et sors du bureau.
— Madame Becker, attendez.
La voix grave de l'homme roule sur ma peau. Je déglutis et me retourne. L'éditeur m'adresse un fin sourire. Sa main m'indique de le rejoindre dans la salle des réunions.
Mince. J'espère qu'il n'a pas eu vent de ma rupture avec Jordan. Cela n'impactera pas mon travail au sein de son entreprise, bien au contraire !
— Monsieur ?
— Je vais être franc, Madame. Je vous ai vu hier soir sur le parking.
Mon sang se glace. L'homme m'adresse un regard empli de douceur. Il n'est pas en colère, mais inquiet. Ses iris verts me sondent, cherchant mon âme. Je me sens nue sous ses beaux yeux.
Faut dire que mon patron est séduisant. Grand, carrure imposante et mâchoire carrée. Il doit tourner les têtes de toutes les femmes.
Dans ses costumes, il impose le respect et la virilité. Son charme mystérieux et son magnétisme m'intriguent. Cet homme, d'origine américaine, est de l'extérieur parfait. Gentil, à l'écoute et poli. De plus, il incarne le respect ! Fonder une entreprise dans un autre pays et aussi jeune est spectaculaire. Il n'a jamais baissé les bras, a combattu les critiques. Tout ça à payer. Il a des dizaines d'employés et autant d'auteurs.
Je bafouille des mots incompréhensibles. Mon employeur fait plusieurs pas dans ma direction. Il dépose sa main sur mon épaule en signe de soutien. Je reste sur le cul. Mon corps est immobile et mes paupières écarquillées.
— Est-ce que vous allez bien ?
Ma gorge est crispée. Mon patron s'inquiète pour moi.
Je baisse les yeux sur son corps, bien plus proche que jamais !
— Oui, je vais bien merci et vous ?
Niveau stupidité, j'atteins le sommet !
Monsieur Weits glisse sa main sur mon bras. Il enserre ma peau nue en soupirant. Ce contact m'étonne et m'apaise à la fois. L'éditeur m'inspire la confiance.
— Je vais bien, moi. Vous voulez en parler ?
Je refuse de la tête, le regard fuyard.
— Comme vous voulez. Mais sachez que ma porte est toujours ouverte.
— Merci pour votre proposition.
Je m'écarte de deux pas, indiquant que je retourne au boulot.
— Bon travail, souhaité-je en secouant ma tête, les lèvres pincées.
— Madame Becker... une dernière chose. Méfiez-vous de votre entourage. Écartez les personnes violentes de votre vie. Elles ne vous apporteront que des problèmes.
Ma tête se penche sur le côté. Je fronce les sourcils sous sa mise en garde. Il a donc vu Léxandre donner un coup de poing à Jordan.
— Vous savez, il ne faut pas tirer de conclusions sans avoir le contexte. Mon ami m'a défendu. Si ce n'était pas lui, j'aurais fait de même.
Dire que Jordan m'a insultée ne mènerait à rien. Je l'ai aussi insulté.
Monsieur Weits grimace en passant la main dans ses cheveux bruns. Il regarde en biais le tableau blanc au mur.
— Je vois. Mais faites quand même attention, Madame. J'ai encore besoin de vos superbes compétences !
Il ajoute à sa phrase un clin d'œil des plus surprenants. Je ne sais plus où me mettre. Mes idées et mon cœur s'emballent. Est-ce que mon patron me fait du gringue ? Où mon cerveau me joue des tours ?
Aucune idée.
Je retourne au travail, le cœur lourd. Cette situation m'angoisse.
Je passe le reste de la journée à ruminer. À plusieurs reprises j'envoie des insultes salées. Il y a bien une chose que je déteste. Que l'on me prenne pour une conne. Alors quand un internaute décide de pourrir les comptes de la maison d'édition, j'enrage. Pourquoi insulter ? Rabaisser les auteurs et les heures de travail ?
Mon premier message courtois est passé à la trappe. Aux grands maux les grands remèdes. Je l'ai bloqué partout. Tout d'abord sur Facebook suite à des insultes inutiles. Puis sur Instagram, car Monsieur n'a pas aimé être bloqué. Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il soit bloqué de partout.
Quand je termine mon travail, je suis fière de moi. J'ai tenu sans penser une seule fois à mon ex !
Non, au lieu de lui, j'ai pensé à Léxandre. Sûrement pire, mais plus excitant. Ça m'a aidée à tenir. La journée s'est passée très vite, bercée par mes pensées.
Dans ma voiture, mon téléphone vibre. Je le sors de mon sac et observe l'écran.
Louis : On avance notre dîner ? Je ne pourrais pas samedi soir.
Mes doigts pianotent vite.
Jules : Oui, si tu veux. Ce soir ? Ça me fera du bien.
Louis : Ok. Je commande pizzas.
Oui ! Je ne passerai pas la soirée seule à ruminer et boire comme une alcoolique. Si la raison du décalage m'interpelle, j'en suis heureuse. Je fonce donc chez mon frère pour une soirée décontractée.
***
Arrivée chez Louis, je constate qu'une voiture est garée devant son portail. Je me gare derrière et sonne. Le portail s'ouvre. Dans l'allée, deux autres voitures y sont.
Oh, ses amis sont là ! Il aurait pu au moins me le dire.
J'hésite à rebrousser chemin. Malheureusement, la porte d'entrée s'ouvre sur Dimitri, l'ami de Louis clin d'un œil en approchant. Il est suivi par Michael, qui lui, sort sa langue pour la gigoter sous mes yeux.
Je suis dégoûtée par son comportement. Il exécute des mouvements obscènes. C'est explicite et me gêne.
Je sais qu'il en profite, puisque mon frère n'est pas présent. Il n'oserait pas, sinon. Et je ne me gênerais pas pour le balancer. J'en ai tout simplement marre qu'on me prend pour une conne ! Je ne suis pas là pour amuser la galerie. Encore moins faire baver les hommes et leur donner des comportements hideux. S'ils veulent que je les respecte, ils ont qu'à faire de même.
Dimitri me dépasse. Il quitte l'allée de Louis pour rejoindre son véhicule qui l'attend devant le portail. Pendant ce temps, son ami continue ses conneries. Je passe outre et dépasse la première voiture.
— C'est de ta faute si on doit déguerpir, balance Michael en s'arrêtant devant moi.
Dommage qu'il ne se soit pas mordu la langue !
Je ne réponds pas et continue ma route. Avec soin, j'évite le regard brillant de l'abruti de service.
— Nan, mais elle a un problème, elle.
La voix amusée de Michael est exaspérante. Je continue, les poings serrés, jusqu'à la porte d'entrée.
— Ce n'est pas parce que t'es sa sœur que tu dois te la jouer.
S'il cherche à m'énerver, il ne réussira pas. J'ai eu ma dose avec Jordan hier soir.
Un moteur vrombit et un crissement de pneus fend le silence. Sans aucun regard en arrière, je passe la porte d'entrée. Le grand hall est plongé dans l'obscurité. J'avance de trois pas et tends l'oreille. Aucun bruit.
Une lumière filtrée sous la deuxième porte à ma gauche attire mon attention. Je ne connais pas cette pièce. Louis m'a présenté toutes les autres, sauf elle et le garage. Comme moi avec ma salle de bain et mon dressing. Il y a des choses qu'on garde secrètes, même avec sa famille.
La lumière disparaît pendant une fraction de seconde, avant de réapparaître. J'avance dans le hall et passe les deux premières portes. Celle de la cuisine, à ma gauche et du salon à ma droite.
Mon corps percute quelque chose de dur. Un torse. Des mains agrippent mes bras pour me retenir. Mon souffle est court. Mon cœur bat lourdement dans ma poitrine.
Je reconnais l'effluve boisé de la personne que j'ai heurtée. Léxandre Moreno.
— Désolée, je n'y vois rien.
— Je te rassure, je n'ai aucune super vision, ma belle.
Je souris. Son ton doux m'enveloppe comme des nuages. Au surnom, je me liquéfie. Léxandre a un don particulier pour me rendre folle en quelques secondes.
— Oh, ça me rassure. J'allais m'inquiéter pour mes sous-vêtements dépareillés...
Ma voix sensuelle lui fait effet, on dirait. Ses doigts resserrent ma chair. Sa respiration est plus lourde et s'abat sur mon front. La tension qui nous habite est hallucinante et imprévisible. Nous sommes dans le noir, nos corps à quelques millimètres de distance. Il suffirait d'un mot pour que je fonde sur lui.
Léxandre éveille de puissants désirs.
— N'en met pas la prochaine fois, souffle-t-il.
Sa bouche s'approche de mon front. Mon corps se fige. Je suis parcourue d'un frisson qui dévale ma colonne vertébrale. Ses mains parcourent mes bras et s'arrêtent à ma taille.
Je ne sais pas ce qu'il se passe. Est-il bourré ? Je ne sens aucune odeur d'alcool, mais son comportement étrange me réjouit ! Le Léxandre d'hier semble disparu.
Ses lèvres frôlent mon lobe droit. Un désir naît au creux de mon estomac. J'entreprends d'enrouler mes bras autour de sa nuque. Peu importe où nous nous trouvons. Je veux à nouveau goûter à ses belles et délicieuses lèvres.
— Ton frère va arriver. Attends-le dans le salon.
Les mots me manquent. Léxandre s'écarte de moi. Je reste pantoise avec ce qu'il vient de se produire.
Ce type joue avec moi, j'en suis certaine !
La lumière du couloir s'allume. Sous mes yeux, Louis se trouve tout souriant. Je lance un regard par-dessus mon épaule. Personne. Léxandre a disparu. La porte d'entrée est fermée.
Putain. Mais qu'est-ce qu'il vient d'arriver ?
— C'est parti pour la soirée film. Les pizzas arrivent d'une minute à l'autre.
Mon attention se reporte sur mon frère. Ce dernier traverse le couloir et m'invite à le suivre. Je ne dis rien, bien trop étourdie par le rapprochement inespéré de son meilleur ami.
Dans le salon, j'avise le DVD que Louis a sorti pour l'occasion. Du Western. Un vieux film que nous regardions plus jeunes. Les deux acteurs italiens m'ont toujours fait rire !
Le livreur de pizza pointe le bout de son nez après une dizaine de minutes. Louis le paye et nous nous installons dans son canapé marron.
Son salon est minimaliste. Un canapé, une table basse, un meuble où trône la télé et un lecteur DVD. Louis n'est pas adepte des décorations. Pour lui, ce sont des babioles à nettoyer et il n'a pas le temps pour ça.
S'il n'aime pas la décoration, son excuse reste médiocre. Louis travaille à mi-temps depuis qu'il s'est fait larguer. Il a perdu pied à la rupture. En même temps, cela faisait quatre ans qu'ils sortaient ensemble. Je comprends donc sa peine. Mais Monsieur, un tantinet impulsif, s'est vengé. Il a bousillé sa voiture et s'est tapé sa meilleure amie. Des actes stupides qui prouvent sa douleur.
— Y a une fête dans plusieurs semaines. Un samedi. Tu pourras venir avec ton mec. T'auras juste à me mentionner pour passer.
Je lève mon visage vers mon frère. Il avale un morceau de pizzas en regardant sa télé.
— Merci, mais je peux m'y rendre seule ?
— Nan, c'est en couple.
— Jordan et moi avons rompu, annoncé-je en croquant dans ma pizza.
Louis me coule un regard étonné.
— Ah, okay. Dommage.
— On pourrait y aller ensemble ?
Sa tête se secoue négativement. Il repose son attention sur le film.
— Nan. J'y serais déjà. Je dois aider à installer.
Tant pis. Je passerais la soirée chez moi, à m'occuper de Madeleine.
— Au fait, t'as démissionné ?
Je craignais cette question. Depuis qu'il a pété un câble en apprenant l'identité de mon patron, notre relation a changé. Si je ne le comprends pas, j'étais heureuse qu'il passe outre et m'invite. Je m'attendais même à ce qu'il annule définitivement le rendez-vous de samedi. En souhaitant ma présence ce soir, Louis montre qu'il tient à moi et qu'il est intelligent. Mon grand frère, quoi !
— Louis, ne commence pas avec ça. Si je démissionne, je serais dans la merde. Ces revenus me sont utiles. Je ne peux pas me permettre de les perdre parce que le patron ne te revient pas !
Louis grogne, la mâchoire serrée. Il m'observe en biais, pizza à la main.
— Ok, lâche-t-il avant de mordre un morceau.
— Je... peux te poser une question ?
Il mâche ce qu'il a dans sa bouche en roulant des yeux. J'attends qu'il termine, puis me lance. J'ai besoin de comprendre. Les craintes de Léxandre ne sont pas fondées. Je suis certaine qu'il m'a menti pour se donner bonne conscience et ne pas céder.
— Que se passerait-il si je sortais avec... un de tes amis. Attention, je ne dis pas que ce sera le cas ou que... Enfin, tu me comprends quoi.
La réaction de mon frère m'étonne. Il éclate de rire.
— Je le truciderai.
— Louis..., soupiré-je. Je suis sérieuse.
Comme s'il me comprenait enfin, son visage se ferme. Il détaille sa pizza avec un œil mauvais.
— Je ferais des colliers avec ses boyaux. Jules, personne ne s'approchera de toi.
Je vois. Même si sa fausse menace ne me convainc pas, je suis cependant abasourdie. Léxandre ne m'a pas menti. Ce qui est compréhensif, finalement. Je ne sais pas comment je réagirais si mon amie sortait avec mon frère.
— Je comprends, c'est parce qu'ils sont tes amis. J'aurais dû y penser.
— Parce qu'ils sont mauvais. Ils baignent encore dans des trucs louches. Ils couchent à droite à gauche. Ils ne veulent pas de relation stable, juste baiser. Je ne veux pas qu'ils te fassent du mal.
J'opine du chef, bien qu'étonnée par la description de ses amis. Même Léxandre s'envoie en l'air avec la première venue ? Je suis déçue. Je ne m'attendais pas à ça de sa part. Malgré son passé de criminel, je pensais que c'était oublié. Que sa vie était rangée. Il faut croire que non, aux dires de mon frère.
D'ailleurs, si ce dernier sait dans quoi ses amis traînent, pourquoi ne s'en fait-il pas d'autres ? Je n'aime pas savoir que mon grand frère est entouré de personne dangereuse.
— Si t'as besoin de compagnie, trouve-toi un mec bien. Si t'as juste envie de te faire sauter, y a des bars pour ça. Mais ne t'approche pas de mes amis.
— Je viens de rompre ! Je demandais ça par curiosité. Je ne cherche personne.
Aucune idée, mais j'ai la sensation de mentir. N'est-ce pas moi qui espérais les lèvres de Léxandre, dans le couloir ?
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