Chapitre 2
- Donc si elle était partie de son plein gré, elle te l'aurait dit ?
- Non.
- Pourquoi ?
- On s'est fait une promesse.
- Et quelle est cette promesse ?
- Pour que vous compreniez, il faut que je vous explique depuis le début.
- C'est un peu le but.
- Adélaïde, c'est le genre de fille qui ne sourit pas souvent, qui rigole quasiment pas, qui ne parle pas beaucoup. Personne n'arrive à savoir ce qu'elle pense. En réalité, je ne sais pas tant de chose que ça sur elle. C'est plutôt elle qui sait beaucoup de choses sur moi. Le plus gros secret et le seul que je savais sur elle, c'est qu'elle s'ennuyait à mort. Mais elle a peur de l'inconnu. Donc on s'est fait le promesse que, si on partait de son plein gré, on le dirait pas à l'autre pour qu'il se passe quelque chose de passionnant dans la vie de l'autre.
- C'est...
- Idiot ?
- Non, juste spécial.
- De toute façon, Adélaïde était spéciale.
- Comment ça ?
- Eh bien, elle veut être aimée par le maximum de personne. Donc elle a trouvé une technique... spéciale.
- Quelle est cette technique ?
- Elle reste effacée et elle parle peu. Pour éviter de contrarier les autres.
- Je vois... donc c'est de toi qu'elle est le plus proche ?
- Je sais pas... elle me parlait souvent d'un certains Marc. Elle semblait bien le connaître.
Marc...
Il me semble que c'est le nom du garçon dont elle parlait dans sa lettre. Un garçon qu'elle a inventé.
- D'accord... merci pour tes réponses.
- Au revoir.
- J'espère pour toi que tu n'auras pas à me revoir.
Elle esquisse un petit sourire et sort de la pièce. Je regarde l'heure sur ma montre. Vingt et une heure. Il est plutôt tard. Je range rapidement mon bureau et sors en prenant la précaution de bien fermer la pièce à clé. Je sors du commissariat. Je n'ai pas pris la boîte à chaussure. Elle me fait me sentir bizarre, cette maudite boîte. Peut-être que c'est l'intention d'Adélaïde.
Je monte dans le train qui est vide. Une heure plus tard, je suis enfin chez moi. J'ouvre la porte et jette mon sac sur le canapé. Je me déchausse, enlève mon manteau et m'allonge sur mon canapé. J'allume la télé. Les chaînes de télé donnent toujours les mêmes informations : météo, meurtre, nouvelles lois, accident de la route. Tiens, un fou échappé de l'asile, pour changer. Un reportage sur les dangers de la drogue. Je zappe. Ça me déprime de regarder les infos.
- Aujourd'hui, nous avons une information spéciale qui nous est parvenue. Une jeune fille de 16 ans, Adélaïde Martin, aurait disparu il y a 3 jours. Pourquoi la police n'a-t-elle pas prévenu les chaînes d'informations ? À cause d'une boîte remplie de lettre écrite par l'adolescente disparue. Les lettres sont destinés à la même personne, appelée "cher ami" par Adélaïde. Ses lettres n'ont jamais été envoyée. Nous avons reçu une copie d'une des lettres. D'après nos sources, cette lettre a été subtilisée avant que l'inspecteur ne puisse la lire.
Cher ami,
J'ai regardé les infos, aujourd'hui. Pas toute l'émission. Regarder l'émission en entier, c'est trop déprimant. En réalité, on ne donne jamais les bonnes nouvelles à la télé. On veut nous faire peur. Mais il n'y a pas que de la violence dans ce monde. Enfin j'espère.
Que te dire d'autre ?
Tout se passe bien au collège, même si je m'ennuie à mourir. On peut dire que j'ai une vie satisfaisante. Satisfaisante. C'est un adjectif qui me ressemble. Je suis satisfaisante. Pas plus, pas moins. Le mot satisfaisant, ça me fait penser aux appréciations sur ma copie. Mes notes sont satisfaisantes. Je suis satisfaisante.
J'ai vu un reportage sur les anorexiques. L'anorexie, c'est embêtant. Je ne l'ai jamais été donc je ne sais pas exactement le ressenti mais je sais que c'est mauvais pour le corps. La malnutrition et la sous nutrition, c'est vraiment des choses horribles. Je me rappelle d'un cours de géo sur l'alimentation dans le monde. Il y avait quelque chose qui m'avait beaucoup attristé : les enfants qui ne se nourrissent ont un gros ventre. Drôle d'ironie, non ? Tu meurs de faim mais t'as un bide aussi gros que si t'avais bien mangé.
Ça fait maintenant un mois que mon grand-père est mort. J'ai appris qu'il y avait sept étapes dans le deuil : le choc, le déni, la colère, la tristesse, le résignation, l'acceptation et la reconstruction.
Je ne sais pas à quelle étape je suis. Sûrement une sorte de déni involontaire. Ou de je-m'en-foutisme indécent. C'est compliqué. J'ai toujours eu une attitude un peu je-m'en-foutiste mais de là à ne pas pleurer un mort...
J'espère que tu vas bien, contrairement à moi,
Adélaïde.
- On découvre dans cette lettre qu'Adélaïde est une jeune fille tourmentée psychologiquement. Elle n'a plus toute sa tête. Nous pensons qu'elle est partie sous le coup de la folie. Une fois retrouvée, le mieux serait de l'enfermer dans un asile de fou.
J'éteins le poste, furieux. Comment ces informations ont pu arriver jusqu'aux médias ? Ils ne savent rien de cette fille et pourtant ils veulent la faire enfermer. Je prends mon téléphone et appelle le commissariat. C'est Julie qui décroche.
- Ici le commissariat, que puis-je pour vous ?
- C'est moi, Julie.
- Ah ! Monsieur l'inspecteur ! Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Tu as regardé les informations sur la 3 ?
- Oui, justement. J'avais laissé le poste du commissariat allumé et j'ai vu l'émission.
- Qu'est-ce que tu en penses ?
- C'est forcément un des policiers qui a livré les infos aux médias. Mais je n'ai aucune idée de qui ça peut être.
- Je dois te laisser, on en parlera tous ensemble demain.
- A-ah bon ? V-vous êtes s-sûr ?
- Oui pourquoi ?
- Eu-euh... non, pour rien. À demain, monsieur.
- À demain Julie.
Je raccroche et me prépare à aller me coucher. Une fois dans mon lit, je prends le temps de réanalyser tous les moments de la journée.
Il y a quelque chose qui me dérange. Mais je n'arrive pas à savoir ce que c'est.
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