Chapitre 32


Thea Mareschal

Je jetai un dernier regard sur ma chambre d'hôpital, et remerciai une dernière fois l'infirmier principal qui s'était occupé de moi durant ma longue convalescence. Ma mère m'attendait dans le couloir, le sourire aux lèvres, mais elle ne parvint pas à me cacher les tensions dans sa posture. Quelque chose n'allait pas.


— Tu es prête ma chérie ?


J'acquiesçai pour toute réponse, et la suivis dans le dédale de l'hôpital jusqu'à sa voiture stationnée dans le parking souterrain. Elle ronchonna quand elle farfouilla dans son sac à main à la recherche du ticket de parking, et jura de plus belle lorsque son talon aiguille dérapa dans le processus. Elle s'efforça de rester calme et digne, même si je pouvais percevoir une larme de frustration rouler le long de sa joue.


C'est ma mère qui rompit le silence par-dessus le doux vrombissement du moteur de sa décapotable.


— Es-tu certaine de ne pas vouloir rester à la maison quelque temps ?


Par la maison, elle voulait désigner la sienne. Celle que j'avais quittée trois ans et demi auparavant pour fuir les filaments d'ombre insidieux du deuil, échapper à la moiteur étouffante des regrets. Si j'avais su à l'époque, que ce n'était pas le genre de chose que dont onpouvait se débarrasser juste en changeant de lieu de vie, je n'aurais peut-être jamais été emménager chez mon père et Naomi. Mais maintenant que c'était fait, que j'avais emménagé en colocation malgré tous les imprévus survenus ces derniers temps, je ne pouvais plus imaginer autre chose que ce duplex industriel à la porte grinçante comme ma maison. Et après les épreuves que je venais de traverser, je n'avais qu'une seule envie : rentrer à la maison.


— Je suis dés...


Son cellulaire me coupa net dans ma lancée, et comme à son accoutumée, ma mère délaissa son rôle de parent pour endosser celui qu'elle trouvait beaucoup plus confortable de femme d'affaires.


— Cela doit être important pour que tu oses m'appeler durant l'un de mes jours de congé pour lequel j'avais spécifié ne vouloir aucun contact, cracha-t-elle.

Elle avait beau jouer la patronne irritée, je savais qu'elle adorait incarner la femme à la poigne de fer dans un tailleur impeccable.


— Cela a recommencé, Natalina.


La voix masculine à l'accent soviétique résonna dans l'habitacle.


— Combien ?


— Trois pour cent.


Elle pâlit à vue d'œil, et ses jointures blanchirent sur le volant tandis qu'elle poussait un peu plus fort sur l'accélérateur afin d'évacuer la pression.


— Qui a vendu ?


— Kunst.


— Mudak*, siffla-t-elle en Russe. Ils commencent à s'en prendre aux membres du conseil. Toujours pas d'O.P.A. en vue ?


— Non, je pense qu'ils essayent de rester discrets.


— Trois pour cent, je n'appelle pas cela être discret !


— Kunst n'a pas tout vendu, même si on sait que cela va finir par arriver. Je ne sais pas comment ils ont fait, mais ils le tiennent. Toutes les transactions sont trop bien camouflées, je ne parviens toujours pas à les tracer, je ne sais même pas sur quel continent ils se trouvent.


— Trouve-les-moi, Kyril ! Et si tu as le malheur de te mettre à vendre, toi aussi, je viendrai t'offrir tes bijoux de famille en parure, c'est compris ?


— Je te serai toujours fidèle, Natalina, susurra-t-il.


Ma mère appuya rageusement sur l'écran de son portable pour raccrocher. Freinant brusquement, elle appuya furieusement sur le klaxon pour l'idiot qui avait osé se mettre en travers de sa route se rabatte sur la bande de droite, puis cracha encore une flopée d'insultes en Russe.


J'attendis que le silence avale ses injures avant d'aller à la pêche aux informations.


— Vas-tu m'expliquer ce qu'il se passe, maman ?


— Un groupe, enfin, je suppose que c'en est un, est occupé d'acheter toutes nos parts. Je ne sais pas comment ils font, mais ils parviennent à convaincre tous nos actionnaires de vendre. Kyril vient juste de me confirmer ce que l'on craignait, ils commencent à faire pression sur les membres du conseil d'administration, ils veulent un siège à ma table.


— Qui ça ?


— Si seulement nous le savions !


— Tu ne crois pas que tu dramatises un peu ? Au pire tu auras un nouveau membre dans l'administration.


— Si je ne sais pas de qui il s'agit, ça me pose un problème, oui ! Il pourrait tenter de m'évincer de l'entreprise.


— C'est ton entreprise ! Tes associés te sont fidèles !


Elle partit d'un rire sans joie.


— Quelle innocente tu fais, ma chérie. Aujourd'hui, la fidélité, cela s'achète.


— Si tu avais monté cette entreprise grâce à la peur et au chantage, mais tu as personnellement choisi tous tes associés principaux.


— Je ne sais pas comment ils font ni quels moyens ils ont, mais d'une manière ou d'une autre, ceux qui veulent ma tête font pression sur mes collaborateurs. Ils ont commencé à nous donner des coups, et ils continueront jusqu'à ce qu'on saigne à blanc.


Elle eut soudain l'air exténuée. Quelqu'un était occupé de lui arracher tout ce qu'elle avait construit de ses mains, et elle était fatiguée. Nul doute qu'elle considérait qu'elle avait passé l'âge pour partir en guerre. Le destin continuait de lui envoyer ses soldats de malheur, la mettant continuellement à l'épreuve. Le deuil de Léah, le divorce avec papa et son départ de l'entreprise, le décès brutal de mes grands-parents, et maintenant son entreprise. Depuis ces cinq dernières années, elle n'avait pas eu une seule seconde de répit, je ne sais même plus depuis combien de temps elle n'avait pas goûté à un jour de bonheur.


Plus j'y réfléchissais, et plus je voyais mon futur changer. Ma petite vie tranquille dans un foyer aimant avec un boulot calme s'effritait sous mes yeux depuis déjà un moment. Finit la jeune sœur protégée. J'avais été jetée en pâture dans cette savane, contrainte de survivre comme je le pouvais. Mais il n'y avait qu'une seule oasis dans ce monde, et j'étais désormais prête à me battre pour elle.


Je savais quoi faire. Et je devais engager une bataille sur tous les fronts.


— Tu sais que dans mes études de marketing, il y a une option en économie et gestion d'entreprise ?


— Mais tu as toujours voulu faire du marketing publicitaire !


— Faux, c'est ce que j'envisageais de faire jusqu'à présent. Mais plus j'avance, et moins je me vois là-dedans.


— Ne sacrifie pas tes rêves, ma puce.


— C'est curieux. Tu sais, pendant que j'étais avec D...


Ma voix s'érailla, mes mots restaient bloqués dans le fond de la gorge. Je l'éclaircis en poussant un râle de frustration.


— Avec Dimitri. Quand j'étais attachée à cette chaise, tous les rêves que je m'étais tissés dans la tête se décousaient. Quelqu'un en avait pris le bout et les avaient tirés un à un, tous sans exception. Et puis pendant que j'étais en soins intensifs, pendant que je butais sur chaque étape de ma rééducation, tout le tissu qui avait servi à tisser mes toiles de rêves a brûlé.


Ma mère s'était garée dans une station-service pour mieux m'écouter. Elle posa sa main sur ma joue, les yeux embués de larme.


— Tu ne devrais pas parler comme ça, chérie. Tu es encore si jeune.


Je vrillai mes pupilles dans les siennes, essayant de lui faire transmettre, de lui faire accepter toutes mes résolutions.


— Il est temps que je m'en construise de nouveaux, de plus grands. Je vais prendre ces options maman, je vais les réussir haut la main et je viendrai sauver l'entreprise que papa et toi avez montée de vos mains. Alors d'ici là, bats-toi, qu'il reste quelque chose à sauver quand j'arrive.


Elle me serra dans ses bras, aussi fort que ce que nos ceintures de sécurité nous le permettaient, et m'embrassa le front. Ses lèvres étaient humides à cause de ses larmes.


— C'est exactement ce que Léah avait décidé après le lycée.

**************
* Toute ma gratitude à nequizias  qui m'a soufflé cette belle insulte en Russe ;)

Hello, comme vous l'avez remarqué, j'espace un peu les publications le temps de retrouver l'inspiration. J'appréhende autant que j'ai hâte de mettre un point final à cette histoire. Car qui dit point final, dit nouveau projet en préparation :) (plusieurs même)


Alors, quel indice avez-vous relevé? Cela a un lien avec le début de l'histoire et cela a également un rapport avec une chose que dit Thea lorsqu'elle est aux prises de Dimitri...cherchez bien les liens, mais promis tout s'éclairera.

En attendant, je vous promet un chapitre 33 grandiose, découpé en 3 parties pour mieux vous faire languir...une idée?


Des bisous,

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