Chapitre 2 - Jules
Je m'étire en bâillant. J'ai la sensation d'avoir dormi pendant trois jours ! Comme sur un petit nuage, j'enfouis mon visage dans le coussin. Ça sent bon le parfum d'homme. Le musc avec des sous-tons boisés, je dirais. Sauf que je n'ai jamais eu cette odeur chez moi !
Quand je sens une main chaude dans le bas de mon dos, je me redresse sur les coudes et tourne la tête. Je découvre Léxandre, à mon plus grand étonnement. Il est torse nu, le bas couvert d'un drap marron. Ses yeux verts me fixent intensément, alors que les miens prennent le temps de le détailler. Il est encore plus beau déshabillé ! Mon ventre se tord à la vue de ses muscles. Mon regard s'aventure un peu trop bas à mon goût, tandis que mon estomac aime ce que je vois.
Putain de merde, songé-je. Je n'ai quand même pas fait ça ?
Tout porte à croire que oui, j'ai couché avec Léxandre Moreno, le meilleur ami de mon frère. Comment ai-je pu faire ça ? Oh non. Je n'arrive pas du tout à me souvenir du reste de la soirée. Mes derniers souvenirs sont quand nous étions sur le parking. Quand j'ai volontairement aguiché Léxandre. Depuis, plus rien. Il y a un petit problème. Un gros même !
Je ne suis pas chez moi. Cette chambre m'est inconnue. Je suis chez lui. Je commence à prendre peur. Cela n'aurait jamais dû arriver ! Merde, mes hormones finiront par me tuer. Mais qu'est-ce qu'il m'a prit de boire autant ?
En colère contre moi, je glisse hors du lit. À peine je pose le pied à terre que je me rends compte que je suis en sous-vêtements. Putain, il m'a touchée !
— Tu ne devrais pas bouger aussi vite, tu vas être malade, me dit-il d'une voix mielleuse. Recouche-toi, Jules.
Des yeux, je cherche mes vêtements. Ils sont posés sur le coffre qui est au pied de son lit. Je m'habille en vitesse, désireuse de quitter cet endroit. Mes yeux trouvent le réveil sur sa table de nuit.
— Oh putain de merde ! m'écrié-je.
Je suis à la bourre. J'ai déjà quinze minutes de retard. Il faut que je passe chez moi pour me changer. Là c'est sûr, je suis dans la merde ! Monsieur Weits ne va pas laisser passer ça. Youpi, je vais être virée à cause d'une soirée trop arrosée.
J'entends Léxandre s'activer. Il apparaît devant moi, alors que j'étais sur le point de sortir de sa chambre. Ses deux mains attrapent mes épaules et me forcent à l'observer dans les yeux. Il est sérieux, au point que sa bouche forme une moue agacée.
— Calme-toi, dit-il. On n'a pas couché ensemble si c'est ce que tu crois.
Mes yeux tentent de le sonder. Je suis dubitative. Pourquoi n'en aurait-il pas profité ? Il n'est pas différent des autres hommes ! Peut-être même pire.
Ou non. Après tout, il m'a bien repoussée hier soir. S'il voulait plus, il m'aurait fait l'amour sur le parking du bar.
— Crois-moi, insiste-t-il. On n'a rien fait, Jules. J'ai voulu te ramener chez toi, mais tu n'arrivais plus à aligner deux mots. J'ai appelé ton frère pour lui dire que je te ramenais, il a refusé et ne m'a même pas donné ton adresse. Je n'allais pas te laisser seule. Si ? Je ne pouvais pas rentrer chez moi sans...
Ces explications sonnent étrangement à mes oreilles.
— Louis aurait... pu me ramener !
— Ouais, grogne-t-il en me lâchant. Ton frère était occupé à sauter une meuf dans le club. Il a dit que tu étais assez grande pour te débrouiller et lui prouver que tu n'étais plus une... ado.
Bon, qu'il me dise la vérité ou non, c'est le cadet de mes soucis. Si je ne suis pas à mon poste, je vais me faire taper sur les doigts.
Je retiens quand même une pique. Si j'étais vraiment grande à ses yeux, Léxandre ne m'aurait pas repoussée. Je sais ce qu'il en est. Louis a toujours empêché ses amis de me voir. Son meilleur ami, l'homme que j'ai sous les yeux, est le seul que j'ai dû croiser au moins deux à trois fois.
La première fois était à mon arrivée au lycée.
Léxandre portait un tee-shirt gris, moulant, qui dessinait à la perfection son corps et un blouson en cuir noir. Il avait une allure Bad Boy, qu'il a depuis perdue. Ce qui n'est pas plus mal. Son corps est bien plus développé et il a l'air d'un homme riche avec ses tenues classes. Mon frère et quatre autres amis l'entouraient, d'ailleurs. Deux des quatre hommes m'ont toujours été inconnus, ce qui n'est pas plus mal quand je vois Michael.
La deuxième fois était à la maison de mes parents. Louis et ses potes s'étaient invités pour une après-midi. Je m'en souviens très bien, j'avais passé la moitié de leur invitation dans le couloir, à épier par la porte entrouverte. Résultat, j'ai vu des fesses d'adolescents moulées dans leurs pantalons et me suis fait démasquer quand c'est devenu intéressant. Autant dire que je ne faisais pas la fière ! J'ai eu la honte de ma vie. Puis, le mensonge que j'ai balancé a fait rire les garçons. "Oh, j'ai fait tomber ma lentille." Je n'ai jamais mis de lentille. Et je n'ai même pas pu mentir sur la nourriture. Nous avions mangé des pâtes.
Hier soir, le revoir m'a complètement subjuguée. Léxandre est devenu bel homme. Quand j'ai compris qu'il était contre moi, tout autour de ma petite personne à disparu. Il n'y avait que lui, son corps contre le mien. Et qui, au passage, me faisait sentir son érection naissante. Je me souviens que mes joues me brûlaient. J'ai eu honte. Honte que cet homme soit proche ainsi, alors que j'ai rêvé de lui tant de fois durant le lycée.
J'en ai perdu les pédales.
Quand Louis et Léxandre sont allés en prison, mon monde s'est écroulé. Mon frère et le gars sur qui je flashais étaient derrière les barreaux. Aujourd'hui, je n'en sais toujours pas la cause. Ce qui n'est pas le plus important. Ils ont rangé leur passé et j'ai envie de récupérer le temps perdu.
Je ne cache pas mes sentiments. Ils ont resurgi en même temps que Léxandre. Il a été un vrai électrochoc. Je pensais depuis des années que c'était peine perdue et je suis passée à autre chose. Mais hier, oh merde, hier mes fantasmes sont revenus. Ils ne me quitteront pas de si tôt. Je suis peut-être folle, parano ou totalement déséquilibrée, mais mes espoirs renaissent au fil des instants.
Léxandre est redevenu mon but. L'homme que j'ai essayé de revoir, d'attirer l'attention à mainte reprise. J'étais peut-être juste trop jeune et je ne lui plaisais pas. Or, hier, la donne a changé. Il a répondu à mon premier baiser. Il a même grogné d'excitation. J'en suis folle de joie !
Mais un pépin vrille tous mes maudits espoirs.
Jordan Texier, mon petit ami avec qui je bosse à Luna Éditions. Je l'ai zappé. Totalement ! Entre l'alcool et mes désirs d'adolescente, tout s'est emmêlé.
J'ai trompé mon petit ami.
Je me hais. Je n'ai peut-être qu'embrassé Léxandre, mais c'est déjà beaucoup. Dire que j'ai osé imaginer plus !
— Ok, Ok ! Je dois y aller là. Hein, heu... merci.
Je suis toute fébrile. Le regard jade de Léxandre me rend toute chose. Il faut que je parte au plus vite. Pour mon travail bien sûr ! Et pour Jordan.
J'entreprends de le contourner pour partir. L'ami de Louis m'en empêche en me saisissant par le bras.
Merde, mon pourquoi mon corps réagit-il à son contact ? Pourquoi mes jambes flageolent et mon cœur bat comme un tambour ?
— Tu ne vas pas aller à ton job ainsi ? T'as même pas dessaoulé et t'as pas dormi assez ! Même pas cinq heures, ma belle. Ton patron va penser que tu n'es pas pro. Laisse-moi prévenir de ton absence et rendors-toi.
Ma belle. À ce maudit surnom, je me sens voler. C'est délirant que tous mes sentiments ne soient pas morts. Un peu comme si le temps les a enfouis, pour mieux les faire renaître.
Me recoucher dans son lit, à ses côtés. Voilà une idée qui me plaît. J'aurais tout donné pour partager un court moment en sa compagnie. Mais actuellement, je suis en couple, en retard et bientôt sans emploi. Émilien Weits, mon patron, l'a dit hier soir au bar ; je ne dois pas arriver en retard. Donc hors de question ! Je ne peux pas me porter pâle aujourd'hui. Ni aucun autre jour d'ailleurs.
***
Je me sens comme une merde. Je me rattrape à la barre de l'ascenseur. Léxandre avait raison, mais vu que j'en fais qu'à ma tête, il m'a déposée à mon travail. Pour récupérer ma voiture restée sur le parking du bar, je n'aurais qu'à lui envoyer un SMS pour qu'il m'y conduise.
Un SMS ! Je répète. UN. SMS.
Léxandre m'a donné son numéro de téléphone. Je trépigne d'excitation et d'impatience. Je vais revoir Léxandre ce soir.
Mes imaginations me jouent des tours. Dans l'ascenseur, qui s'ouvre au deuxième étage, soit celui avant le mien. La chaleur monte à mes joues. L'homme qui pénètre dans l'habitacle est mon patron. Le célèbre éditeur Émilien Weits.
Après des recherches sur lui, je sais qu'il est né à Chicago le dix-sept avril mille neuf cent quatre-vingt-treize. Il a vingt-huit ans. Il a grandi là-bas jusqu'à sa majorité avant de venir en France pour ses études. Cours de français en plus le soir, il bossait déjà sur des petits textes. Il faisait la mise en page, correction à la volée, pour s'entraîner à devenir éditeur. Une fois sa maison d'édition fondée, il y a un peu plus d'un an, son entreprise a marché dès le premier roman. Au tout début, il travaillait chez lui. Puis il a pu avoir un endroit qui allait être détruit. Il a engagé du monde, et les gens se sont intéressés de plus près aux livres qu'il sortait.
— Un peu moins de deux heures de retard, lance mon patron avec son accent anglais. Félicitation.
Mes mains dans mon dos, je n'ose pas le regarder. Je sais que ses prunelles émeraude liront en moi, comme à son habitude. Émilien Weits a un don. Me mettre mal à l'aise.
— Je suis navrée, j'ai trop bu.
L'homme appuie sur le quatrième et dernier étage. Son doigt relâche le bouton, sous mon attention particulière. Il a des doigts longs et fins. Ses mains sont viriles. Je repousse de naissantes pensées mal venues. C'est mon patron, tout de même.
— Je vous retire ce temps sur votre salaire, ou vous les rattraperez ?
— Je les rattraperai.
Son large dos s'adosse contre la paroi d'en face. Je sens son regard sur mon corps. Je pose le mien sur les portes, espérant qu'elles s'ouvrent vite. Une sonnerie retentir et mon espoir est comblé. Je m'élance dans le couloir, ignorant mon supérieur.
— J'espère que ça ne se reproduira plus..., souffle-t-il. Bonne journée, Madame Becker.
Mes pas s'arrêtent à peine les portes passées. Ma timidité doit être à ses yeux de l'impolitesse.
— Oui, merci. Bonne journée, Monsieur Weits.
Les portes se ferment derrière moi. J'ai terriblement honte.
Si je ne veux pas me mettre plus dans la merde, je dois bosser. Je suis donc le couloir jusqu'à mon bureau. Deuxième porte à droite. Même avec le mal de crâne que j'ai, je m'installe sans tarder. Mon ordinateur s'allume et ma veste tombe sur le dossier de la chaise. Je prie pour que les internautes ne soient pas pénibles. Je sens que ma patience à des limites.
La fin de matinée se passe assez vite. J'enchaîne les réponses avec les actualisions des réseaux sociaux. Qui dit nouvelles sorties dit nouvelles bannières, annonces et réponses. Je suis bien contente quand je sors de mon bureau pour midi. La faim me retourne l'estomac depuis une heure et quart. Je suis partie le ventre vide. Autant dire que déjeuner avec mon petit-ami me fera un grand bien.
Il me remettra peut-être sur le droit chemin !
En arrivant sur le parking, je vois Jordan, les bras croisés, qui s'impatiente. En le détaillant, je prends un coup en plein visage. Mon cœur ne bat plus. Non, il a cessé quand Léxandre est revenu dans ma vie.
Merde. Je dois me tromper. Je sors avec Jordan depuis près d'un an. Je ne peux pas perdre mes sentiments du jour au lendemain. Pas après avoir lutté contre son ex envahissante durant des mois.
Le visage rond de Jordan se tourne vers moi. Ses traits se détendent quand il pose ses iris marron acajou dans les miens. Son corps s'élance dans ma direction. L'envie de l'esquiver me prend. Je me sens mal. Je l'ai quand même trahi. Il faut que je sois honnête pour hier. Notre relation ne se passera pas bien, si je lui cache ça.
Il plonge ses lèvres sur les miennes pour les dévorer. Incapable, je n'y réponds pas. Le visage de Léxandre me revient. Ainsi que son doux grognement.
Oh non ! J'aurais mieux fait de rentrer chez moi hier. Mes erreurs seraient à l'heure actuelle qu'un fantasme de plus.
Le parfum de mon petit-ami se faufile dans mes narines. Son eau de toilette Dior, Sauvage, qu'il porte toujours est à tomber. Elle lui va à la perfection. Comme la fragrance musquée et boisée pour Léxandre.
Encore lui. Je vais devenir folle ! Cet homme doit, à tout prix, me sortir de l'esprit.
Nous nous détachons l'un de l'autre. Sa main attrape la mienne. Je suis forcée de le suivre jusqu'à un petit restaurant. Nous y allons tous les jours. Je commande souvent la même chose. Pâtes italiennes et un dessert au chocolat. Jordan, quant à lui varie en fonction de ses plaisirs. Aujourd'hui, il opte pour des frites et des moules et une glace vanille.
Le repas est pesant. J'ai du mal à manger et à regarder dans les yeux mon compagnon. Mon cœur est lourd. Il faut que je sois honnête. Il le mérite.
— Jordan ?
La bouche pleine de frites, il fait un vague mouvement du menton.
— Mmh ?
— J'ai... quelque chose à te dire ?
Il avale sa bouchée et fronce les sourcils. L'angoisse monte petit à petit.
— T'as tout compris, c'est ça ? T'as vu les photos ?
Mon visage se penche sur la gauche. C'est un genre de toc que j'ai quand je ne comprends pas ce qu'on me dit. Je le désigne du menton, surprise par ces questions.
— Quoi ? De quoi parles-tu ?
Son visage affiche un air hébété. Les lèvres ouvertes, il reste muet, avant de secouer sa tête.
— J'en sais rien, de heu... enfin, je ne voulais pas te le dire tu vois...
Il ment. Pas la peine d'être devin pour le savoir. Il a cet air affolé dessiné dans ses iris acajou.
— Jordan !
Mon ton monte. La colère me guette, tapie dans l'ombre derrière mon indignité.
— T'as... t'as vu ton cadeau alors ? Il te plaît ou tu veux que je le change ?
Je tombe des nues. Si je m'attendais à ça !
— Hein ? Heu non, pas du tout. Tu... m'as fait un cadeau ?
Je culpabilise encore plus. Jordan va me haïr quand il apprendra mon écart. La honte se peint sur mes joues.
Mais qu'est-ce que j'ai fait hier ? Tout était si bien entre nous deux. Me voilà mal à l'aise et fuyarde avec mon petit-copain.
— Ouais. Tu veux me parler de quoi ?
Sa voix est tremblante. Il fixe sa glace à la vanille en pinçant ses lèvres.
J'inspire un bon pour me donner du courage. Notre relation peut s'arrête dans les secondes à venir. Je prends le risque. Ma conscience est importante. Impossible de lui cacher un vulgaire écart lié à l'alcool.
— C'est délicat à avouer... Mais je me dois d'être honnête. Je comprendrai que tu m'en veuilles...
Jordan relève son menton vers moi. Il plisse ses paupières en soupirant, comme s'il était soulagé.
— Arrête ce baragouin et balance ce que t'as à dire.
J'opine du chef. Ça y est, je vais briser sa confiance et réduire à néant notre relation.
— Hier soir, j'étais en soirée avec Lola. Elle est partie tôt et mon frère est arrivé. Il était avec ses amis. On a bu. Moi particulièrement.
Je me tais pour boire une gorgée d'eau. Ma gorge est sèche et mon ventre tendu. Je suis à la fois inquiète et déçue de moi.
— Et ? Je m'en branle que tu boives ou pas, tu fais ce que tu veux.
— J'ai embrassé le meilleur ami de Louis.
La bombe est lancée. Elle emporte tout sur son passage. Je me sens soudainement petite. Son regard se perd sur moi, dévisageant mes traits. Comme s'il cherchait la vérité.
Jordan serre sa mâchoire en me dévisageant. Ma tête rentre un peu dans mes épaules. Je me sens comme une criminelle prise sur le fait.
— J'étais sous l'emprise de l'alcool. Il ne s'est rien passé de plus.
Toujours muet, mon petit-ami affiche désormais un air dégoûté. Il secoue sa tête en se levant de sa chaise. Je déglutis et ose lui poser une question.
— Tu ne dis rien ?
Il m'ignore et se détourne de moi.
— Je... j'ai besoin de partir.
Super ! Je suis en train de me faire larguer suite à ma franchise. Même si je me sens mal, Jordan ne mérite pas de souffrir. C'est entièrement de ma faute et je ne regrette pas de lui avoir dit.
Mais j'aimerais qu'il me comprenne. Qu'il me donne une chance.
Enfin, je pense. À vrai dire, je n'en suis plus certaine. Je doute qu'il ait de nouveau confiance en moi. Je sais que ma connerie entachera pour toujours notre relation. Je doute. Dois-je insister ? Le laisser partir ? Je l'ignore.
Au loin, je le vois payer et quitter le restaurant. Je me lève et me précipite au bar. L'homme derrière le comptoir m'annonce qu'il a payé sa part. Je ne suis pas surprise. Je m'en doutais même ! Je paye donc mon repas et sors en trombe.
Non seulement je vais être en retard, mais en plus je veux discuter avec Jordan. Il doit me dire ce qu'il pense.
Je traverse la rue, tourne à gauche puis longe les bâtiments. J'aperçois Jordan filer les mains dans les poches. Il tourne à gauche et je fais de même, peu de temps après. Nous voilà sur le parking de la maison d'édition. Les voitures remplissent les places. Certains collègues mangeant dehors et discutent calmement. Je croise des regards familiers et baisse la tête, encore plus honteuse.
Dans l'ascenseur de la boîte, je rattrape Jordan. Il est coincé et tente de m'ignorer. Je me place face à lui, décidée à continuer la conversation. Ce n'est pas en fuyant que ça résoudra les choses. Sinon, j'aurais gardé pour moi ma bêtise.
— Excuse-moi.
— Vous avez baisé ?
J'arque un sourcil, étonnée et ravale une blague stupide.
"Presque, il n'a pas voulu".
Pas certaine qu'il la prenne bien !
— Non, je l'ai embrassé. Rien de plus. Je te le promets.
Jordan souffle en serrant ses poings. Je sais qu'il est déçu de moi, mais il fait bonne figure en gardant ses pensées.
— Tu me quittes ?
Il prend le temps de réfléchir. Les rouages de son cerveau tournent à vive allure. Pendant ce temps, je reste un peu bête, suspendue à ses lèvres.
— Non, répond-il en s'approchant de moi. Pas si tu écartes tes cuisses dans ton bureau, comme la dernière fois.
Je grimace et m'écarte, étonnée par son chantage. L'ambiance dans l'ascenseur est tendue. Je suis nerveuse et n'aime pas la tourne que prennent les éventements.
Ses mains retombent le long de son corps. Il comprend à mon hésitation que je ne suis pas partante.
— Tu me dois bien ça, continue-t-il en s'avançant vers les portes. Je passerai à la pause. T'auras intérêt de mouiller, bébé. Je vais te faire passer l'envie de sauter sur d'autres types.
Ce genre de punition pourrait m'intéresser. Pourtant, ce n'est pas le cas. Loin de là !
— Jordan... non. J'ai mes règles.
Il fait volte-face. Ses traits sont durcis par une colère sourde. Il brise la distance entre nos deux corps et déboutonne mon jean. Je m'écarte instinctivement. Très vite, mon dos est plaqué contre la paroi du fond. Sa main baladeuse glisse dans ma culotte et je le laisse faire. S'il veut une preuve, il en aura une !
— Ah putain ! s'exclame-t-il en reculant.
— Je te l'ai dit, Jordan, lançé-je en reboutonnant mon pantalon.
Je suis plus amusée qu'autre chose. Mon petit-ami observe son index en grimaçant. Un peu de sang tache sa peau. Rien de bien fou.
— Beurk.
Je ne commente pas. Jordan craint le sang. Même le sien. Il s'est déjà évanoui lorsqu'il s'était ouvert avec un couteau.
Mon petit-copain disparaît sous mes yeux, le teint livide. Je me sens soulagée. J'ai la sensation qu'il me pardonne !
J'ai vraiment un copain en or. Il aurait pu me faire une crise monumentale et m'insulter de tous les noms.
L'ascenseur repart. Il s'arrête à mon étage et je gagne mon bureau. J'en ai un de taille moyenne. Une fenêtre, un bureau, un ordinateur et deux chaises. Avec ceci, une plante pour égayer l'endroit.
Reprendre mon travail est le bienvenu. J'ai besoin d'aérer mes esprits, oublier ces dernières heures.
Alors que j'envoie un mail d'accusé de réception de manuscrit, un détail change la donne.
Léxandre.
Il viendra me chercher ce soir. Comment vais-je réagir face à lui ? M'excuser de mon dérapage ? Ressentir des puissantes émotions ?
Je ferme les yeux pour me calmer. Céder à la panique ne sert à rien. Tout se passera bien. Le meilleur ami de mon frère m'amènera à ma voiture et je rentrai sans avoir commis de nouvelle erreur.
Ou je pourrais demander à Jordan de me déposer au bar. Ah non, il a rendez-vous chez le dentiste à six heures trente. Pas grave, je saurai me tenir !
L'e-mail envoyé, je m'attaque à la publication d'un extrait. C'est pour un livre que je compte m'acheter. Rien qu'au résumé, j'en suis tombée amoureuse. L'auteure a déjà publié six livres. Que des superbes romances ! Elle a un don pour écrire, pour manier les mots. J'en suis jalouse. Au point que quand je la lis, je perds confiance en moi. C'est idiot, je devrais m'inspirer. Mais c'est l'effet contraire. Ça mine mon moral.
L'auteure, Pénélope Graz, aime le post et le reposte. Elle commente sous ma publication un merci avec trois cœurs rouges. Je like son commentaire et passe au suivant. Un de ses lecteurs demande la sortie, qui est marquée dans le post, j'y réponds. Par la suite, j'ajoute un auteur au site de la maison. Son livre est sorti aujourd'hui même en numérique et j'ai posté l'annonce ce matin.
J'enchaîne sur des mails, la réponse non favorable à un manuscrit et une demande de chronique. Les heures défilent et je me sens mieux.
Je partage une chronique pour le dernier livre de l'auteure Gaëlle Julien, une des plus grandes auteures de la maison d'édition. J'ai eu la chance de la rencontrer et d'obtenir un livre dédicacé. Autant l'avouer ; je n'en menais pas large.
Gaëlle aime le poste et commente avec des cœurs rouges. Je souris. J'adore mon métier. Je suis proche à la fois des auteurs et des lecteurs. J'ai le poste parfait.
Mon téléphone vibre. Je l'attrape et observe l'écran.
Jordan : Tu vas mouiller tout à l'heure, crois-moi.
Je roule des yeux. La pause va arriver.
Tout retombe. Mes nerfs sont à vifs. Je crains une scène de ménage quand il comprendra que je ne coucherai pas avec lui.
Ce ne serait pas la première au boulot pour un refus !
Quand quatre heures trente sonnent, j'enregistre un mail. Il s'adresse à l'éditeur qui me demande de le voir demain à dix-heures et demi. Il aimerait changer la mise en page du site. Nous aviserons donc d'un nouveau design.
Ma porte s'entrouvre. Je relève mon menton et découvre sans surprise Jordan. Entre ses doigts se trouve son cellulaire. Il le tripote tel un enfant nerveux.
Le jeune homme traverse mon espace pour se planter face à moi. Ses iris noisette me sondent. Je lève un sourcil sous ce regard.
— J'avais besoin de réfléchir.
Oh. C'est mauvais signe pour moi.
J'avale ma salive en me levant. Mon cœur bat la chamade. J'ai peur que ces trois heures me soient fatales.
— Tu veux me quitter ?
Son épaule se lève. Il adresse un vague regard à l'écran de son téléphone.
— Il y a que l'alcool qui est coupable ?
Non.
— Oui.
J'ai encore plus honte de mentir. De me mentir.
— Non, me reprends-je. Non. Ce type, c'est un crétin, d'accord ? Il est sûrement dangereux. Mais plus jeune, j'étais éprise de lui. Il ne s'est rien passé. Jamais. Et je suis passée à autre chose. Hier soir était une erreur due à l'alcool.
Jordan balaie mes mots du revers de la main. Les lèvres pincées, il me détaille de la tête jusqu'au ventre.
— Suce-moi et je te pardonne ta tromperie.
Quoi ?
J'écarquille les yeux sous cette annonce plus que surprenante. Du chantage pour que je sois pardonnée ? Non, ça ne marche pas ainsi dans mon monde.
— Jordan, je suis désolée. Mais soit tu me pardonnes, soit...
— Ok, j'ai compris, siffla-t-il en me coupant la parole.
Énervé, il recule puis se fige. Un fin sourire étire ses lèvres. Je crains ses prochains. Mais après tout, je l'ai cherché ! Quelle idée de me jeter dans les bras dans ancien taulard ! Rien de bon ne pouvait en sortir.
Bon, je peux aussi mettre ces pulsions incontrôlables sur mes règles. Après tout, ce n'est pas la première fois que du désir naît en moi durant ces jours sanglants. Même douloureux soient-ils.
— Pendant qu'on est dans les révélations, puisque notre relation est morte par ta faute, j'ai un truc à dire.
Je prends la pique en plein cœur. Il a raison, mais ça fait mal de l'entendre. Surtout avec son ton condescendant.
Bon. J'ai merdé. Il a fallu une soirée. Une rencontre et de l'alcool pour ruiner une relation de plusieurs mois.
— Ça fait deux mois et quelques semaines que j'ai une maîtresse.
Je ne relève pas. Mes bras pendent le long de mon corps. Il ment. Je n'ai pas envie de le croire. Ça n'a aucun sens. Pourquoi me révéler maintenant cette information ? Pour me blesser à son tour ?
— Je voulais te larguer avant, mais t'étais pas mal.
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