Chapitre 3 - Le choix


Point de vue de Audrey

Les albums de Kyo tournent en boucle dans mes oreilles depuis maintenant deux heures. Mes insomnies sont de retour comme souvent ces derniers temps. Mes yeux s'ouvrent vers 1 heure 30 du matin et ne veulent plus se fermer. Enfin si, mais en général, c'est au moment où le réveil va sonner et écouter de la musique est la seule alternative que j'ai trouvé pour m'occuper.

Quand arrivera l'heure de me lever, je serai fatiguée mais personne ne le remarquera et comme tous les matins, je ferai semblant d'aller bien. De toute façon pour ce qu'ils font attention à moi que je fasse semblant ou non ne changera pas grand-chose mais j'aurai au moins l'illusion d'être heureuse pendant quelques minutes.

Depuis quelques temps, un vide a remplacé mon cœur et les larmes de tristesse celles de joie. C'est comme si un trou béant se trouvait à l'intérieur de mon âme et me déchirait les entrailles. Je me force à me lever et à m'occuper d'eux puisque c'est le seul moyen d'exister à leurs yeux mais la lassitude commence à me gagner. Pour être franche, je n'en peux plus. La seule joie qu'il me reste sur la journée est ma conversation avec Geoffrey ou Olivier. Pendant dix minutes, je me sens appréciée. Dix minutes... que représente ce laps de temps dans une vie? Six cents secondes par jour, trois cents minutes par mois, trois mille six cents minutes par an.

Je me demande encore pourquoi je tiens, pourquoi je me lève, pourquoi je respire. Ma disparition serait si facile et si libératrice pour tout le monde, à commencer par moi. J'ai déjà imaginer tout un tas de scénario que ce soit la prise de médicaments, me jeter sous un bus ou encore m'ouvrir les veines mais je suis trop peureuse ou trop lâche pour aller au bout de mes pensées. Et puis imaginez qu'ils m'aiment quand même un peu, je ne voudrais pas gâcher cette chance.

Le réveil indique l'heure de la comédie. Levez le rideau, la pièce de théâtre va commencer comme tous les jours. Ni le scénario ni les personnages ne changent d'un iota. Je profite donc de mon arrivée au travail pour partager les cinq minutes matinales que je m'accorde avec mon rayon de soleil avant de remettre mon masque et de rentrer dans l'arène. Mon job me permet de tenir la tête hors de l'eau pendant la journée, étant trop occupée pour penser à autre chose et mes tâches me plaisent beaucoup. Je croise énormément de monde tout en exerçant ce pour quoi je suis douée. Il m'aura fallu un temps considérable pour savoir quelle voie me convenait mais je suis parvenue à la trouver et je ne compte pas la lâcher.

Installée à mon bureau depuis deux heures, les dossiers défilent sans que je ne vois le temps passer. C'est un coup à la porte qui me fait lever la tête et m'interrompt ainsi dans mon avancée.

- Entrez.

- Bonjour Audrey, me dit le nouvel arrivant.

- Bonjour Roger, lui répondis-je en souriant. Prenez place. Alors, comment allez-vous?

- Bien je vous remercie et vous?

- Ça va. Que me vaut le plaisir de votre visite?

- Je pourrais vous dire que c'est juste pour vous voir mais je mentirais, me dit-il en riant. Le comité a déjà pris sa décision. Je suis donc venu vous apporter le nom de l'heureux élu.

Il dépose une enveloppe A4 fermée sur mon bureau.

- Vous pouvez l'ouvrir quand vous serez seule, tout cela ne regarde que vous. Il y a des renseignements sur votre correspondant à l'intérieur. Si vous pensez qu'il vaut mieux changer, il suffit de nous prévenir et nous nous chargerons de trouver quelqu'un d'autre.

- Je peux l'ouvrir maintenant? Je dois avouer être un peu curieuse.

- Comme vous voulez. J'ai tout mon temps de toute façon.

Je prends la fameuse enveloppe et l'ouvre pour découvrir celui ou celle avec qui je vais être amenée à communiquer. Et là le nom me donne des palpitations. Ce n'est pas possible, pas lui. Pourquoi a-t-il fallu que ce soit lui et pas un autre? Je ferme les yeux pour mieux me concentrer sur ma respiration et me calmer.

- Ça ne va pas? Vous êtes toute pâle, me dit Roger.

- Je connais cet homme. Enfin connaître est un bien grand mot. Disons que je l'ai rencontré ici il y a une semaine. Il était soigné dans cet hôpital.

- Oh. Et ça vous pose un problème?

- À vrai dire je ne sais pas trop quoi vous répondre.

- Vous désirez changer de correspondant?

- Je n'en sais rien. Est-ce que je peux y réfléchir quelques jours avant de vous donner ma réponse définitive?

- Évidemment. Je peux juste vous donner un conseil? Je ne sais pas ce qu'il s'est passé avec lui mais visiblement cela vous a marqué. Ne prenez pas votre décision en fonction de ce qu'il vous a montré ici. Les retours de missions sont toujours un peu délicats. En temps normal, les soldats ont déjà du mal à revenir à la réalité qui est la nôtre mais revenir blessé complique un peu plus les choses. Prenez bien le temps de la réflexion avant de décider quoi que ce soit.

- Très bien, je vous promets de bien étudier son dossier. Je vais y réfléchir à tête reposée et je vous donnerai ma réponse d'ici deux jours maximum. Si j'accepte de correspondre avec lui, comment cela va-t-il se passer?

- Vous donnerez votre lettre au service qui se charge du courrier et celle-ci sera envoyée là où se trouve cette personne. Son adresse est dans le dossier. S'il y a une réponse, elle vous parviendra ici également sauf si vous en décidez autrement. Ça permet de préserver votre intimité à tous les deux.

- Je vois que tout a été prévu. Je vous répondrai aussi vite que possible, vous pouvez compter sur moi.

- Je sais que je peux compter sur vous. Je vais vous laisser tranquille pour le moment mais n'oubliez pas que si vous avez la moindre question ou l'envie de parler de tout ça, je suis là.

- Merci, je n'hésiterai pas. Passez une bonne journée Roger.

- Vous aussi Audrey.

Après l'avoir raccompagné à la porte, mon fauteuil me tend les bras.

Lucas Simons.

Ses yeux bleus qui me scrutent, sa façon de me faire croire que j'existe, les frissons qui parcourent mon corps. Tout me revient en mémoire avec un peu trop de précision alors que je me suis promise de l'oublier.

Ce n'est pas possible. Pourquoi moi? Que faire? Dois-je lui écrire et lui préciser que nous nous sommes déjà rencontrés? Me répondra-t-il? Bien échu qu'il se souvienne de moi de toute façon!

Bon, le travail n'attend pas et vu la pile qui se trouve sur mon bureau, j'ai intérêt à m'y remettre. Son dossier prend donc place dans mon sac en attendant que je l'étudie à la maison, à mon aise.

La journée continue avec son lot de questions qui tournent en boucle, toujours les mêmes. Je résiste avec difficultés à l'envie de lire les documents le concernant. J'attends avec impatience d'en apprendre plus sur lui.

- Salut Olivier. Tu as passé une bonne journée?

- Oh salut Audrey. Comme d'habitude, me dit-il en haussant les épaules. Alors tu as déjà fini?

- Et oui, il était temps.

- Tu pars en avance?

- Non, je suis même plus tard, lui dis-je en riant.

- Comment ça plus tard?

Il regarde l'heure et écarquille les yeux, visiblement surpris.

- Mince, je ne pensais pas qu'il était si tard.

- Tu es sûr que ça va?

- Oui ne t'inquiète pas. Je n'ai pas bien dormi cette nuit et je commence à le sentir.

- Rien de grave au moins? lui demandais-je sincèrement inquiète.

- Non, un peu trop de choses en tête mais ça va passer.

- Ok. N'hésite pas, si tu as besoin je suis là d'accord?

- Oui merci Audrey. Passe une bonne soirée, me dit-il en me souriant.

- Toi aussi. À demain.

Mon sac à dos semble peser une tonne alors que la seule chose qu'il contient est cette enveloppe. Je me dépêche de rentrer et d'effectuer mes tâches du soir avant de commencer à lire. Les mains tremblantes, les larmes aux yeux, les informations défilent devant mes yeux. Il n'y a pas beaucoup de données en fait mais suffisamment pour comprendre qu'il est seul et que la vie n'a pas été douce avec lui. Tom et Sylvie reviennent ce qui m'oblige à déposer ma lecture pour m'occuper d'eux. De toute manière, j'ai déjà lu tout ce qui m'intéressait.

La soirée est routinière et me donne envie de hurler. Ils discutent de leurs journées, Sylvie l'expliquant avec ses mots d'enfant et Tom l'écoutant avec attention. J'essaie d'intervenir, de leur parler de la mienne mais ils s'en moquent alors je me tais. Après avoir pris son bain, Sylvie va se coucher et pense à venir me faire un petit câlin avant de continuer de discuter avec son père dans son lit. Les murs se referment de plus en plus sur moi me donnant l'impression d'étouffer. Je n'existe donc plus pour eux. Je fais partie du décor, un simple meuble utile.

Après être passée dans la salle de bain, je m'installe dans le divan à côté de mon compagnon.

- J'ai eu le nom de mon correspondant.

- Quel correspondant? me demande-t-il tout en regardant son portable.

- Je t'en avais parlé la semaine dernière. Le programme «Correspondance».

- Mmm.

- Je ne sais pas si je vais le faire.

- ...

- J'ai vu un éléphant rose.

- C'est bien.

La conversation est déjà terminée et rester une minute de plus m'est impossible. Mon mp3 m'attend près du lit, je vais donc m'allonger pour écouter ma playlist favorite. C'est Guns N'Roses qui tourne pour l'instant: «Knocking on Heaven's Door», «Don't cry» et «November Rain» s'enchaînent tandis que les larmes coulent sur mes joues. Combien de temps vais-je encore supporter la situation? Quand suis-je devenue une moins que rien pour lui? Les réponses ne viendront pas cette nuit c'est certain et j'en ai ma claque de pleurer, il faut donc que je me distraie. J'essuie mon visage avec mes mains et prends le dossier de Lucas pour le relire un peu plus attentivement. Accrochée avec un trombone sur la première page, sa photo attire mon attention. C'est un homme séduisant, on ne va pas se le cacher mais il a l'air d'être tellement plus que ça. Il est déterminé à protéger les gens qui l'entourent et sous ses airs de dur à cuire, il dégage quelque chose de plus subtile mais de bien présent: de la vulnérabilité. Son regard est celui de quelqu'un qui a énormément souffert et qui souffre encore. Est-ce que je peux vraiment le laisser tomber sous prétexte qu'il me perturbe plus que ce qu'il ne devrait? C'est vrai que quelqu'un d'autre pourrait le prendre comme correspondant mais j'ai l'intime conviction que c'est moi qui doit jouer ce rôle. Je le sens au plus profond de moi sans pouvoir me l'expliquer. C'est en pensant à Lucas que je finis par m'endormir quelques minutes plus tard, seule dans ce grand lit vide. Encore...

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On en sait un peu plus sur Audrey. Pas toute rose sa vie...
Qu'en pensez-vous? Que va-t-elle faire?

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