Chapitre 24 - Jules FIN
Michael place sa veste sur mes épaules, puis ferme les boutons de ses mains tremblantes. Il lance des coups d'œil derrière lui, observant l'entrée de l'usine abandonnée.
La nuit tombe. Elle nous enveloppe d'une douce fraîcheur. Les grillons chantonnent sous la lune. Bien que tout soit calme, ce lieu me file la chair de pouls. Il hantera mes nuits durant des années.
Adossée à la voiture de Michael, mon regard se perd dans le vide. Je suis déboussolée, sonnée. Toutes mes émotions se mélangent, me chamboulant.
— On attend Léxandre, d'accord ? Je ne sais pas s'il est sorti, mais je ne pars pas sans lui. Je fais le tour du bâtiment, tu ne bouges pas. Ok ?
Je zieute l'entrée éclairée par une lumière automatique au-dessus de la porte. Toujours rien. Sauf une odeur de brulé et quelques craquements.
Michael s'élance, puis se ravise. Il pivote vers moi et pose sa main sur mon bras.
— Tu vas mieux ? Tu veux me parler ?
Le timbre de voix de Michael est doux. Son émotion est perceptible. L'homme ne joue aucune comédie. Il s'inquiète pour moi. Ce qui est invraisemblable ! Il m'étonne. J'aurais mis ma main à couper qu'il ressemblait plus à Louis ; une brute sans cœur.
Juger sans connaître est assez humain, mais mal.
Incapable de lui répondre, Michael s'éloigne. Il traverse le parking, contourne le bâtiment et disparaît de ma vue.
Tous mes efforts pour me reprendre sont anéantis lorsque Stéphane sort de l'usine. Il me trouve du regard et m'adresse un sourire.
Mes muscles se bandent. Je suis cuite.
Stéphane est colossal. Il me dépasse d'une tête et demie. Sa corpulence est imposante. Son torse nu dévoile une musculature fascinante.
Mes pupilles sont fixées sur son visage. Je parcours son crâne chauve, ses blessures.
Derrière l'homme qui approche, la lumière créer un halo jaunâtre. Elle entoure sa silhouette, lui donnant un air mystérieux.
Or, bien que je méconnais Stéphane, il est tout sauf mystérieux. Je parierais plus sur fou ou psychopathe !
— Ne t'approche pas d'elle ! tonne la voix de Michael.
Ce dernier apparaît sur la gauche. Il court jusqu'à nous et dépasse l'allié de Louis qui marche d'une lenteur calculée. Le chauve nous avise d'un œil morne. Sa mâchoire est soudainement serrée. Apercevoir Michael près de moi lui déplaît.
— Louis m'a donné un ordre. L'emmener chez lui. Alors tu poses tes couilles et tu ne la ramènes pas, pigé ?
— Non, pas pigé. Léxandre m'a dit de la mettre en sécurité. Et elle ne le sera pas avec toi.
Michael se met en travers de son chemin. Il pose ses mains sur ses hanches et fait rouler les muscles de ses épaules.
Les deux hommes sont en plein combat de coqs. Je reste en retrait, reniflant et essuyant mes larmes coulées.
— T'as pas compris, Michael. Cette gonzesse va me suivre. Que tu le veuilles ou non.
— Ne sois pas ridicule. La police et les pompiers sont en route. Je les ai appelés il y a sept minutes.
Le rire de Stéphane tonne sur le parking. Ma vision est attirée par le bâtiment englouti par l'obscurité. Une lumière vive me fait de l'œil. Elle grandit au fil des secondes. Les craquements de tout à l'heure sont bien plus audibles. Mon cœur loupe un battement quand je comprends ce qui se déroule.
Un incendie !
— Le feu ! hurle-je en pointant la zone.
Les deux hommes s'interrompent pour suivre la direction de mon index. Au loin, la naissance de sirène de pompier chatouille nos oreilles. Ils arrivent !
Stéphane jure. La crainte d'être prise sur le fait est énorme. Il est soudainement inquiet. Il pointe Michael du doigt en le contournant.
— Toi, t'es mort. Et toi, tu me suis.
Je recule en secouant la tête. Stéphane saisit en une poignée de seconde mon bras et me tire à sa suite. Je me débats, reculant de toutes mes forces. Michael me vient en aide. Il repousse d'un coup dans l'estomac.
La sirène se rapproche. Stéphane me lâche en insultant de plus belle. Il hésite entre fuir avant que la police débarque ou prendre le risque d'être chopé pour m'amener chez Louis. Étrangement, il opte pour la première option. Ses jambes s'allongent, le bruit de ses pas résonne. Il fuit. Même Michael n'en revient pas.
Quant à moi, je ne me préoccupe plus de ce fou. J'accours au bâtiment, poursuivie de Michael.
— N'y va pas, Jules ! Tu vas te blesser !
Il attrape ma taille et me plaque contre lui. Je me bats, tente d'échapper à son emprise.
— Ils sont à l'intérieur ! hurlé-je comme une folle.
Je retiens mes sanglots. Sans réfléchir, je donne des coups de coude à Michael. Il râle pour la forme et m'emprisonne plus fermement.
— Non, s'il te plaît, Léxandre...
Ma voix s'étouffe. Mes yeux s'humidifient. Si la sirène s'éteint, indiquant l'arrivée des pompiers, ma peur continue. Le bâtiment prend feu. Bientôt, il n'en restera rien. Et Léxandre et Louis sont encore à l'intérieur.
— Calme-toi, Jules. Ils vont sortir...
Son timbre est hésitant. Il n'y croit pas lui-même. Il sait qu'ils n'ont aucun moyen de quitter l'usine abandonnée.
Je m'effondre en larme. Mes muscles lâchent, mon corps tombe au sol. Michael me libère en douceur. Mes genoux nus heurtent le sol de gravier. Je suis hors de moi. Mes larmes coulent sur mes joues abondamment. Je ne retiens plus ma tristesse.
Autour de moi, tout s'active. J'entends des voix d'hommes, des pas lourds et des questions qui me sont adressées. Michael se joint à moi. Accroupi à mon côté droit, il passe son bras sur mes épaules et me berce.
Les pompiers s'activent. Ils tentent d'éteindre le feu qui ravage le bâtiment. Moins de trois minutes après, les policiers débarquent enfin. Mais c'est trop tard.
Je n'ai jamais autant pleuré. Les émotions qui me transpercent sont puissantes.
— Léxandre ! m'écris-je entre deux sanglots.
— Calme-toi, Jules, me souffle Michael pour la énième fois. Ils... ils vont s'en sortir.
Ils. Il. Léxandre. Je suis tellement en colère contre mon frère que sa vie n'a plus d'importance. C'est ignoble à dire, je sais.
— Je veux Léxandre !
Je chouine comme une gamine de quatre ans. Mais ma peine vrille mon cœur, l'écorche. Je réalise de plein fouet que Léxandre est dans ce bâtiment. Qu'il est en train de mourir. Qu'il a littéralement donné sa vie pour moi.
Il n'était pas obligé de venir ici. De me sauver des griffes de Louis.
— Des pompiers sont dans l'usine, chuchote Michael. Ils vont les sauver.
Je libère un nouveau sanglot. Plus fort, plus sincère. Les paroles de Michael sont des sornettes.
— Personne à l'intérieur.
Un hoquet me surprend. Je relève mon menton trempé en visant un point invisible devant moi. Le pompier sort du bâtiment dont les flammes sont presque maîtrisées. Il assure qu'aucun corps n'est à l'intérieur.
— Il y avait deux hommes, lance Michael en se levant. Ils ont dû sortir.
Un pompier opine du chef. Deux pompiers sur les quatre décident de faire le tour du bâtiment. Je suis sur le qui-vive. Lorsque l'un revient en courant, mes espoirs enfouis renaissent.
— Il y a deux corps ! Nous avons besoin d'une civière, l'un est blessé par balle.
L'un ? Et l'autre ?
Je me redresse sur les jambes et m'appuie sur le bras de Michael. Sans attendre, j'entreprends de les rejoindre. Mes jambes commencent à me porter en tremblant, mais Michael m'en empêche. Ses doigts entourent mon bras et me forcent à rester ici.
— Laisse-les faire leur travail, me dit-il avant de s'adresser à un pompier. L'un des deux est le coupable. Il l'a agressé. Elle a besoin d'aide.
Le pompier aux cheveux grisonnants et au corps imposant s'avance vers moi. Il m'invite à le suivre au camion pour me prendre en charge. Je résiste un peu. Je veux retrouver Léxandre. M'assure que sa vie est saine et sauve.
L'homme m'en dissuade. Il parvient à ses fins. Je le suis en séchant mes joues. Au camion de pompier, il m'interroge sur ma santé et ce qu'il s'est passé. À part les deux ou trois bleus que j'ai, mon corps n'a rien de plus.
La civière revient, portée par les deux pompiers. J'accours, ignorant les mots réconfortants du pompier.
Léxandre est allongé, les yeux fermés. Sa peau est tachée de suie, son flanc gauche perforé par un impact de balle. Louis lui a tiré dessus.
À cette vision, mon cœur se serre et les larmes coulent de plus belle. Je tente de lui parler, de le toucher, mais Michael me repousse.
— Léxandre... non pas toi, s'il te plaît ! Ne me quitte pas.
Un silence de plomb tombe. Léxandre ne réagit pas. Pourtant j'aimerais que le contraire se produise. Que ses paupières s'écarquillent et qu'il me lance une phrase idiote. Même une insulte, le temps qu'il réagisse.
— Un mort et un blessé grave.
La sentence vient de tomber. Louis est mort et Léxandre le sera peut-être.
Mon visage se glisse dans mes mains. Je pleure en bafouillant le prénom de Léxandre, qui est emmené dans le camion de pompier. Un agent de police pose des questions, tandis qu'un pompier débriefe avec son collègue. J'écoute leur conversation, mettant de côté celle de Michael et le policier.
— Une sortie a été forcée. Vu le corps brûlé, celui blessé par balle l'a sorti de l'usine.
Brûlé ? Louis a été brûlé avec l'incendie ? Je n'en reviens pas. Des images naissent dans ma tête. Je vois mon frère, la peau brûlée. Mes sanglots s'intensifient.
***
Je me lève en hurlant. Mon cœur bat à un rythme effréné. Le sang dans mes veines bouillonne sous le cauchemar que j'ai fait.
Le même depuis des semaines. Le même qui me hante en boucle depuis l'incendie. Depuis que Louis est mort et Léxandre entre la vie et la mort.
J'ai identifié le corps de mon demi-frère. Ça été l'un des moments le plus douloureux et intriguant. J'étais partagée entre la tristesse et le soulagement. Tristesse de perdre mon frère et le soulagement que ce monstre soit enfin hors état de nuire.
Demi-frère. Je n'y crois pas. J'ai dû attendre vingt-six ans avant de connaître la vérité. Ma mère n'est pas la sienne. Elle a remplacé sa maman après son décès. Comment mon père et Louis ont-ils pu garder ça ?
Je porte ma main à ma poitrine et attrape le verre d'eau sur ma table de chevet. Je bois d'un trait le liquide transparent, puis essuie mes lèvres.
Cette nuit encore a été mouvementée. Dans mon cauchemar, j'étais prisonnière du feu. Personne ne venait me sauver. J'avais beau hurler, j'étais seule.
J'aimerai tellement que tout ça se stoppe. Que de doux rêve bercent mes nuits, comme avant. Je donnerai cher pour rêver d'amour, de joie, de bêtises inoffensives.
En reposant mon verre, j'avise l'heure. 7h10 du matin. Le choix entre se recoucher ou filer sous la douche est vite pris. Je me lève à la hâte en essuyant mes joues. Marre de passer mes journées à broyer du noir. À espérer un appel de l'hôpital ou de Michael concernant Léxandre. Si je ne m'aère pas l'esprit, la folie me prendra.
Sous l'eau, mes larmes continuent. J'ai honte de moi. De ne plus soutenir Léxandre. Ma dernière visite à l'hôpital remonte à six jours. Il était dans le coma. Le voir ainsi m'a touchée. J'ai baissé les bras. À chaque visite, je fondais en larme. Une voix dans ma tête me sermonnait, me criait que Léxandre mourrait par ma faute.
Depuis, je suis enfermée dans mon appartement. Je passe des heures devant mon meuble dans le salon, repensant à Madeleine. Ma tortue me manque. Elle était un pilier fondateur dans ma vie. Sa disparition a été bizarrement la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Sans elle, mes journées sont longues et dénuées d'amour et de joie.
Je quitte le jet d'eau chaude pour glisser dans une serviette. Mon nez coule, ma respiration est saccadée. Mes nerfs sautent une fois de plus. Au loin, mon attention est attirée par une sonnerie. Mon téléphone. J'accours, le souffle court, à ma chambre. En voyant le nom de l'expéditeur, je suis déçue.
Monsieur Weits : Bonjour, Madame Becker. J'ose vous recontacter à nouveau. Je sais que vous n'avez pas la tête à cela, mais je vous ai fait parvenir un mail avec votre couverture à valider au plus tôt. Voilà deux semaines que je n'ai plus de vos nouvelles et la sortie de votre roman approche... Voulez-vous qu'on la décale ? N'hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit. M.Weits.
La gentillesse de mon patron me surprend de jour en jour. Quand il a appris ce qui est arrivé, il s'est empressé de m'appeler. Il a discuté avec moi, m'a donné du temps avant de reprendre mon travail. Aujourd'hui, il me prouve à nouveau sa bonne foi.
Jules : Bonjour, Monsieur Weits. Merci de me contacter. J'ai raté votre mail avec les événements, j'en suis navrée. Non merci, ne décalez pas la date. Je vais prendre connaissance de votre mail. Merci.
Je fonce dans ma boîte mail. Dans la barre de recherche, je tape l'adresse e-mail de mon patron et découvre son dernier mail. Ci-joint au mot, la couverture en attente de validation. Mon émotion explose. Je saute de joie en voyant le travail du graphiste. La couverture de mon livre est simple, mais attrayante. La police d'écriture ressort et met en avant l'image du couple enlacé.
Les doigts tremblants, je valide la couverture. Au moins une bonne nouvelle durant ces un mois et demi. C'est déjà ça !
Entre-temps, Monsieur Weits m'a envoyé un nouveau message. Il me remercie et me demande si nous pouvions nous appeler pour discuter. Loin d'être idiote, je sais de quoi il veut converser. Mon poste de Community Manager.
Cette courte pause est vite balayée. À nouveau, je broie du noir. Je suis enfermée depuis des jours. Je n'ose même plus sortir de peur de croiser des gens connus. De peur d'être jugée. Au moindre pas dans la rue, des souvenirs refont surfacent. Ils sont violents, dérangeants et gagnent toujours.
C'est idiot. Je n'ai rien fait de mal. Mais j'ai honte de tout. Je suis même incapable d'en parler ouvertement. Lorsque Lola, Louise ou Michael m'en parlent, je me braque. Mes oreilles se bouchent, ma gorge se noue. Je suis proie à mes démons.
Jules : Puis-je vous retrouver aux locaux de Luna Éditions ? J'ai besoin de sortir de mon appartement, pour être franche ; je vais devenir folle !
Mes conversations avec mon patron sont toujours familières.
Monsieur Weits : Je vous attends avec plaisir.
Pour une fois, le soleil m'appelle. Le besoin de sortir est plus fort que tout. Je prends mon courage à deux mains, maquille mes cernes et dégonfle mes yeux avec un décongestionneur connus.
Ma tenue est simple. Jean bleu ciel, tee-shirt gris et gilet noir. Ma coiffure est rapide. Un coup de peigne et le tour est joué !
Je passe la porte en repoussant un sanglot, sac à main à l'épaule. Je me dois d'être forte ! Mon travail est sur le chemin de l'hôpital. Je ferais une pierre de coup en discutant avec mon patron face à face. Il faut à tout prix que je parle de mon avenir au sein de son entreprise. Depuis des mois, ma vie est un vrai chantier. Je comprendrais qu'il me vire.
Ma conduite est nerveuse. Mes mains se crispent sur le volant, la tête me tourne. L'accident me revient en mémoire. Je revois le regard meurtrier de Louis à travers le rétroviseur. Je le revois nous foncer dedans, créant un impact redoutable. Je ressens le choc des deux voitures se percutant. Sans la ceinture de sécurité, mon corps aurait percuté la vitre. Je me demande même comment nous avons survécu ! Un peu plus et nous nous retrouvions écrasés comme des galettes.
Puis, il y a aussi mon réveil dans la voiture penchée. Le visage de Louis était penché au-dessus de moi, tandis qu'il retirait ma ceinture. J'ai eu beau crier, appeler Léxandre, rien n'a marché. Autant dire que me débattre face à Louis était pathétique ; j'étais encore sonnée.
Je chasse tout ça en me garant sur le parking. Aucun incident n'est survenu ! Je ferme mon véhicule, vérifie une dernière fois téléphone, puis atteins les portes. Revenir sur mon lieu de travail est tout drôle. Il y a bien longtemps que je n'y ai pas mis les pieds.
Tout est comme dans mes souvenirs. Le hall aussi propre et silencieux. Seul l'agent d'accueil parle, répondant au téléphone.
Je me dirige tout droit vers l'ascenseur, la tête baissée. Mes doigts triturent la lanière de mon sac, sous le stress. La montée est rapide et arrivée au dernier étage, je pousse un profond soupir. C'est parti ! J'espère au moins que Monsieur Weits ne parlera pas de ce qui est survenu. Comme les autres jours, je n'en ai pas le courage.
Mon poing se forme et cogne contre la porte. La voix à l'accent anglaise s'élève, m'invitant à entrer. Je m'exécute. À l'intérieur, mon patron m'attend debout, les fesses contre le bord de son bureau. Il décroise ses bras en m'apercevant. Le grand sourire qui étire ses lèvres est sincère, mais pince mon cœur. Sans être méchante, ce n'est pas son sourire que je désire, mais celui de Léxandre.
Léxandre Moreno. Ce criminel idiot et incroyable qui a trouvé une place dans mon cœur. L'ancien meilleur ami de mon frère qui m'obsède.
— Bonjour, Madame.
Monsieur Weits traverse son bureau. Il tend sa main vers l'une des chaises en refermant la porte. Je le salue à mon tour. La présence rassurante de mon éditeur est la bienvenue. Il est serein, bienveillant. J'en avais grandement besoin !
— Merci d'avoir fait le déplacement.
Je m'assieds sans un mot. Mon attention se porte sur la pile sur son bureau. Un contrat est au-dessus. Mais pas un contrat d'édition. Un contrat de travail. Ma bouche s'entrouvre et je cherche des yeux le regard de mon patron. Pendant qu'il s'installe, il retrousse les manches de sa chemise marron. Comme toujours, Monsieur Weits est rayonnant. Il aborde un fier sourire à faire pâlir une jeune fille.
— Pour votre roman, il est entre mes mains. J'effectue une correction éditoriale qui vous sera envoyée sous peu. Puis vous accepterez ou non les modifications. Par la suite, deux correcteurs travailleront sur le roman. Normalement, d'ici un mois et une ou deux semaines, vous recevrez la dernière version à valider.
Mon faux sourire est visible. Monsieur Weits le remarque et fronce ses sourcils bruns.
— Êtes-vous certaine pour la sortie ? Je comprendrais tout à fait que vous n'ayez pas l'esprit à travailler.
Tiens, en parlant de travail, j'aimerai un point sur le mien !
— Non, ça ira. Par contre, qu'en est-il de mon travail ? Je sais que cet arrêt est...
Monsieur Weits lève la main pour m'intimer le silence. Mes lèvres se ferment. J'attends son verdict avec appréhension.
— Votre arrêt médical suite aux événements tragiques et traumatiques ne remet pas en cause votre poste au sien de Luna Éditions. Non seulement j'ai besoin de vous, mais vous virer ne rimerait à rien.
Mon lourd soupir de soulagement arrache un rire à mon patron. Son dos se colle à son dossier. Nos regards se croisent une fraction de seconde. Ses prunelles vertes me sondent jusqu'à l'âme.
— Merci beaucoup. Mais qui effectue mon travail ?
La réponse m'effraie.
— Jusqu'à présent personne. Mais j'ai engagé aujourd'hui même une personne. En attendant qu'une place se libère, je suis contraint de l'installer dans votre bureau. Le Community Manager vous remplaçant prend actuellement place. N'hésitez pas à lui rendre visite.
Mon menton remue de haut en bas.
— Je passerai demain. Merci.
Monsieur Weits se redresse sur son fauteuil. Ses lèvres bien dessinées se pincent. Le charme de cet Américain est fou, envoûtant, palpitant.
— Non, refuse-t-il en croisant ses bras sur son large torse. Juste après notre entrevue.
Oh ! C'est la première fois que mon patron a un timbre de voix sévère avec moi.
— J'aimerais rendre visite à Léxandre. Il est toujours à l'hôpital...
— Vous en avez pour cinq minutes, allez-y. Et tenez-moi au courant, madame.
Intriguée par son insistance, j'accepte. Je me lève et le remercie du fond du cœur. Il est plus que patient et compréhensif avec moi.
— Madame Becker ?
Dos à lui, je lance un regard par-dessus mon épaule.
— Oui ?
— Votre remplaçant prendra la place de Graziella Mandon à votre retour. Cette dernière a été balancée par Stéphane et a été arrêtée pour vol, torture et viol.
Je tombe des nues. Graziella Mandon ? La secrétaire de Monsieur Weits ? Des données me manquent. Je ne comprends plus rien !
— Quoi ? fais-je en me tournant. Mais comment est-ce possible ?
Monsieur Weits se lève. Il parcourt son bureau des yeux.
— Oui. Graziella était l'amante de... votre frère.
La fin de sa voix est basse. Sa tête se penche en avant, prouvant la gêne qui le traverse.
En parlant de mon connard de frère, il a piqué mon organe vital. Je mords l'intérieur de ma joue en inspirant lentement.
— Je ne le savais pas, merci.
— Si vous... voulez un jour en parler, ma porte sera toujours grande ouverte. Allez, filez.
— Merci. Bonne journée.
Il me répond et je file. Je longe le couloir, arrive à l'ascenseur. Au moins, cette conversation a ôté des doutes. Ma place n'est pas en danger.
Le chemin à mon bureau est rapide. Je n'ai pas le temps de me triturer la cervelle. Mes démons sont dans un coin, et ce, pour la première fois depuis des semaines ! J'ai la sensation de revivre, d'oublier toutes ses journées remplies de pleurs.
Devant ma porte en bois, je prends une profonde inspiration. Qui va me remplacer durant des semaines ? Pour en avoir le cœur net, mes doigts entourent la poignée et l'abaissent. Tout doucement, la porte s'ouvre, dévoilant la carrure d'un homme imposant.
Il est de dos, les mains posées sur le bureau. Ses cheveux noirs sont bien coiffés. Des mèches reflètent la lumière filtrée par la fenêtre.
Ma main se porte à ma bouche. J'étouffe un sanglot et bafouille des mots incompréhensibles. Mon sac à main tombe au sol, dans un bruit qui résonne.
— Lex... Léxandre !
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Je n'hallucine pas. Si ? Non ? Léxandre est là ! Il se retourne. Ses traits sont flous, mes yeux humides. Je sanglote à chaude larme. Mes pieds, soudainement plus lourds, m'emmènent à mon amoureux.
Mon amoureux. Parce que j'ai bien compris un truc durant ce long mois à veiller à son chevet. Je suis amoureuse de cet homme.
— Jules.
Ses mains se lèvent, m'invitant à rejoindre son corps. Sans attendre, je fonds contre lui.
— Ne pleure plus, trésor.
Sa voix est faible, à la limite de se briser. Léxandre est autant que moi touché par nos retrouvailles.
Son torse s'élève et se rabaisse contre le mien. Mes bras s'enroulent autour de sa taille, mais ce n'est pas assez. J'aimerais sentir sa peau contre la mienne, joindre nos lèvres en un baiser.
Sa main droite tombe à la chute de mes reins, tandis que l'autre glisse dans mes cheveux. Son étreinte m'apaise. Mes sanglots se calment et mes idées se font plus claires.
— Je suis là, maintenant. Je suis si content que tu n'aies rien.
Il se tait, accusant le coup. Son visage se faufile au creux de mon cou. Notre étreinte est plus puissante. Il me serre fort et je lui rends.
— Tu es sorti...
— Oui, depuis deux jours, répond-il en reniflant. J'aurais dû t'appeler... mais j'ai rendu visite à ma mère. Elle m'a littéralement séquestré et nourrit comme un bébé. J'ai encore l'odeur de ses légumes dans la bouche...
Un sourire naît sur mes lèvres. Enfin. Un vrai, un pour Léxandre.
— Je comprends. Mais mon téléphone était allumé... Au fait, qu'est-ce que tu fais là ?
Léxandre se décolle. Ses mains emprisonnent mes épaules et nos pupilles s'interceptent. Il a pleuré. Je le constate de ses yeux rougis et ses cernes humides.
— Émilien est passé à l'hôpital, il y a trois jours. Il m'a proposé de te remplacer. Même si je le prends toujours pour un con, j'ai accepté.
C'est donc mon patron qui a tendu la main vers Léxandre. Mais pourquoi ? Je pensais qu'il n'avait pas confiance en lui...
— Depuis combien de temps es-tu sorti du coma ?
— Quatre jours, à peu près. Quand j'ai ouvert les yeux, il faisait nuit. J'étais seul et complètement paumé. J'ai directement pensé à toi. Mais assez parlé de moi. C'est toi qui m'intéresses.
J'attrape en coupe son visage. La chaleur de sa peau m'a tant manqué !
— J'ai passé les pires semaines... Entre cauchemars, souvenir... J'ai cru que je deviendrais folle. J'ai cru te perdre.
Ses yeux dévient sur ma bouche. La lueur de désir passe à travers ses iris. Il se retient de se jeter sur moi, de me dévorer toute crue. Son souffle chaud s'écrase sur mon visage. Une vague de chaleur réchauffe mon bas-ventre. Sa présence est divine.
— Je suis là. Et crois-moi, tu vas le regretter. Je ne vais plus te lâcher... Enfin, à part si tu...
Mon index se dépose sur ses lèvres. Toutes les traces de bleus ou de coupures ont disparu. Sa peau appelle de nouveau aux caresses et aux baisers.
— Je t'aime.
Mes mots sont sortis tout seuls. Léxandre réagit au quart de tour. Ses lèvres fondent sur les miennes. Elles jouent ensemble, s'aguichent. Nos mains ne sont pas en reste. Elles glissent sous nos hauts, parcourant nos chairs avec avidité. Je sens un pansement à son flanc gauche. La balle. C'est vrai.
— Mmh... attend. Que s'est-il passé dans l'usine ?
Je mets un terme au baiser à contrecœur, mais j'ai besoin de réponse. Léxandre hoche la tête en reprenant son souffle.
— Louis m'a tiré dessus, alors que je nous trouvais une sortie. Je me souviens qu'il me tirait jusqu'au feu... Je l'ai repoussé et il est tombé. Je... après je ne sais plus.
— Tu l'as tiré du bâtiment... Les pompiers ont trouvé son corps à côté du tien.
Léxandre est gêné par la conversation. Pour être franche, je le suis tout autant. Il est compliqué de repenser à Louis. Ça me ramène toujours à l'usine et ce que j'ai enduré.
— Sûrement. J'ai loupé des trucs ? On m'a pas tout raconté.
— Stéphane... il a été arrêté en s'enfuyant de l'usine. Il a balancé Graziella... Pour Rachel, ton ami m'a fait un compte rendu. Il a prévenu les policiers qui ont interpellé Joël. Elle va mieux, mais ce n'est toujours pas la forme... D'ailleurs, je te remercie pour Michael. Il m'a protégé de Stéphane qui s'est barré comme un lâche en entendant les pompiers. Sans lui... j'aurais rejoint Rachel chez Louis. Et je ne pense pas qu'on aurait joué au scrabble !
Ma pointe d'humour nous déride. Ça fait drôlement du bien !
Il balaye mes paroles en fouettant l'air. Son corps se rapproche du mien. Il plaque ses mains sur mes fesses. Cette simple action réveille un brasier dans mon ventre. Que ça m'avait manqué !
— Il l'aurait fait de lui-même, chuchote-t-il. Jamais il t'aurait laissé à sa merci. Il l'aurait regretté.
C'est vrai. Michael n'est pas un horrible homme.
— Émilien m'a parlé de Graziella, m'avoue-t-il en empoignant mes fesses sauvagement. Elle et ton... frère formaient un chouette duo. Lui s'attaquait aux femmes, elles aux hommes qui voulaient récupérer les victimes.
Oh ! Cette nouvelle est effrayante. Je n'y crois pas. Tous les jours, cette garce savait qui j'étais. Elle me détestait, m'envoyer chier. Dire qu'elle commettait d'horribles crimes !
— Jules ?
— Oui ?
Il déglutit péniblement, se donnant force et courage.
— Je t'aime aussi du fond du cœur. Quand je te rejoindrai ce soir, on fera l'amour pour me faire pardonner de mon absence.
Je vais pour le contredire, mais il ne m'en laisse pas l'opportunité. Sa bouche se scelle à la mienne en un délicat baiser. Je me retrouve collée à son large corps.
— J'ai hâte d'être à ce soir, chuchoté-je contre ses lèvres chaudes et humides.
— Moi aussi, trésor. J'ai hâte. J'entame une nouvelle vie...
Il se tait pour me contempler amoureusement.
— Et tu en fais partie. On va voir du mal à nous remettre des événements. Ça va prendre des semaines entières, mais je sais qu'on y parviendra. Et on sera trois. Toi, moi et une nouvelle tortue. Ah... et ma mère, qui d'ailleurs, désire te rencontrer au plus tôt !
Fin.
Et voilà ! L'histoire est terminée !
J'espère que vous avez appréciez l'histoire de Léxandre et Jules ^^
Bon, pour la fin, il manque à mon goût deux ou trois détails... donc j'aviserai cela un peu plus tard. Parce que là, je n'ai pas assez de recul !
Merci beaucoup d'avoir lu ce spin-off ^^
LT
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