Chapitre 20
5 ans plus tôt
Le cours d'histoire tardait démarrer, et les conversations allaient bon train. Thea détestait cette matière, aussi elle tardait à rejoindre sa place, préférant discuter des derniers déboires financiers dans lequel le pays s'était fourré avec William qui, même s'il n'y comprenait rien et n'était pas intéressé par ce qui touchait à la politique ou à l'économie, était très bon public. Finalement, Madame Guerlache entra dans la salle, et imposa le silence en exigeant d'ouvrir leur livre au chapitre suivant.
Thea rejoignit sa place en trainant des pieds. Elle détestait le moyen-âge. Elle détestait l'histoire en général. Elle ne comprenait pas quel était l'intérêt à ressasser un passé, une histoire et à en tirer des conclusions si c'était pour refaire les mêmes erreurs par la suite. La place de la femme dans la société, la guerre froide, la Seconde Guerre mondiale, les chasses aux sorcières ou aux religions. Tout cela finissait quand même par ressurgir à un endroit où à un autre dans le monde, que ce soit qu'une soixantaine d'années après les derniers événements similaires ou trois-mille ans plus tard. Aujourd'hui, malgré l'hyper mémoire du monde grâce aux nouvelles technologies, l'Homme restait un profond amnésique chronique.
Au moment où elle s'assit, elle comprit que quelque chose clochait. Des rires étouffés surgirent de quelques personnes au sein de la salle de classe, certaines osèrent même se retourner pour observer son expression, ou simplement s'assurer qu'elle avait compris. Thea avait très bien saisi.
Quand les gloussements perfides s'étouffèrent, déçus de ne pas avoir pu assister à une réaction plus palpitante de leur victime, Thea se risqua à passer la main entre son siège et sa jupe.
Ils ne l'avaient pas ratée. Le chewing-gum était encore trempé de salive, collant comme il fallait et extensible à souhait. Réprimant un rictus de dégout, elle planta ses ongles dans la texture malléable afin d'en enlever le plus gros. La gomme était rose, aucune chance qu'elle passe inaperçue sur la jupe plissée bleu marine.
Elle attendit la sonnerie qui signalait la fin du cours aussi droite qu'une règle sur sa chaise, les avant-bras sagement posés sur son pupitre. Seuls ses doigts agitant frénétiquement son stylo à bille témoignaient de son impatience et de son agacement.
Tout le monde se précipita hors de la salle lors de l'attendue, à l'exception d'un petit groupe composé majoritairement de membres du sexe féminin. Ils prenaient volontairement leur temps, observant Thea toujours à sa place, le regard rivé au tableau.
-Et bien alors, princesse ? On est collée à sa chaise ?
Thea dirigea son regard assassin sur son interlocutrice.
-Je le reconnais, c'était bien joué. J'aurais dû être plus vigilante.
Elle défit les boutons de son pull qu'elle noua autour de sa taille. Elle se leva enfin, s'assurant que son gilet couvrait bien les restes du chewing-gum sur sa jupe.
-Je vous enverrai la note du pressing, si c'est trop onéreux pour vous, vous vous partagerez bien les frais.
Elle marchait rapidement dans les couloirs, désireuse de prendre sa pause déjeuner à l'écart, et de ne pas s'attirer les foudres de la préfète de discipline.
Cette journée que Thea considérait déjà comme catastrophique n'allait pas s'améliorer. La préfète de discipline qu'elle tentait d'esquiver en allant manger sur le toit de l'école déboula dans les escaliers que la jeune adolescente était occupée de monter.
-Mademoiselle Mareschal, puis-je savoir ce que vous venez faire à l'heure du déjeuner sur le toit ?
Le début de journée avait été excessivement long et éprouvant pour elle, sa retenue habituelle s'envola avec sa patience à bout et son envie de crier à l'injustice s'empara de ses mots.
-Je vous retourne la question, Madame Krill, que faisiez-vous sur le toit ?
-Vous osez répondre ? Enlevez-moi immédiatement ce gilet de votre taille, il est fait pour être porté sur le dos, l'uniforme est l'uniforme, et retournez au réfectoire ou dans la cour.
-Je refuse.
-De remettre votre pull ou de vous rendre dans les espaces autorisés ?
-Les deux.
-Ce n'est pas dans votre nature de vous rebiffer mademoiselle, mais si c'est ce que vous voulez et que vous refusez toujours de m'obéir, autant rentrer chez vous !
En une phrase, Madame Krill venait d'insulter la jeune fille, de la révolter et de lui offrir l'échappatoire qu'elle recherchait afin de mettre fin à son calvaire.
Elle haussa les épaules et tourna les talons.
-Très bien. À demain, Madame Krill.
-Vous n'ignorez pas que quitter l'enceinte de l'école avant la fin des heures de cours vous vaudra une retenue salée ?
Thea ne répondit pas, cette journée ne pouvait pas être pire qu'elle ne l'était déjà.
***
Thea se trouvait dans sa chambre, occupée de gratter les restes de chewing-gum sur sa jupe quand Leah entra sans frapper.
La reine revenait du stade, Thea ne s'y était pas présentée à la fin de la journée, et ce malgré la multitude de message et d'appels qu'elle lui avait laissés.
-La moindre des choses était de prévenir, Thea, cesse de m'ignorer !
Elle avisa la jupe étalée sur le bureau de sa sœur, et cette dernière grattant une tache dessus avec ses ongles, la mine crispée.
-Tu m'expliques ce que tu fais ?
-Cela ne te regarde pas, fiche moi la paix !
Elle ne l'entendit pas de cette oreille, et se rapprocha pour mieux observer ce que sa petite sœur tramait.
-Qui a fait ça ?
Thea haussa les épaules.
-Je ne sais pas.
-Tu sais que je finirai par l'apprendre, à quoi cela sert-t-il de me le cacher ?
-Je peux régler cela moi-même, Leah.
-Je vois ça, railla-t-elle. Aller, suis-moi, tu n'arriveras jamais à tout enlever comme ça, tu n'arriveras qu'à abimer le tissu.
Thea suivit sa sœur sans un mot jusqu'à la cuisine, où cette dernière sortit un glaçon du congélateur ainsi qu'un couteau à tartiner.
Elle entreprit de glisser répétitivement le glaçon sur les résidus de gomme avant de gratter légèrement le tissu avec le couteau.
Petit à petit, en répétant ces deux actions les restes de chewing-gum s'enlevèrent progressivement.
-Comment sais-tu comment enlever du chewing-gum collé sur des vêtements ?
-Google.
-Sois-sérieuse, tu n'as pas sorti ton téléphone depuis que tu es entrée dans ma chambre.
-Disons que tu n'es pas la première à qui c'est arrivé.
-Toi ? Tu me fais marcher ! Tu es adulée par tout le lycée, comment pourrais-tu être victime de crasses pareilles ?
-Figure-toi que d'autres étaient à ma place aujourd'hui, et qu'ils n'appréciaient pas que je vienne empiéter sur leurs plates-bandes.
Leah sourit au souvenir qui venait de dérouler son film dans son esprit.
-Comment t'es-tu vengée ? Te connaissant tu n'as pas du laisser passer ça sans réagir.
-Oh, il m'est arrivé bien plus qu'un vulgaire chewing-gum sur mon uniforme, mais si l'on n'ose plus me faire ce genre de crasses aujourd'hui, c'est parce qu'ils ont appris à leurs dépends qu'on ne se piquait pas à moi sans conséquence.
Elle se saisit à nouveau du glaçon qui avait déjà bien fondu et le repassa encore un peu sur la jupe. Il ne restait plus que quelques résidus de gomme, et elle s'attelait à s'en débarrasser avec le plus grand soin.
-Thea, retiens ceci. Si tu comptes rendre leur monnaie de leur pièce à ceux qui t'ont fait ça, assure-toi de le faire élégamment, sans t'abaisser à leur niveau. Si tu réponds par un sale coup, cela va aller en escalade, ne t'aventure pas là dedans, c'est le moyen de ceux qui ont trop peur de faire face.
-Ils ne se cachent pas vraiment, je ne crois pas qu'ils aient peur, comment veux-tu que je fasse autrement ?
Leah se pencha par-dessus la table, le regard animé d'une flamme rieuse, passionnée.
-L'information. Étudie tes adversaires, connais leurs habitudes, leurs secrets, leurs faiblesses. Et utilise-les au bon moment.
-Je ne crois pas que le chantage soit une meilleure solution.
-Ce sont des moyens de pression, pas du chantage. Et ces points sensibles sont ce qui différencie le vrai pouvoir de simples tentatives de domination.
-Nous sommes dans un simple lycée Leah, maugréa sa sœur. Tu parles comme s'il s'agissait de luttes de pouvoir au sein d'un état.
-Les états n'ont pas de réel pouvoir.
Elle avait fini de récurer tous les morceaux de chewing-gum sur la jupe, laissant une énorme tache humide à la place de la texture rose.
Un sourire énigmatique planait sur son visage, laissant entendre que sa sœur était à côté de la plaque.
***
-Es-tu certain que je ne risque rien avec cette dose ?
-Mais non voyons ! Tu t'es habituée aux effets maintenant, et tu veux augmenter les sensations, te sentir encore mieux, n'est-ce pas ?
La jeune adolescente avait la chair de poule en pensant à la douce évasion à venir, aux soucis qui s'effacent, à l'avalanche dopamine affluant dans son cerveau.
On lui avait proposé cette petite pilule jaune il y a quelques semaines lors d'une soirée, pour essayer, lui disait-on. Alors elle avait essayé. La première demi-heure fût atroce, elle était restée penchée par-dessus la clôture du jardin qui accueillait la soirée, vomissant son repas du soir et tout l'alcool ingurgité jusqu'alors. Au moment où elle se dit qu'elle n'essayera plus jamais aucune substance illicite, ses sens s'émoussèrent. Tout devint prétexte à rire, tout ce qui concernait sa sœur de près ou de loin s'évanouit. Elle se sentait bien, euphorique.
Alors, deux semaines plus tard, lors d'une autre de ces soirées, elle réessaya.
Elle prit la petite pilule rose qu'on lui tendait et déposa un billet à sa place. Elle avala sa dose en face son fournisseur qui souriait devant tant d'avidité.
Elle se sentit progressivement incroyablement mal. Elle savait que cela ne durerait pas, mais en cet instant elle regrettait amèrement d'avoir ingéré cette substance. Nauséeuse, elle s'accrocha un peu plus à la balustrade de la terrasse. Elle ne percevait que vaguement les mouvements autour d'elle, trop concentrée sur le contenu de son estomac qu'elle risquait de resservir à la terre. Elle dirigea ses pensées vers la plénitude à venir. La musique battait son plein, et elle voulait la sentir en elle, faire corps avec les riffs électroniques, vibrer au son des basses.
Petit à petit, une énergie incroyable la gagna, elle allait se sentir bien, c'était proche, tout proche.
Une gifle monumentale suivie de l'équivalent d'un verre d'eau dans sa figure la ramena promptement dans l'ennuyeuse réalité.
Léah.
Elle n'était pas censée être présente ce soir-là, autrement, Thea n'aurait jamais osé prendre cette fameuse pilule. Sa grande sœur cumulait énormément d'adjectifs et de défauts en tout genre, elle était aguicheuse, manipulatrice, sans limites. Mais s'il y avait une chose qu'elle détestait par-dessus tout, c'était perdre le contrôle. Car s'embrumer l'esprit équivalait à remettre son pouvoir en question, ne plus maîtriser ses actions, c'était se compromettre. Or, la reine des fleurs n'exposait jamais ses faiblesses. Pour l'ensemble du lycée Charles Baudelaire, Léah n'avait aucun point faible.
Léah empoigna le fournisseur de sa sœur par le col, ses yeux étaient devenus deux trous cristallins de haine et de colère.
-Qu'as-tu donné à ma petite sœur ?
-Ta petite sœur ? Léah, je te jure que je ne savais pas ! C'est elle qui me l'a demandé de toute façon, je te jure que je n'y suis pour rien.
Également sous substance, ce dernier était fébrile, conscient d'avoir commis une grave erreur.
-Au risque de me répéter, siffla-t-elle, que lui as-tu refilé ?
-Exctasy...ce n'est pas une forte dose, je te jure qu'elle s'en remettra.
La reine le jeta d'un reniflement dédaigneux et il fila sans demander son reste.
-Je m'occuperai de toi plus tard, promit finalement Léah pour elle-même.
Elle se tourna ensuite vers sa sœur qui était tiraillée entre tenter de reprendre définitivement ses esprits ou succomber plus profondément à l'euphorie et à l'énergie qui la parcouraient.
L'envie de la gifler une seconde fois lui démangea furieusement la paume, mais elle se retint, elle avait plus urgent à faire.
Elle tira sa sœur défoncée à l'écart des regards indiscrets, priant pour que les témoins de cette scène soient les moins nombreux possible.
-Qu'est-ce qui t'a pris bon sang ?
Elle regarda Thea qui était dans un état déplorable, incapable de marcher droit, des frissons parcouraient son corps.
-Lâche-moi ! J'ai besoin de me rapprocher des baffles !
Elle s'entoura de ses bras, frissonnant de plus belle.
-La musique, j'ai besoin de la sentir en moi.
-Tu délires ma pauvre fille ! Et pourquoi veux-tu absolument ressentir tout ça ?
Une paire d'yeux d'un vert clair la fixa d'un air suppliant.
-Pour t'oublier toi.
C'en fut trop pour Léah, piquée au vif, elle força sa cadette à se pencher en avant et glissa son index et son majeur dans le fond de sa gorge. L'effet ne se fit pas attendre, et Thea remit ce qui restait du contenu de son estomac.
Elles s'éloignèrent de façon à se mettre à l'abri des effluves nauséabonds, et s'assirent dans l'herbe, adossées au mur de la maison. Léah soupira tout en fixant un point imaginaire devant elle.
-Ne te souviens-tu jamais de ce que je te dis ?
-Tu me sermonnes tellement que je sélectionne seulement certaines infos et oublie tout le reste.
-Ne présente jamais aucune faiblesse, ne montre jamais, aucune émotion qui pourrait te porter préjudice...
-...C'est la faiblesse qu'attendent les hyènes pour te faire tomber.
-Ne leur donne pas l'occasion de te sauter à la gorge, confirma Léah. Ce soir, tu leur as donné un brelan d'as afin de te faire tomber.
-Je ne suis pas toi. Je me fiche de ce que les autres peuvent penser de moi, ou des éléments qu'ils peuvent avoir sur moi.
-Mais tu es ma sœur. Tu es ma plus grande faiblesse Thea, et en te présentant vulnérable, c'est nous deux que tu rends vulnérables.
-Ce n'est qu'un lycée Léah, et tu agis comme si nos futurs étaient en jeu.
-D'une certaine manière, ils le sont. Nous sommes une famille, des Mareschal. Tu sais ce que cela veut dire ?
-Nous nous protégerons l'une et l'autre.
-Toujours.
*******
Hey, je sens qu'avec le chapitre de la fois dernière, vous vous attendiez à autre chose aujourd'hui :p Vous devez me détester ^^
Promis, Thea nous revient la semaine prochaine.....dans un environnement hostile??
Vous verrez bien ;)
Des bisous,
Clara.
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