Chapitre 6 -Interrogations

Point de vue de Lucas

Un vrai gamin! Il n'y a pas d'autre mot pour définir mon attitude actuelle. Quand nous étions jeunes, nous sommes tous passés un jour ou l'autre par la phase «j'attends le facteur au cas où il y aurait du courrier pour moi». Et bien, mon retour en enfance est en cours. Malheureusement, la lettre tant espérée n'arrive pas. Plus de deux semaines que je lui ai envoyé la mienne et toujours pas de réponse. Je vais finir par croire qu'elle ne veut plus m'écrire. D'après ce que j'ai compris de sa première lettre, sa vie est assez compliquée ce qui explique peut-être qu'elle tarde mais ça devient long. En attendant, je me défonce dans la revalidation. Si ça n'avance pas de son côté, je peux au moins faire progresser les choses du mien. Les médecins m'obligeraient presque à ralentir mais j'ai envie de redevenir comme avant et de me tenir à nouveau sur mes jambes.

Revenant d'une séance de kinésithérapie assez corsée, je m'octroie une petite pause avant que le psychologue ne vienne me voir. Déjà à l'hôpital les séances avec son confrère étaient obligatoires. Au début, je ne parlais pas et il se contentait d'écouter mon silence. Il devait sûrement compter sur le fait qu'un jour j'aurais besoin de parler mais c'est plutôt mal me connaître. En fait, c'est une conversation avec Franck qui m'a aidé à comprendre que cela faisait partie du processus de guérison. Il a pris l'habitude, après chaque repas, de passer me voir pour que nous discutions un peu. C'est lors de ce petit rituel que nous avons entamé le sujet et qu'en j'y repense, il avait raison.

(Flash-back

- Le psy va arriver, lui dis-je en soupirant.

- Pourquoi j'ai l'impression que tu ne lui dis rien du tout? me demande Franck.

- Parce que tu commences à me connaître?

- Mouais. Tu sais, ça te ferait du bien de parler de ce que tu as vécu. Je me doute que tu n'en as pas envie, comme à peu près tout le monde ici d'ailleurs mais tu devrais prendre le côté psychologique en compte si tu veux te remettre sur pieds.

- Je n'ai pas de problèmes à ce niveau-là. La seule chose qui me bloque c'est le fait de ne pas savoir me servir de mes jambes. Cela dit, je suis déjà content d'avoir retrouver l'entière mobilité du haut de mon corps.

- Tu y mets beaucoup de bonne volonté, je te l'accorde, me dit-il en pouffant. Mais profite du temps qui t'est imparti, peut-être pas pour guérir, mais pour mettre les choses à plat avec toi-même. Tu as l'occasion de pouvoir repartir sur des bases saines ou presque. Je sais qu'on n'oublie jamais ce qu'on a vécu sur le front, c'est impossible mais tu dois te débarrasser de toute cette rage qu'il y a en toi. À moins que tu ne veuilles craquer pendant une mission et vous mettre toi et tes frères en danger.

Fin du Flash-back)

Cette conversation m'a pas mal remué et fait voir ses séances sous un autre angle. Je ne suis pas encore prêt à tout déballer mais au moins je communique avec le psy, c'est déjà un progrès en soi. En parlant du loup, le voilà qui rentre, un sourire aux lèvres comme à chaque fois. C'est à croire qu'ils prennent tous une pilule du bonheur dans ce centre. Je n'ai encore jamais vu personne tirer la tête. Je devrais peut-être me méfier de ce qu'ils mettent dans les repas.

- Bonjour Lucas. Comment allez-vous aujourd'hui? me demande-t-il en s'asseyant.

- Ça ira déjà mieux quand vous commencerez à me tutoyer, lui dis-je avec un petit sourire en coin.

- Vous savez que c'est contre mes principes, tant que vous serez mon patient en tout cas.

- Au moins j'aurais essayé. Mais je finirai par vous avoir, vous verrez.

- On verra bien. En attendant, de quoi voulez-vous parler aujourd'hui?

- Nous sommes obligés de parler?

- Non, personne ne vous oblige à quoi que ce soit. Ceci dit, vous avez entamé le processus, ce serait dommage de l'arrêter.

- Si vous le dites, lui répondis-je en haussant les épaules.

- Avez-vous des nouvelles de votre correspondante?

- Comment êtes-vous au courant de ça?

- Les gens parlent Lucas. Et ça n'a échappé à personne que vous attendez votre courrier, me dit-il rieur.

- Ils n'ont rien de plus intéressant à faire? Sérieusement? répondis-je en soufflant.

- Vous devriez savoir qu'ici, plus qu'ailleurs, les gens font attention aux autres.

- C'est vrai. Je n'ai jamais vu ça... Pour répondre à votre question, elle ne m'a toujours pas répondu et je commence vraiment à me demander si elle le fera.

- Pourquoi pensez-vous ça?

- Elle m'a expliqué que ça vie est un peu compliquée et qu'elle ne s'attendait pas à ce que je lui réponde. De là à se dire qu'elle arrêtera d'elle-même, il n'y a qu'un pas.

- Est-ce que c'est ce que vous voulez? Qu'elle arrête?

- Non, j'ai envie de la connaître. Pour être tout à fait honnête, elle m'intrigue. Je sens chez elle une certaine tristesse et je veux l'aider si j'en ai les moyens.

- Avez-vous réfléchi au fait qu'elle a peut-être un compagnon?

- Ça ne m'a pas effleuré, je dois le reconnaître. Mais même si c'est le cas, ça ne changerait rien. D'après ce que j'ai remarqué, Audrey est une personne discrète voir effacée. Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire mais j'ai l'intuition qu'elle n'a pas l'habitude d'être aidée. Je ne saurais pas vous dire pourquoi mais c'est ce que je ressens.

- Vous êtes déjà bien attaché à elle. Vous êtes conscient que vous ne vous êtes croisés qu'une seule fois et que vous n'avez échangé que quelques lettres?

- Je sais. Ça peut vous paraître fou mais depuis que je l'ai vue, je sens une connexion entre nous. Et je me dis que si le destin nous a remis sur le même chemin c'est pour une bonne raison.

- Seul l'avenir nous dira si vous avez raison. En attendant, vous pourriez lui envoyer une autre lettre.

- Si je n'ai pas de réponse d'ici un jour ou deux, je le ferai.

- C'est une bonne chose. En tout cas, je vois que vous retrouvez la forme petit à petit. Continuez comme ça, vous êtes bien parti. Je vous laisse pour aujourd'hui, la séance de l'après-midi va bientôt commencer et mon petit doigt m'a dit que vous aimez bien y participer, me dit-il avec un clin d'œil.

- Votre petit doigt a raison, lui répondis-je en souriant. Pouvez-vous faire venir l'infirmière?

- Je l'appellerai en passant. Bon après-midi Lucas.

- Bon après-midi.

Je ferme les yeux histoire de me reposer un peu en attendant l'infirmière. Mes nuits sont toujours aussi courtes et peuplées de cauchemars. En combinant ça aux efforts fournis pour la revalidation, ça donne un mélange détonnant. Un bruit dans le couloir me fait sursauter. Je me suis sans doute endormi parce qu'au vu de l'heure, l'après-midi est déjà bien entamé.

Encore ensommeillé, il me faut un certain temps pour que ma vision revienne à la normale mais mon attention est bien vite attirée par quelque chose qu'on a déposé sur ma table. Un sourire fleurit sur mes lèvres. Ce que j'attendais avec autant d'impatience est enfin arrivé. Sa lettre. Je veux la prendre mais mes mains sont moites. Je me dépêche donc de les essuyer pour pouvoir la lire le plus rapidement possible.

« Lucas,

Je m'excuse du temps que j'ai pris pour te répondre. Nous avons tous des moments pendant lesquels nous n'avons aucune envie de communiquer avec les autres. C'était mon cas jusqu'à aujourd'hui. Je sais que ce n'est pas une raison valable à mon silence mais c'est la seule que je puisse te donner. Tu dois te dire que je fais une bien piètre correspondante. Je suis censée te remonter le moral et le mieux que je trouve à faire est de te laisser sans nouvelles. Je comprendrais que tu veilles arrêter nos échanges du coup.

Te dire que j'ai été étonnée de ta réponse serait un euphémisme. Ne m'attendant pas à ce que tu m'écrives, je m'étais déjà faite une raison. Cependant, je suis très heureuse de m'être trompée. J'ai relu ta lettre tellement de fois qu'elle est déjà usée et si j'ai tenu pendant ces deux semaines, c'est un peu grâce à elle.

Tu as entièrement raison, j'ai eu accès à ton dossier et donc à quelques renseignements te concernant mais je me suis contentée de lire les informations de base, considérant que le reste fait entièrement partie de ta vie privée. Il serait donc juste que je me présente un peu plus.

Comme tu l'as si bien dit, je travaille dans le secteur administratif de l'hôpital, plus exactement comme secrétaire médicale. J'ai 26 ans, je suis en «couple» avec Tom depuis maintenant sept ans (enfin si on peut appeler ça un couple mais c'est une autre histoire) et j'ai une petite fille de 5 ans qui s'appelle Sylvie. À part ça, il n'y a rien d'intéressant à savoir à mon sujet, ma vie se résumant à ce que je viens de te décrire.

Que peux-tu me dire sur toi? J'ai déjà essayé de m'imaginer ta vie mais je n'y suis pas parvenue. Quelles sont tes passions? As-tu de la famille? Aimes-tu voyager (en-dehors de tes missions évidemment)? Fais-moi un peu rêver, j'en ai besoin, tu ne sais même pas à quel point.

Audrey

P.S.: Je te répondrai plus vite maintenant, c'est promis.»

Mon enthousiasme du début est légèrement retombé. Alors comme ça elle vit avec quelqu'un et elle a un enfant? Et bien qui l'eût crû? Cela dit, ça n'a pas l'air d'être la joie au niveau de son couple et je me demande si son compagnon est au courant de nos courriers.

Je n'aime pas savoir qu'elle était dans une période sombre. Elle devrait vivre heureuse et non déprimée. Qu'est-ce qu'il peut bien se passer dans sa vie? Il y a encore tellement de choses à découvrir et je pense que je ne vais pas les aimer toutes.

Je suis heureux d'avoir enfin reçu sa lettre mais je reste indéniablement sur ma faim. Elle m'en dit trop ou pas assez, tout dépend du point de vue. Ce qu'elle n'a pas compris en revanche, c'est que ça va dans les deux sens. Elle est effectivement censée me remonter le moral mais ce projet est surtout, enfin d'après ce que j'ai compris, un échange sinon il suffirait que je me confie à mon psy.

Sandy entre dans la chambre me trouvant perdu dans mes pensées. Bien que ce ne soit pas rare, cette fois-ci je ne l'ai même pas entendue.

- Salut Lucas

- Oh salut Sandy. Je ne t'avais pas entendue entrer.

- J'avais remarqué, me dit-elle en riant. Je suis venue faire tes soins avant qu'on ne t'apporte ton repas. Où étais-tu perdu?

- Loin, très loin, lui répondis-je en haussant les épaules.

- Je vois que tu as reçu ton courrier. Ce sont de bonnes nouvelles j'espère.

- Oui et non. C'est compliqué apparemment.

- Comment ça?

- Elle ne m'a pas écrit avant parce qu'elle n'allait pas bien.

- Elle t'en dit les raisons?

- Non et c'est ça qui est étrange.

- Ce n'est pas étrange Lucas. Toi le premier tu devrais savoir qu'il est difficile de se confier.

- C'est vrai mais j'avoue que je ne comprends pas trop.

- Écoute si tu veux, je connais quelqu'un là où elle travaille, je peux lui demander si elle la connaît.

- Tu crois vraiment que l'espionner est une bonne base pour gagner sa confiance?

- Tu ne l'espionnes pas vraiment, tu te renseignes et puis tu n'es pas obligé de lui dire.

- Mouais, ça ne coûte rien de se renseigner en effet.

- Je contacterai mon amie tout à l'heure et je te tiens au courant.

- Merci Sandy.

- De rien beau gosse, me dit-elle en me faisant un clin d'œil.

Après avoir fini ce qu'elle devait faire, Sandy partit me laissant avec mes questions. Bon, autant en avoir le cœur net et la seule manière d'y arriver, c'est de le demander directement. Me munissant d'un papier et d'un stylo, j'entame la rédaction de ma lettre. Les mots coulent sans effort alors que d'habitude écrire une ligne représente un véritable chemin de croix.

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Voici enfin le nouveau chapitre.

Alors votre avis? Que se passe-t-il avec Audrey?

Est-ce que je suis sur la bonne voie? Qu'imaginez-vous pour la suite?

Chapitre corrigé le 9/10/18

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