Chapitre 2 - Transfert
Point de vue de Lucas
L'ambulance me conduit vers mon nouveau chez moi. Je suis parti de l'hôpital comme j'y suis rentré, de manière anonyme et solitaire. De toute façon, à quoi je m'attendais? Mes rêves se sont arrêtés il y a longtemps. En fait, depuis que je suis en âge de comprendre que personne ne sera là pour s'occuper de moi. Passer de famille d'accueil en famille d'accueil vous fait apprendre la vie de la plus dure des manières. Ça vous enseigne aussi à ne compter que sur vous-même.
Je me morfonds pendant tout le trajet. Rien de bien étonnant non plus, je suis dans un lit, toujours incapable de bouger mes jambes et toujours dépendant des autres. Je déteste cette situation et pourtant, si je me retrouvais devant le même choix, je prendrais la même décision. Nicolas y serait passé si je n'avais pas réagi assez vite. C'est un bon gars qui a encore toute la vie devant lui et il me parlait avec tellement de fierté de sa famille quand nous étions au camp que la question ne s'est pas posée, j'ai agi point à la ligne. C'est ça être un soldat, protéger les autres quitte à se sacrifier pour y arriver. Oh, je ne vais pas jouer les héros non plus, j'y gagne beaucoup. Je peux me défouler, avoir ma dose d'adrénaline et vu mon penchant pour le shopping, une belle somme d'argent attend sur mon compte. Je ne suis pas prêt à arrêter mais quelque chose me dit que je vais devoir prendre mon mal en patiente cette fois. Espérons que ce centre soit vraiment à la hauteur de sa réputation. Après avoir pris mes renseignements auprès du personnel médical, il semblerait que les résultats de leur équipe soient dans les meilleurs. Ceci dit, d'autres bruits de couloir circulent au sujet du kiné et de cette fameuse Gabriella. J'aurai au moins un sujet auquel m'intéresser pendant ma revalidation. Résoudre des énigmes m'a toujours fasciné et là je sens que le mystère va m'occuper un certain temps.
Le véhicule ralentit, signe de notre arrivée probable. Cinq minutes plus tard, l'ambulance est à l'arrêt et les portes s'ouvrent, me laissant apercevoir un jardin fleuri et des personnes qui sont dehors en train de faire des activités. Je n'ai pas le temps d'en voir plus. Les brancardiers sortent mon lit pour m'emmener à l'intérieur. Un homme, petit avec des lunettes, nous attend à l'entrée. Il ne ressemble pas à un infirmier, plutôt à quelqu'un qui fait partie du personnel administratif.
- Bonjour monsieur Simons, me dit-il, je suis Julien, le directeur de cet établissement.
Le directeur qui accueille les patients, voilà qui n'est pas banal.
- Bonjour, lui dis-je en lui serrant la main tant bien que mal.
- Normalement c'est Gabriella qui devait vous accueillir mais elle est en congé, me dit-il.
Je vois dans ses yeux que quelque chose ne va pas. Décidément, le mystère s'épaissit.
- Sandy et Hugo ici présents vont vous installer dans votre chambre et je viendrai après pour vous expliquer comment fonctionne le centre, continue-t-il.
- Très bien, ça me va.
Comme si un autre choix se présentait à moi. Ce n'est pas comme si je pouvais aller quelque part sur mes deux jambes. Nous nous mettons en route avec Sandy et Hugo. De ce que je peux voir, l'environnement est agréable et les gens ont l'air sympa. Une fois à destination, ils me transfèrent dans ce qui sera mon lit pour les prochains mois. La chambre est peinte dans une couleur chaude avec juste une ou deux illustrations accrochées au mur. Une télévision est suspendue dans un coin de la pièce et bien que je ne la regarde pas énormément elle pourra me servir de distraction de temps en temps.
- Vous pouvez décorer la chambre comme bon vous semble, me dit l'infirmière, il suffira de nous dire ce que vous voulez.
Pour être honnête, j'avais oublié sa présence. Je l'observe un peu plus attentivement. C'est une poupée Barbie : grande blonde élancée avec des jambes interminables. À une époque, j'aurais probablement pu la draguer et la vouloir dans mon lit. Je ne vais pas vous mentir, j'apprécie la vue, je ne suis qu'un homme après tout. Cependant le spectacle ne me fait ni chaud ni froid. Étrangement des yeux verts se rappellent à mon bon souvenir et viennent se superposer à ceux de la belle plante que j'ai en face de moi. Je ne sais pas si Sandy attend une réponse mais je me contente d'acquiescer à sa remarque. À part quelques photos que je laisse dans ma table de nuit, ma chambre n'est jamais décorée, pour la simple et bonne raison que je n'y reste jamais assez longtemps pour me donner cette peine.
- Voilà, nous avons fini de vous installer. Je vais prévenir Julien pour qu'il puisse venir vous expliquer comment tout fonctionne.
- Merci, leur répondis-je.
Je ne sais pas combien de temps va mettre le directeur pour arriver mais autant profiter de ce moment de solitude pour repenser à Audrey. Je ne l'ai vue que quelques minutes mais son regard me hante depuis. Il y a un je ne sais quoi chez elle qui me perturbe. L'arrivée de Julien me coupe dans mes pensées. Décidément, le service est rapide dans le coin.
- La chambre vous plaît? me demande-t-il.
- Vous savez, je ne fais jamais très attention à tout ça mais elle est pas mal, lui dis-je en haussant les épaules.
- J'espère que vous allez vous plaire parmi nous et que vous reviendrez bientôt sur vos deux jambes. On va tout faire pour en tout cas. Les résidents s'entendent en général bien ce qui nous permet d'avancer plus rapidement vers la guérison.
- Et au niveau de l'équipe médicale?
- Nous avons une équipe complète ou presque. Il y a des infirmiers, des médecins, un ostéopathe, deux psychologues. Chacun d'entre eux a un assistant.
- Et un kinésithérapeute aussi? Vous ne l'avez pas cité.
- Nous sommes en train de chercher quelqu'un pour remplacer le dernier kiné en date. En attendant, l'assistant prend en charge les patients.
Mon envie de savoir ce qu'il s'est passé ici est forte mais je vais avancer petit à petit. Julien ne parle plus depuis un petit moment ce qui me fait réagir. Je lève les yeux vers lui et attends la suite.
- Les journées sont toutes à peu près semblables. Le matin est réservé aux soins et l'après-midi est plus à la carte. Nous vous avons concocté un programme spécifique que j'ai mis avec les différents renseignements dont vous aurez besoin là-dedans, me dit-il en me désignant une enveloppe. Les repas sont pris à la cafétéria mais au vu de votre situation, quelqu'un viendra vous les amener jusqu'à ce que vous soyez en mesure de vous déplacer. Vous avez des questions?
- Non pas maintenant en tout cas.
- Très bien, n'hésitez pas à demander si vous avez besoin de quelque chose. Ah oui encore une petite précision: l'après-midi, nous avons un groupe de «paroles», me dit-il en mimant les guillemets. Tout le monde se rassemble dans la pièce commune et nous discutons ensemble de tout et de rien.
- Je vous signale que je ne sais pas bouger de mon lit, je ne vois donc pas l'intérêt d'un tel renseignement.
- Je comprends vos doutes monsieur Simons. Je tiens à préciser que la salle commune est accessible également pour les personnes à mobilité réduite, qu'elles soient en chaise roulante ou dans un lit. Vous êtes donc le bienvenu parmi nous, me dit-il avec un grand sourire.
- Merci pour l'information Julien. Je verrai bien comment je me sens.
- Il n'y a aucune obligation je vous rassure. Nous avons juste constaté que les résidents se portent beaucoup mieux depuis que Gabriella a mis ça en place.
- ...
- Je vous laisse maintenant. Bienvenue chez nous.
Quand il sort de la pièce, mon regard est attiré par cette fameuse enveloppe. Bah, elle ne disparaîtra pas comme ça et je suis trop fatigué pour l'ouvrir maintenant. Le trajet a été plus exténuant que prévu et mes yeux se ferment d'eux-même. Le sommeil m'emporte rapidement loin de tout.
Un bruit... ma main veut attraper mon arme mais il n'y a que du vide. Je tâte partout mais je ne trouve rien. Le bruit recommence, je me relève d'un coup ou du moins j'essaie et c'est là que tout me revient: le camp, Nicolas, l'hôpital, le centre de revalidation. Et quelqu'un est en train de frapper à ma porte.
- Entrez, répondis-je un peu dans les vapes.
Un homme en fauteuil roulant rentre dans la pièce, il a l'air plus âgé mais je reconnaîtrais un soldat n'importe où.
- Bonjour, je m'appelle Franck. Je suis venu voir si tu étais bien installé mais à ce que je vois tu dormais. Je peux revenir plus tard si tu veux.
- Non c'est bon.
- C'est quoi ton prénom? Je me vois mal t'appeler le nouveau ad vitam aeternam, me dit-il en riant.
- Lucas, je m'appelle Lucas.
- Et bien Lucas, comment te sens-tu?
- Ça va.
- Écoute, je suis passé par là et crois-moi j'en ai bavé aussi. Je comprends qu'il te faille un peu de temps pour t'acclimater et prendre tes marques mais sache que si tu veux parler, je suis là. En fait, nous sommes tous là. Nous avons tous nos blessures mais la solidarité que tu trouveras ici nous a tous aidé à aller mieux.
- Merci, j'en prends note.
- Les autres sont de l'autre côté de la porte et attendent de te rencontrer. Normalement, on le fait à la salle commune mais on s'est dit que ce serait mieux ici. Ils peuvent entrer?
- Ai-je vraiment le choix?
- Et bien oui. Nous sommes tous soldats et nous avons tous les mêmes stigmates. Nous te comprenons mieux que tu ne le crois. C'est pourquoi nous comprendrions si tu voulais rester un peu seul.
- C'est bon, vous pouvez les faire entrer.
- Génial, tu ne le regretteras pas, me dit-il.
Je le vois retourner à la porte et laisser passer une partie des autres résidents. La pièce devient très vite trop petite pour contenir tout le monde.
- Bon, autant mettre les choses au clair directement, dis-je faisant naître un silence de plomb. Je m'appelle Lucas et le premier qui me vouvoie s'en souviendra.
Ils se regardent tous pendant quelques secondes avant que Franck n'éclate de rire, bientôt suivi par les autres.
- Tu me plais toi, me dit ce dernier.
S'en est suivi la présentation de tout le monde ce qui a duré un bon moment. Cet après-midi est passé à une telle vitesse que je n'ai pas vu le temps passer. Je vais peut-être finalement trouver ma place ici. En tout cas, je sais qu'ils me comprennent et c'est déjà énorme. Je ne sais pas si je parviendrai à m'ouvrir à eux ni si j'en ai envie d'ailleurs mais ça c'est une autre question.
Je prends l'enveloppe que Julien m'a laissée tout à l'heure. Dedans se trouvent mon programme, les numéros de téléphone utiles, les instructions diverses relatives aux activités et un autre papier qui lui n'est pas à l'effigie du centre. Étrange, il vient d'un comité de l'armée. Après lecture, il s'agit d'une lettre qui m'explique qu'un de leur représentant va me contacter afin de parler de leur projet «Correspondance». Il est précisé aussi que si je préfère, j'ai la possibilité de passer par Julien. C'est à ce moment-là que Sandy rentre dans ma chambre afin de m'apporter mon repas. J'en profite donc pour lui en parler et lui demander pour voir le directeur.
- Je vais le voir directement pour lui donner le message, me répondit-elle.
- Merci.
Il ne reste plus qu'à attendre... encore.
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Le deuxième chapitre tant attendu... il en se passe pas grand chose mais il nous permet de faire connaissance avec Lucas. Qu'en pensez-vous?
Chapitre corrigé le 9/10/18
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