Chapitre 18 - Mise au point


Point de vue d'Audrey

«Mon Audrey,

Je ne sais pas pourquoi je commence comme ça mais c'est de cette manière là que je te vois. Tu es et seras toujours mon Audrey, peu importe où la vie nous mènera.

Je suis assez distant ces derniers jours et je m'en excuse. Comme tu l'as sans doute compris je ne suis pas ce type d'homme qui aime rester oisif toute la journée. Je n'attends qu'une chose, pouvoir être sur mes deux jambes. Ne te méprends pas, j'adore être au centre, les gens sont géniaux mais ce n'est pas moi. Ma place est auprès de mes frères d'armes, pas dans un fauteuil roulant à faire la causette.

Je repense sans arrêt à l'incident qui m'a amené ici et je me morfonds de plus en plus. Même dans mes rêves ça me poursuit. Je n'ai plus dormi de nuit complète depuis des jours, rongé par la colère. Je ne t'ai jamais raconté ce qu'il s'est passé et tu ne peux donc pas comprendre mon envie de retourner là-bas pour abattre ces cinglés.

Nous étions six: Tom, John, Bruno, Thierry, Nicolas et moi. Nous étions partis faire un tour du périmètre quand quelque chose a attiré notre attention. Nous étions aveuglés par le soleil et nous ne pouvions voir qu'une forme sur le sol. Plus nous nous approchions et plus le tas grossissait. Nous avons fini par voir un amas de tissus et avons vite compris que c'était un être humain qui gisait sur le sable. Il s'agissait en fait d'un enfant qui était recroquevillé. Bruno s'est accroupi près de lui pour s'apercevoir que le garçon était mort d'une balle en plein cœur. Nous étions sous le choc mais pas assez pour ne pas nous rendre compte qu'une voiture approchait. Nous n'avions pas d'endroit où nous cacher, nous étions pris au piège et c'est là-dessus qu'ils comptaient. Nous nous sommes regroupés dos à dos en armant nos fusils. L'air était étouffant, la transpiration dégoulinait sur nos visages, nos gorges étaient asséchées et la peur, oui la peur nous tenait mais nous étions soudés, entraînés et prêts à faire face. Ils étaient deux, nous étions plus nombreux qu'eux. Nous aurions donc dû avoir l'avantage et nous l'avions, jusqu'à ce que le premier ouvre sa veste et nous montre une ceinture d'explosifs. Le temps de nous remettre de la surprise, il avait attrapé Nicolas et le tenait en joue. J'ai vu la peur dans ses yeux, pas la peur d'être face à ces tarés mais celle de ne plus voir sa famille, sa femme, sa fille et de perdre la vie. Il avait tant à perdre et moi je n'avais rien. Je ne pouvais pas les laisser le tuer sans réagir. J'ai fait ce que mon instinct me dictait et me suis jeté sur lui avant que l'autre ne le touche. Je lui ai servi de bouclier humain lorsque l'enfoiré s'est fait exploser.

Ce serait à refaire, je recommencerais. À ceci près que maintenant, je t'ai toi. Tu comptes énormément pour moi et je ne veux pas te perdre. Pour tout te dire, je deviens même accro à nos conversations. Ce que nous vivons là-bas n'est pas facile et je me rends compte que si à l'avenir nous devenons plus que des amis, je devrais te laisser derrière moi en sachant que mon retour n'est pas garanti. Je m'avance beaucoup concernant notre relation, j'en ai bien conscience mais j'avais besoin de te dire les choses comme elles le sont et pas enjolivées. Je veux que tu saches dans quoi tu mets les pieds ma belle.

Je ne veux pas te faire souffrir, au contraire, tu as déjà eu ton lot de souffrance pour plusieurs années. Si après la lecture de cette lettre, tu as envie de couper les ponts, je le comprendrais aisément et ne t'en voudrais en aucun cas.

Comme je le disais plus haut, peu importe où nos chemins nous mènent, te rencontrer est et restera le plus beau cadeau que la vie m'ait donné. Quoi qu'il se passe, je veux que tu retrouves et gardes ton sourire ma chérie. Tu es quelqu'un qui mérite d'être connu Audrey. Promets-moi de tout faire pour t'en sortir et vivre la vie que tu aurais dû avoir depuis longtemps.

Lucas»

Des gouttes tombent sur le papier, laissant des traces sur l'encre, dégoulinant sur certains mots. Si j'étais saine d'esprit, j'arrêterais ici et je l'oublierais. Mais qui a dit que je l'étais? Je savais depuis le début qu'il retournerait sur le front, il ne fait que me le confirmer. J'apprécie qu'il pense à mon bonheur au point de mettre le sien de côté mais qu'il ne compte pas sur moi pour le laisser tomber. Je ne peux pas rester comme ça sans rien faire après cette lettre. Comment pourrais-je y répondre de toute façon? Les mots ne seraient pas assez forts pour lui décrire ce que je ressens et je sens dans mes tripes qu'il a besoin de moi en ce moment. Je regarde ma montre et constate qu'il me reste encore un peu de temps avant d'aller chercher Sylvie chez Mireille. Je vais l'utiliser à bon escient. Tant pis si les visites ne sont pas possibles, ce n'est pas ça qui va m'arrêter.

Après une bonne heure à chercher, je suis enfin garée. Sous une pluie battante, je sors et cours jusqu'à l'entrée. J'arrive à l'accueil trempée comme une souche mais je m'en moque. Je demande à parler à un responsable et quelques minutes plus tard un homme vient jusqu'à moi.

- Bonjour, je suis Julien, directeur de ce centre. Vous avez demandé à me voir?

- Bonjour, dis-je en lui serrant la main. Je suis Audrey Vincent. J'aurais aimé rendre visite à Lucas Simons.

- Normalement les résidents ne reçoivent pas de visite.

- Je sais mais je devais venir le voir. Je sais qu'il a besoin de moi. Il était là pour moi quand j'en ai eu besoin.

- Ne seriez-vous pas la personne chez qui il s'est rendu l'autre soir par hasard?

- Si c'est bien moi, dis-je gênée.

- Je vais vous conduire jusqu'à sa chambre, suivez-moi.

- Merci. Je ne resterai pas longtemps, je vous le promets.

Il me conduit et me laisse devant sa porte. Je frappe avant d'entrer et le trouve dans son fauteuil, face à la fenêtre. Perdu dans ses pensées, il n'a pas l'air de m'avoir entendu. Je dépose mes affaires, m'approche et mets mes mains sur ses épaules.

- Sandy, tu sais que je ne veux voir personne, me dit-il.

Je ne sais pas qui est cette Sandy mais une pointe de jalousie fait son apparition.

- Même moi? lui murmurais-je.

Surpris, il se retourne et me regarde comme si j'étais un fantôme.

- Audrey?

- à moins que j'ai un sosie, c'est bien moi.

- Que fais-tu ici? me demande-t-il complètement abasourdi.

- Je suis venue te voir. Chacun son tour, lui dis-je avec un sourire.

- Mais...

- Tu pensais vraiment que j'allais couper les ponts? Comment peux-tu croire une chose pareille?

- Ce serait plus facile...

- Plus facile pour qui? Cela fait des mois qu'on correspond, rien ne serait facile. Tu n'es pas le seul à éprouver des sentiments.

- Audrey...

- Je savais dès le départ que l'armée faisait partie de toi et que ta vocation est de défendre les autres au péril de ta vie. Tu en as besoin autant que l'air que tu respires.

- Je ne veux pas que tu souffres à cause de moi ma belle. Je ne le supporterais pas.

- La vie est faite d'épreuves en tout genre. Laisse-moi choisir les miennes tu veux. Je préfère connaître un peu de bonheur avec toi, quitte à en souffrir plus tard, que de ne pas tenter l'expérience et être malheureuse pour le restant de mes jours de ne pas avoir essayé.

- Tu es sûre de toi?

- Oui, je suis certaine de mon choix. De toute manière, tu ne me feras pas changer d'avis.

Le silence qui s'en suit est lourd de non-dit. Qu'est-ce ça veut dire pour la suite de notre histoire? Où en sommes-nous? Je crois que nous avons encore plus de questions qu'au départ, ce qui n'est pas peu dire.

- Alors c'est ici que tu dors? dis-je en regardant la chambre d'un peu plus près.

- Oui, j'ai pas à me plaindre.

- C'est un peu vide quand même.

- J'ai l'essentiel: un lit, une table, des chaises et même une télévision pour quand je m'ennuie.

- Tu n'as pas envie de personnaliser un peu?

- Je ne compte pas m'éterniser, me dit-il en haussant les épaules comme s'il s'en moquait.

- Dis-moi ce qu'il se passe...

- Tout va bien.

- Et la vérité?

Il soupire, hésitant entre me parler et faire semblant. Il a dû trancher puisque, après un autre soupir, il commence à m'expliquer ses pensées, ses rêves ou plutôt ses cauchemars, ses peurs.

- Nicolas est venu me voir.

- Celui que tu as sauvé?

- Ouais... il revenait seulement de mission. Ça m'a fait du bien de parler avec lui. C'est ce qui m'a permis de mettre mes sentiments au clair.

- Tes sentiments?

- Envers ce qu'il s'est passé et surtout envers toi. Ce que je ressens pour toi m'effraie Audrey. Je n'ai jamais ressenti ça avant et pourtant on ne se connaît vraiment que via nos lettres et conversations téléphoniques.

- J'en suis au même point que toi, dis-je dans un soupire. Je suis tout autant perdue et effrayée. Mon existence est en train de changer du tout au tout. Les fondements sur lesquels je me basais s'écroulent les uns après les autres. Ce que je croyais acquis ne l'est pas et ce que je croyais ne jamais trouvé est là, sous mes yeux. La trahison de Tom, le soutien d'Olivier et Geoffrey et enfin, toi.

- J'admets que ça fait beaucoup en même temps. On se ressemble tous les deux tu ne trouves pas? Deux personnes blessées par la vie qui se trouvent par hasard. Si on m'avait expliqué ça il y a quelques mois, je ne l'aurais jamais cru. Et pourtant tu es bel et bien près de moi en ce moment.

- Qu'est-ce que ça veut dire? Je veux dire... nous. Rien n'est rationnel entre nous.

- Ça a beau ne pas être rationnel, ça existe. Par contre, je ne sais pas du tout ce que ça veut dire ni où ça va nous mener.

- On va dire que nous sommes... amis?

- Pour l'instant en tout cas. Je ne crois pas que nous soyons près ni l'un ni l'autre pour autre chose.

- Tu as raison, mon «ami».

Cette conversation m'émeut plus que de raison mais je dois me reprendre. Quand je vois l'heure affichée sur le réveil, je me rends compte qu'il est temps pour moi de partir, à mon grand regret.

- Je dois m'en aller. J'ai un rendez-vous que je ne peux pas manquer mais compte sur moi pour ne pas te lâcher.

À la mention de ce rendez-vous, il se crispe légèrement ce qui me fait sourire.

- Pourquoi tu souris?

- Serais-tu jaloux?

- Je ne vois pas de quoi tu parles, nie-t-il en haussant les épaules.

- Rassure-toi, mon rendez-vous à 5 ans. Je revois ma fille pour la première fois depuis que Tom et moi sommes séparés, lui répondis-je en souriant.

- C'est bien, me dit-il, soulagé. Profites-en bien. Tu me raconteras tout dans ta prochaine lettre...

- Oui, je n'y manquerai pas. Au revoir Lucas, mon Lucas, murmurais-je.

Je pensais avoir été discrète mais au vu de son regard qui pétille, il a dû l'entendre.

- Au revoir mon Audrey.

Quittant sa chambre, je tombe sur le directeur qui me regarde avec un grand sourire.

- Vous partez déjà?

- Oui, quelqu'un m'attend. Merci de m'avoir laissé le voir.

- Il en avait besoin.

Sur un petit signe de la main, je rejoins ma voiture et démarre, toute excitée à l'idée de revoir l'amour de ma vie, Sylvie.

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Leur relation avance lentement mais ils commencent à se rendre compte à quel point ils tiennent l'un à l'autre. Rassurez-vous, ce n'est pas la fin de l'histoire, loin de là. J'ai encore pas mal de surprises pour ces deux-là ;-).

Vos avis??

Chapitre corrigé le 11/10/18

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