Chapitre 16 - Jules
Le soir arrive. Je plonge sur mon téléphone. Parler avec Léxandre me décontractera. J'ai passé une journée de merde ! La photo qu'a envoyée Louis m'a tourmentée toute la foutue matinée. Je suis devenue folle. Léxandre ne répondait pas et je me créais des milliers de scénarios. Finalement, avant la pause de midi, j'ai reçu son appel. Lui et Rachel m'ont expliqué la situation. Bien que Louis soit mon frère, je crois sa petite-amie et le mien. Leurs intonations étaient très sérieuses. Celle de Rachel à la limite de se briser.
Je sais que mon frère n'est pas ange. Par contre, ce qu'il a fait m'est impensable. Agresser sa petite-amie, au point qu'elle en saigne. Ça me révolte !
Je n'ai pas répondu à sa photo. Pour être franche, je ne compte pas le faire. Il n'y avait aucun commentaire. Juste une image où mon petit-ami et Rachel se donnaient un câlin. Son intention était claire ; m'induire en erreur. Au pire ; me soutirer des informations sur notre relation.
Ma salade de riz trône devant moi. Téléphone dans ma main, j'engouffre la fourchette et déguste ma bouchée.
Toujours pas de message. Léxandre me fait tourner en bourrique. J'attends depuis ce midi cette conversation. Je désire des détails. Savoir ce qu'a commis plus exactement Louis.
J'envoie un SMS. Aucune réponse au bout de quinze minutes.
Bon, il doit être occupé. Alors je mange mon plat et m'attelle au synopsis de mon histoire. Je bloque encore et encore.
Mon ego est tellement fort que contacter mon patron est compliqué. Je le vois d'ici sourire fièrement. Il me prendra à coup sûr pour une abrutie.
Pour être franche, là, je vais péter un câble. Je rature ma feuille de mon stylo noir. À la ligne, j'écris une nouvelle phrase. Je bloque au troisième mot. Pour aujourd'hui, j'abandonne. Mes pensées volent vers Léxandre, Rachel et Louis. Je n'ai pas la tête à écrire un résumé.
***
Les jours passent. Le synopsis n'avance pas et Léxandre est injoignable. Malgré les cinq messages et les deux appels, il fait silence radio. Super ! Mon mec m'ignore et je ne peux me tourner vers personne. Le seul qui pourrait m'aiguiller est Louis. Or, c'est une mauvaise idée. Il se posera des questions sur notre relation. Si ce n'est pas déjà le cas !
Samedi, j'abandonne pour de bon mon synopsis. Mes nerfs sont en pelote. Et Léxandre en est bien la raison !
Cependant, je n'ai pas dit mon dernier mot. La dernière carte que j'ai est mon patron. Si je la néglige, mon patron me prendra pour une quiche.
Alors, à six heures du soir, je lui envoie un mail.
De : Jules Becker ([email protected])
À : Émilien Weits (ÉmilienWeits@lunaéditions.com)
Objet : Synopsis – Aide – JB
Date : 05/12/2020
Bonsoir Monsieur Weits,
J'ai passé la semaine sur le synopsis. Je peine à l'écrire. C'est pourquoi, si votre proposition tient toujours, j'aimerai un peu de votre aide. Je suis perdue, sur le point d'abandonner.
Merci,
Cordialement,
Jules Becker
Plus qu'à attendre sa réponse. En attendant, je chiffonne mon brouillon. Les mots s'accumulent. Les erreurs aussi. Je comprends que c'est l'étape la plus compliquée.
Je perds patience. Après un énième SMS envoyé à Léxandre, lui demandant d'au moins me répondre, je m'occupe de Madeleine. Au moins, ma petite tortue est toujours présente pour moi. Je redoute le jour où elle me quittera. Je serais définitivement seule.
Repoussant ses sombres pensées, je joue avec elle, la contemple et lui parle. Je la prends dans mes mains tout en lui dévoilant ce que j'ai sur le cœur.
— Tu y crois, ça ? Que mon mec m'ignore ? À moins qu'un truc lui soit arrivé... Non, non, non, faut pas que je pense à ça.
Pourtant, cette idée germe dans mon esprit depuis mardi soir. Et à chaque fois, je la repousse loin. Très loin dans un petit coin pour imaginer que Léxandre a cassé son téléphone. C'est une possibilité tout à fait plausible.
— Louis serait-il capable de faire du mal à son meilleur ami par ma faute ? demandé-je à Madeleine en la reposant dans son large bocal.
En réponse, mon téléphone émet une petite sonnerie. Je me dirige vers celui-ci, posée sur ma table de cuisine. La réponse d'Émilien Weits est là, sous mes yeux. Mon cœur bondit dans ma cage thoracique. Je crains sa réponse. Va-t-il refuser ?
Mon doigt glisse sur l'écran et déverrouille mon cellulaire. Le mail s'affiche. Mes iris parcourent les mots.
De : Émilien Weits (ÉmilienWeits@lunaéditions.com)
À : Jules Becker ([email protected])
Objet : Re :Synopsis – Aide – JB
Date : 05/12/2020
Bonsoir Madame Becker,
Je suis surpris de recevoir un appel à l'aide de votre part, aussi tard. Les plus importants sont d'essayer et de reconnaître ses lacunes. Personne n'est parfait. (Si ça peut vous rassurer, je serais incapable d'écrire une histoire, j'aurai sûrement besoin d'aide !)
Je suis content que vous acceptiez mon aide. Pour réussir, il faut parfois laisser de côté sa fierté.
Seriez-vous disponible pour un appel ? Nous pourrions discuter de votre synopsis avec plus de facilité.
Émilien Weits
Mon patron, un grand et jeune éditeur souhaite m'appeler à six heures et demie du soir en plein week-end. Tout va bien. Tout va très très bien. Cette histoire n'est pas surréaliste. C'est même normal.
Je réponds au mail en acceptant l'appel. Nous échangeons nos numéros. Enfin, il me donne le sien, car étant mon employeur ; il a déjà le mien.
L'appel est professionnel.
Le ton d'Émilien Weits ne laisse aucun doute. Il m'aide vraiment. Il me donne des tuyaux, des idées, que je retranscris sur une feuille vierge. Ensuite, je lui dis à haute voix mon synopsis. Il me stoppe lorsque je réalise une faute. Je peux corriger, par moi-même et suivant ces conseils, mon résumé.
Son aide est ce dont j'avais besoin. Monsieur Weits a raison. Faire la sourde oreille fut idiot. Quand je vois où ça m'a menée, j'aurais mieux fait d'excepter plus tôt ! J'aurais gagné du temps.
Tant pis, mieux vaut tard que jamais !
À la fin de l'appel, je suis aux anges. Mon synopsis est terminé. Mon patron m'a bien plus qu'aidée ! Grâce à lui, j'ai une chance de passer la présélection.
Puis. La réalité me percute de plein fouet. Quatre jours sans nouvelles de Léxandre.
Je suis en colère. Désespérée et inquiète. Je me convaincs en boucle que tout va bien. Que Léxandre est un homme très fort, capable de se défendre. Après tout, il a fait de la prison. Il sait sûrement se battre, comme il l'a auparavant prouvé.
Téléphone en main, je glisse sur notre conversation. Mes messages sont non lus. Je l'appelle, comme une désespérée. J'espère que mon comportement instant ne l'effraie pas ! Manquerait plus que je le fasse fuir !
Aucune réponse. J'angoisse et appelle Louis. Ce dernier décroche au bout de deux intonations.
— Jules ? Qu'est-ce que tu me veux, là ?
Visiblement, je le dérange. Son timbre de voix est bas. Il est en colère. Je le sens.
— Je... Euh...
Je me tais. Merde. Que suis-je en train de faire ? Je suis supposée ne pas parler à Léxandre. Si je demande pourquoi ce dernier m'ignore, il se posera des questions !
Penser avant d'agir, ce serait bien !
— C'est à propos de la photo que tu as envoyée, mardi. J'ai pas eu le temps de répondre, mais ça rime à quoi ? Enfin, en quoi ça m'intéresse qu'un couple se cajole ?
Putain. J'espère que Louis me croit ! Mon ton est normal. Je parais intéressée, mais juste assez pour qu'il ne se doute de rien.
— C'est ce que Dimitri m'a envoyé, ment Louis. J'ai pas vu que je te l'ai envoyé. Désolé. Je voulais le transférer à Michael pour lui demander son avis. Je... je crois que Rachel me trompe avec Léxandre. Elle me répond plus depuis mardi.
Les battements de mon cœur s'accélèrent. Bordel de merde. Louis ment super bien ! Ou alors il me dit la vérité. Sa voix est posée, bien qu'un peu stressée. Il me fout le doute.
Non, je crois Léxandre. Je sais que Rachel ne voulait plus le revoir. Ce qui est normal au vu de ce qui lui a fait. De plus, ce que prétend Louis est incohérent. La photo montre la voiture de Léxandre, les deux s'enlacent et sur les bords ; l'allée de sa maison. Le cliché a été pris depuis la maison de Louis.
Donc mon frère me ment. Super. Mais pourquoi ?
— Et tu parles encore à Léxandre ? hésité-je.
Louis soupire.
— Nan. Il me parle plus lui aussi.
Ça y est. J'ai peur pour mon petit-ami. Je m'assieds sur ma chaise, la main sur le cœur. Et si en ramenant Rachel, un accident était survenu ? Malheureusement, je suis incapable de faire part de mes doutes. Louis se doutera que je communique avec son meilleur ami.
— Quoi ? Mais... t'as sonné chez eux ?
— Ouais, personne ne répond. Mais bref, c'est pas tes affaires. Je dois raccrocher.
Bah, quand même un peu ! Mon mec a disparu !
— Ils ont peut-être eu un accident ? Tu es sûr que Rachel te trompe ? Peut-être...
— Léxandre m'a déjà fait le coup avant, me coupe-t-il sévèrement. Il cherche qu'à baiser. Il a dû trouver Rachel intéressante. Il reviendra quand il aura bien vidé ses couilles.
Je n'ai pas le droit de douter. Pas le droit d'imaginer mon mec avec la petite-amie de mon frère. Pas le droit de penser que Léxandre et Rachel m'ont menti.
— Bon, c'est pas que tu m'emmerdes, mais j'ai dû boulot. Salut.
Les tonalités retentissent. Louis a raccroché. Je suis bel et bien perdue. Les secondes passent. Je réalise que j'ai merdé grave.
Pourquoi ai-je gardé le silence ? J'aurais dû lui dire la vérité ; que je suis au courant pour Rachel. Que je sais qu'il me ment. Tant pis s'il s'énervait. La vie de Rachel et Léxandre est plus importante que ma relation privée avec son ami.
Je me décide d'appeler encore une fois Léxandre. Aucune réponse. Son téléphone est allumé. Sinon je serais propulsée sur le message vocal.
— Léxandre, s'il te plaît, rappelle-moi.
Je coupe mon message. Tout un mélange d'émotion s'insinue en moi. S'ajoutent des questions qui me turlupinent.
Que s'est-il produit ? Je suis certaine qu'une action horrible est arrivée. Quelle est la raison du silence de Léxandre ?
Oui, mais quoi ? Un accident ? Un règlement de compte ? Qui dit la vérité entre Léxandre et Louis ?
Je connais mon frère depuis toujours. Même si son crime qui l'a mené en prison m'est inconnu, je sais son caractère. Fougueux, coléreux, vulgaire, franc et protecteur. Enfin, protecteur envers moi.
Depuis mardi s'ajoutent de nouveaux traits. Violent, manipulateur et menteur. J'ai beaucoup de mal avec cette nouvelle facette. Louis reste mon frère. Mais je ne cautionne pas la violence. Si on ne m'a pas menti ! Car là, je suis déroutée.
Suffirait d'un appel ou d'un SMS de Léxandre pour me rassurer. Ce qui ne se produit pas.
J'ai beau attendre le soir, me coucher hyper tard. Toujours aucune réponse. Je m'endors en reniflant. Demain, après mon boulot, j'irai chez Léxandre. J'espère trouver des réponses.
Lundi matin. J'ai une gueule de déterrée, la bouche pâteuse et une douleur à la nuque. Ma position de cette nuit était inconfortable. Ce qui en découle va ruiner ma journée !
Toujours dans mon lit, ma main attrape mon téléphone posé sur ma table de nuit. L'écran s'allume. Aucune réponse de Léxandre. Je serre les dents. La conversation s'ouvre et mon cœur rate un battement.
Il a vu la conversation !
Pourquoi ne répond-il pas ? Pourquoi me lâcher un vulgaire vu ? Putain, mais quel connard ! À moins que ce ne soit pas lui. Ou qu'il ait perdu son téléphone...
L'heure s'affiche sous mes yeux. Je bondis hors de mon lit et cours jusqu'à ma cuisine. Je vais être à la bourre. Je déjeune très vite, m'habille avec les premiers vêtements qui se présentent, puis quitte mon appartement.
Madeleine a encore de quoi manger pour la journée. Sur ce point-là, je suis rassurée.
J'arrive à la maison d'édition avec deux minutes de retard. L'agent d'accueil me salut, tout sourire. Je lui renvoie la pareille, bien que le stress me gagne. Mon synopsis est dans la boîte mail de mon patron depuis samedi soir. Je suis sûre qu'il l'a lu. Je prie de ne pas le croiser. Il me donnera son avis et là, je n'ai pas le moral.
Je me glisse dans l'ascenseur. Dedans, je trouve Graziella Mandon. La secrétaire de Monsieur Weits. Grande, blonde aux yeux marron. Elle affiche un large sourire en m'apercevant. Son regard hautain en dit long sur ses pensées. Graziella est arrogante. Elle se sent supérieure, aime flirter avec hommes.
Elle est belle. C'est vrai. Joli corps, joli visage. Mais un comportement ahurissant. Elle a du respect pour ceux qui la traitent comme une princesse.
— Toujours à la bourre, à ce que je vois, siffle-t-elle en appuyant sur le bouton du dernier étage. J'allais justement vous chercher. Monsieur Weits vous demande dans son bureau.
Je me contente de la remercier. Pas question de me prendre la tête ce matin. J'ai déjà assez de problèmes pour en rajouter une couche avec une collègue.
— Au fait, ajoute Graziella en posant ses iris marron sur moi. Supprimez le numéro de Jordan.
Ma réaction lui décoche un rire moqueur. Je suis étonnée par sa demande et le prénom de mon ex. En temps normal, elle l'appelle par son nom de famille.
— Pardon ?
— Ma relation avec Jordan est secrète. Mais je suis comme tout le monde, jalouse. Sachez qu'il a supprimé votre numéro. Je vous demande donc de faire de même.
Quoi ?
Ma mâchoire se décroche. Graziella et Jordan sortent ensemble ? Je suis à la fois étonnée et contente. Nous passons tous les deux à autre chose !
Cependant, je ris sous cape. Son côté jaloux sera piqué à vif avec Jordan. J'espère qu'il ne la trompera pas, comme avec moi.
— Je le ferais. Soyez sans crainte, Madame Mandon.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur le dernier étage. Graziella se tortille jusqu'à la sortie. Elle m'ignore, s'éloignant sans se retourner. Ses longs cheveux blonds tombent en cascade. Ils
À mon tour, je quitte l'habitacle et prends mon courage à deux mains. Tout droit, la porte de mon patron m'attire. Je l'entends de là me chuchoter de la franchir plus vite.
Au moins, la raison de ma venue dans le bureau du patron m'est connue. C'est bien la seule chose qui n'est pas mystérieuse dans ma vie !
Mon poing se forme et frappe contre la porte. La voix à l'accent anglais s'élève, m'invitant à entrer. Je m'exécute. Comme la dernière fois, mon patron est assis, les iris plongés sur son ordinateur. Les coudes sur le bureau, ses joues contre ses paumes.
Pour la première fois, la mélancolie traverse les beaux yeux verts de mon patron.
— Monsieur Weits.
Son menton se tourne. Ses mains tombent et il esquisse un faible sourire.
— Madame Weits, prenez place.
Sa voix est basse, pleine de tristesse. Je remarque en m'asseyant en face de lui que ses yeux sont humides. Je la boucle.
— Hum... J'ai lu la nouvelle version de votre synopsis.
Monsieur Weits perdu ? Je n'y crois pas. Pourtant c'est le cas. Tout indique qu'il a passé ces dernières heures mal.
— D'accord. Dois-je apporter des modifications ? Ou c'est inutile ?
Monsieur Weits lève une épaule, nonchalamment. Loin d'avoir la forme, il répond par un simple refus de la tête. Ce qui ne m'aide pas. Que veut-il dire ?
— Donc que désirez-vous, Monsieur ?
Son index appuie sur une touche de son clavier.
— Vous féliciter face à face pour vos efforts. Votre synopsis est plus professionnel. Vous avez suivi mes conseils, ce qui a payé.
Je le remercie, fière qu'il me félicite. Je me sens soutenue. Ce sentiment est puissant. Il balaye toutes les autres.
— Votre manuscrit sera envoyé cet après-midi au comité de lecture, annonce mon patron en me regardant droit dans les yeux.
Je retiens un cri de joie. Mon synopsis a passé la présélection. Mes mains se mettent devant ma bouche. J'observe mon patron avec des yeux humides.
Il va me prendre pour une conne. Mais pour moi, c'est un très grand pas. Je connais l'exigence de Monsieur Weits. Je m'attendais à un refus.
— Merci pour cette opportunité !
Monsieur Weits arque un sourcil. Le coin de ses lèvres se retrousse.
— Je n'ai aucun mérite, Madame Becker. Vous avez tout fait seule. Vous avez compris que vous n'y parviendrez pas après des jours de travail. Vous m'avez sollicité et écouté. Là où des auteurs auraient baissé les bras ou refusé la main qui leur était tendue.
J'opine du chef, bien qu'incrédule.
— Vous auriez pu ne pas m'aider.
Il hausse une épaule.
— Ce qui est idiot. Si je peux aider, je le fais. J'ai donné que des conseils. Vous n'étiez pas obligé d'en prendre note.
— Vous avez raison. Je vous remercie encore pour mon histoire. Vous n'étiez pas obligé de l'accepter aussi vite. Si c'est terminé, puis-je regagner mon bureau ?
Monsieur Weits me fait signe d'attendre.
— En temps normal, je n'entre pas dans la vie de mes employés. Mais, je vais le faire pour la première fois avec vous.
Une connerie me passe par la tête.
Le temps qu'il n'entre pas dans ses employées...
C'est nul. Archi nul. J'ai honte de moi.
— Vous voulez parler de Léxandre Moreno ? demandé-je en affrontant ses pupilles. Je sais que vous faisiez les mêmes études que mon frère et que vous côtoyez mon pet... Léxandre.
Je me reprends à la dernière seconde.
— Oui, répond Monsieur Weits en fronçant les sourcils. Mais attendez, votre frère ?
— Louis Becker.
Un silence gênant s'installe. Mon boss me sonde de ses deux yeux verts.
— Louis Becker, répète-t-il en serrant sa mâchoire. Je n'ai pas fait le rapprochement.
Une tension s'est ajoutée entre nous. Je me sens de plus en plus mal à l'aise.
— Vous étiez amis ?
Ma question le fait rire. Il passe la main dans ses cheveux en reposant ses prunelles rieuses sur moi.
— Malheureusement, répond-il.
Mon visage se penche, comme pour mieux comprendre son insinuation.
— Pardon ?
Mon ton est froid. Puis, deux fils se connectent dans mon cerveau. Une question naît de mes réflexions. Est-ce que mon patron était lié de près ou de loin au crime qui a mené mon frère et Léxandre en prison ? Est-ce qu'il a réussi à se tirer de ça ?
— Je suis désolé. Mais fréquenter votre frère ne m'a pas apporté du bien. Au contraire. Lui et ses amis ne sont pas dignes de confiance. Voilà pourquoi vous êtes ici. Je désirais vous mettre en garde.
Mes paupières s'écarquillent. J'avais raison. Il a traîné dans les merdes de Louis. Il faut que j'en sache plus.
— Léxandre est digne de confiance, défends-je mon petit-ami. Mais, si je comprends bien, vous connaissez les trafics de Louis. Pouvez-vous m'en faire part ?
Le regard de Monsieur Weits est plus doux. Il remue son menton, en signe de refus.
— Vous l'ignorez ?
— Oui. Louis garde pour lui ses merdes. Tout ce que je sais est qu'il a agressé sa petite-amie.
Le visage d'Émilien Weits se ferme. Ses sourcils bruns se froncent sous la colère.
— Il l'a tué, me reprend-il.
Je tombe des nues. Rachel est morte ? Louis l'a tuée ? Qu'en est-il de Léxandre ? Puis, comment mon patron est-il au courant ? Sont-ils toujours en contact ? Je pensais qu'avec ces mots précédents, ce n'était pas le cas.
— Comment savez-vous que Rachel est morte ?
— Rachel ? s'étonne Monsieur Weits. Je parlais d'Anaëlle Carter, mon ex.
Ce prénom m'est inconnu. Mon patron le comprend et se lève en bafouillant des mots incompréhensibles.
— Vous pouvez regagner votre bureau, Madame Becker.
Ses doigts s'enroulent autour de mon bras. Il me force littéralement à me lever, puis me guide à la porte.
— Je ne comprends rien, avoué-je la gorge serrée. Louis a tué votre ex ? Il a vraiment tué une personne ? Je... Je...
Ma voix se brise. Je suis prise par des émotions fortes.
Aucune réponse. Monsieur Weits ouvre la porte et m'invite à quitter les lieux. Ma peur s'intensifie. Je me retourne d'un coup. Je ne partirais pas sans réponses à mes questions.
— J'ai besoin de savoir ! m'écris-je en me libérant de son emprise. Vous ne pouvez pas me laisser comme ça.
Une lueur de mélancolie traverse ses pupilles. Il pousse un profond soupir en croisant les bras contre son torse.
— Si votre frère a gardé le secret, c'est pour une bonne raison. Je suis désolé. Je n'aurais pas dû parler. Je vous prierais de ne plus y repenser. Pour votre sécurité.
***
Ce Noël est le plus merdique de toute ma vie.
Je suis seule. Un verre de vin dans la main et un petit-four dans l'autre. La télé passe un film de Noël, que je suis approximativement.
Toujours la même connerie. Une nana envoyée dans une ville pour son job, qui se perd et tombe sur un mec canon. Coup de foudre. Ils finissent ensemble à la fin, heureux et bla-bla-bla. Ça me dégoûte.
Deux semaines et demie sont passées depuis la soi-disant gaffe de mon patron. Deux semaines et demie que Léxandre ne donne plus signe de vie. Que Louis n'a pas répondu à mon appel.
J'ai simplement demandé à avoir une conversation posée avec lui sur son passé. Rien. Aucun SMS ou appel en retour. Comme par hasard. Je ne sais pas où me tourner pour connaître la vérité. Mais je la saurais. Ce n'est qu'une question de temps.
J'avale une gorge du liquide rouge. La fatigue me gagne. Je décide de me coucher avant minuit. Flemme d'attendre pour rien. J'ouvrirai les cadeaux que je me suis offerts demain matin !
Comme tous les jours. Comme toutes les heures. Je vérifie mon téléphone et ma boîte mail. Rien. Ni de Louis ou de Léxandre. Cette situation m'angoisse. Mais une chose durant ces deux semaines s'est résolue.
Rachel.
J'ai trouvé son compte Facebook. Avec culot, j'ai envoyé un message et elle a répondu. Elle est enfermée chez elle et va bien. Après que Léxandre l'ait ramené, elle a pris rendez-vous chez son gynécologue. Les résultats étaient corrects. Ce qui ne change en rien sa décision. Elle ne reverra plus jamais Louis.
Au fil des messages, Rachel s'est livrée. Je sais ce qu'a commis Louis et ne le tolère pas. Je ne comprends pas non plus Léxandre. Vendre de la drogue à la demande de Louis ! Putain, ça me rend dingue ! Pourquoi n'a-t-il pas refusé ?
Louis est mon frère. Je l'aime. Mais Rachel devrait porter plainte. Bien sûr, je lui ai demandé en message. Sa réponse est compréhensive ; elle craint que Louis se venge.
D'un autre côté, cela met en danger les prochaines petites-amies de Louis. Si Rachel ne porte pas plainte, Louis continuera ses conneries. Et si Monsieur Weits dit vrai, pire est arrivé et arrivera encore.
Vêtue d'une robe de nuit, je me glisse dans mes draps. Les seules à qui j'ai souhaité un joyeux Noël sont Louise, Lola et Rachel.
Lola fête le réveillon avec sa famille. À vrai dire, elle trouve de plus en plus d'excuses pour m'éviter. Nous nous appelons un peu, mais ne nous sommes pas revues depuis des semaines.
Je tourne dans mon lit. L'obscurité guide mes pensées. Je réfléchis en boucle. Les solutions me paraissent à des milliers de kilomètres.
Louis un psychopathe. Bordel.
Cette nuit-là, le sommeil est court. Un cauchemar digne d'un film d'horreur me réveille très tôt. Moi, me cachant dans la maison d'édition d'Émilien Weits. Les plaques étaient nulles. Louis me pourchassait en riant démoniaquement. Il m'a trouvée. Il ne ressemblait plus à mon frère, mais à un monstre. Les yeux noirs, le corps et le visage ensanglanté. Je me suis réveillée d'un bond, lorsque Louis s'est jeté sur moi.
À sept heures du matin, je déguste mon café jouant avec Madeleine. La matinée se déroule avec lenteur. Je m'affaire à mes occupations. En premier lieu, ouverture des cadeaux. Aucune surprise, mais j'en suis quand même contente. Le dernier livre de Gaëlle Julien, une robe noire moulante et une boîte de Fluff. Marshmallow que j'espère garder plusieurs semaines ! J'en achète très peu, mais le mange en quelques jours.
Ensuite, je travaille un semblant de trame. Une nouvelle histoire s'est créée avant-hier. Depuis, impossible de penser à autre chose. Le stress de la réponse pour mon autre histoire est oublié. Ce qui est positif. Je me concentre sur de nouveaux personnages différents des anciens. Là, je suis sur un policier et une blogueuse. Ils n'ont aucun prénom pour l'instant, mais ça ne saura tarder. La trame est à peine commencée. Je me sens inspirée. J'ai hâte de commencer le premier chapitre. Au moins, je ne pense à plus rien, quand j'écris.
Par la suite, je prends des clichés de Madeleine. Je les imprimerais pour les accrocher dans le couloir. Cela décorera.
À midi, je mange le repas que j'avais prévu. Petits-fours, pommes dauphines et bûches au chocolat. S'ensuit une après-midi devant la télé, à manger des chocolats. Après trois films de Noël, je bouge enfin du canapé.
Mon téléphone a sonné. Je me penche, l'attrape et lis le message. Louise. Elle demande à m'appeler au plus tôt. J'accepte. Sa petite voix s'élève, brisant un lourd silence. Nous échangeons les banalités. Lorsque je lui demande si elle va bien, elle renifle et répond faussement que oui. Je ne suis pas dupe. Elle va mal.
— Tu peux tout me dire, tu sais.
— Ça va. Dante m'a aidé. Tu sais, j'avais rendez-vous hier soir avec un homme, après le taf.
— Oui, ça s'est bien passé ? Ton collègue t'a aidé à quoi ? Oh ! Tu lui as dit tes sentiments ?
Louise étouffe un rire.
— Pas vraiment. Mon patron nous a invités à dîner dans l'agence immobilière. Invité, plutôt obligé. Je ne me suis pas rendue au rencard. Et Dante m'a protégé de Hugo. Enfin, bref. Ça va mieux, ce soir. Et toi, tu as passé la soirée seule ?
— Louise. Pourquoi ton collègue t'a protégé de votre patron ? Tu veux m'en parler ? Et oui, seule, ce qui n'est pas plus mal.
Louise soupire. Je m'enfonce dans mon canapé, le visage crispé. Une peur m'assaille.
— J'ai trop honte, Jules. Sache juste que c'est terminé. Dante m'a sauvé. Et il m'a dit la vérité. Il est célibataire et m'aime.
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