Chapitre 10 - Amis?
Point de vue de Audrey
Pourquoi je ne parviens pas à réagir? Je suis en train de crever à petit feu dans un monde où ma place n'est nulle part. Je me retrouve encore une fois en train de pleurer seule comme une conne dans cet appartement dans lequel j'étouffe. L'envie de hurler ma douleur au monde entier me déchire les entrailles mais qu'en a à faire le monde? Pourquoi se soucierait-il d'une chose aussi insignifiante alors que mes proches s'en moquent complètement? Les personnes qui sont censées m'aimer, me protéger et qui au contraire m'enfoncent un peu plus à chaque minute. Je n'en peux plus.
Ce soir Tom et Sylvie sont partis à un repas organisé pour l'anniversaire de ma belle-mère... sans moi. Devant ma surprise de les voir partir alors que je préparais à dîner, il a daigné m'expliquer où ils allaient et m'a demandé si je voulais venir. Autrement dit, comprenez: «Je te le demande parce que tu es là mais j'en n'ai rien à faire que tu viennes ou pas, d'ailleurs tu n'es pas prévue». Demandé si gentiment, je ne pouvais que refuser. Pour me sentir de trop toute la soirée, hors de question. Ils sont donc partis me laissant là avec mes casseroles et la nourriture en train de cuire. De rage, j'ai tout balancé à la poubelle et tout ce qui était sur la table a été éjecté par terre, cassant en mille morceaux les saladiers en verre.
C'est fini, c'était la goutte de trop. J'hésite un peu mais finalement, je téléphone à Olivier.
- Allo
- Olivier? C'est moi... Audrey
- Tout va bien? Tu as une voix bizarre.
- Oui, enfin... non, dis-je entre deux reniflements. Je pourrais venir quelques jours chez toi?
- Évidemment, mais qu'est-ce qu'il se passe? C'est encore Tom, c'est ça?
- ...
Incapable de répondre, je laisse mes sanglots éclater. Il va finir par se dire que je ne fais que pleurer.
- Audrey? Calme-toi d'accord? Je suis en congé ce soir, je passe te prendre. Donne-moi ton adresse.
J'arrive tant bien que mal à la lui donner et raccroche après l'avoir remercié. Prenant le chemin de la chambre, je prends un sac et y fourre tout le nécessaire pour quelques jours. Une quinzaine de minutes plus tard, Olivier sonne déjà à ma porte. Cette dernière à peine ouverte, je tombe dans ses bras, incapable de prononcer le moindre mot. Il me serre fort et dépose son menton sur ma tête. Nous restons ainsi quelques minutes, le temps de me calmer.
- Tu veux en parler maintenant?
- Non, c'est trop douloureux. J'aimerais quitter cet endroit le plus vite possible.
- Comme tu veux. Tu as préparé quelques affaires?
J'acquiesce et lui montre mon sac qu'il se dépêche d'attraper.
- Je peux le prendre tu sais.
- Je sais mais autant que je serve à quelque chose, me dit-il en me faisant un clin d'œil. Prête?
Je regarde autour de moi: les dégâts de la cuisine, l'appartement devenu ma prison. Après une bonne inspiration, je ferme les yeux
- Oui, emmène-moi loin s'il te plaît.
- Très bien, allons-y, me dit-il en me faisant signe d'avancer et en me poussant dans le bas du dos de sa main libre.
Le trajet se fait dans le silence le plus complet mais ça ne me dérange pas. C'est apaisant après le moment que je viens de passer. Je me sens en sécurité à ses côtés ce qui me permet de relâcher la pression accumulée ces derniers temps. Au bout d'une vingtaine de minutes, nous nous garons devant son immeuble. Olivier ouvre la marche et appelle l'ascenseur. Une fois dans son appartement, il dépose mon sac au pied du divan et prend ma veste.
- Installe-toi. Tu veux quelque chose à boire?
- Je veux bien un verre d'eau s'il te plaît.
Je m'assieds et plie mes jambes en-dessous de moi en l'attendant. Je suis plongée dans mes pensées quand il me tend la boisson.
- Merci, lui dis-je après avoir bu une gorgée.
Il se cale dans l'autre coin du canapé et ouvre son bras pour m'inviter à me blottir contre lui, ce que je m'empresse de faire. La sensation est douce et une impression de bien-être s'empare de moi. Ça ne me fait cependant pas le même effet que quand je pense à Lucas, c'est différent, moins intense, plus comme une caresse et aussi un peu plus réel. Il frotte mon bras de haut en bas tout doucement sans qu'une seule parole ne soit échangée. Je suis d'ailleurs sur le point de m'endormir, vaincue par les émotions trop fortes des dernières heures.
- Tu te sens capable de m'expliquer?
- ...
- Tu ne peux pas tout garder pour toi Audrey. Ça va t'exploser au visage si tu continues et je n'ai pas envie de te retrouver comme la dernière fois.
Il a raison, si je ne dis rien à personne, je vais éclater. Je ne suis pas sûre que quelqu'un pourra m'empêcher de faire une bêtise, j'ai atteint le point de non-retour. Je passe donc les dix minutes suivantes à lui expliquer la situation et lui passe son temps à m'écouter et à me tendre la boîte de mouchoirs.
- Tu as bien fait de m'appeler. Tu ne peux plus rester comme ça ma belle ou tu vas finir à la morgue.
- Pour ce que ça changerait, murmurais-je.
- Je t'interdis de dire une connerie pareille. Des gens tiennent à toi et moi le premier. Ôte-moi ces mots de ta bouche, t'as compris?
- Comme tu veux, soupirais-je.
Il raffermit son étreinte et me caresse les cheveux tant et si bien que, confortablement installée dans la chaleur de ses bras, le sommeil me gagne après quelques minutes.
Une délicieuse odeur de pain perdu vient me titiller les narines, me faisant ouvrir les yeux. Complètement perdue, je ne reconnais pas tout de suite l'endroit où je me trouve jusqu'à ce que tout me revienne en mémoire. Tom. Sylvie. Le repas. Olivier. Je m'étire et me lève laissant mes pensées sombres le plus loin possible.
- Coucou, lui dis-je en arrivant près de lui. Tu fais du pain perdu pour le dîner?
- Je dirais plutôt pour le petit-déjeuner ma belle, me dit-il en riant.
Voyant mon incompréhension, il me montre l'horloge qui indique 7:00 du matin.
- J'ai dormi tout ce temps? lui demandais-je complètement éberluée.
- Je n'ai pas voulu te réveiller tu avais besoin de repos.
- Je suis désolée, je n'ai pas été de très bonne compagnie hier soir.
- Pour une fois que j'ai une femme dans mes bras qui ne m'abrutit pas de paroles, me dit-il en riant, je ne vais pas me plaindre. Installe-toi, il te faut des forces si tu veux tenir la journée.
- Ça me fait bizarre de ne pas être derrière les fourneaux. D'habitude c'est Tom et Sylvie qui sont assis à ne rien faire.
- Et bien profites-en un peu. Aller, mange tant que c'est chaud.
- Oui papa, dis-je en souriant. Mmm c'est délicieux. Qui t'a appris à cuisiner?
- Faire du pain perdu n'est pas de la grande cuisine tu sais? En fait, j'ai appris sur le tas, ma mère n'était pas un cordon bleu et la plupart du temps elle faisait brûler le repas. Du coup, je n'ai pas eu d'autre choix que de m'y mettre si je voulais que mon frère et moi mangions autre chose que de la chair brûlée, me dit-il avec un sourire nostalgique.
- Vous êtes combien dans ta famille?
- Et bien, j'ai un frère qui a deux ans de moins que moi et ma mère. Mon père s'est barré à la naissance de Tonio.
- Je suis désolée, pour ton père je veux dire.
- Je m'y suis fait, me dit-il en haussant les épaules. C'est plus dur pour mon frère qui croit que c'est de sa faute si notre géniteur est parti.
- Un bébé ne peut pas être responsable des actes d'un adulte quand même.
- Je sais et il le sait aussi mais ça ne l'empêche pas de culpabiliser.
- Je peux te poser une question indiscrète?
- Tu peux toujours la poser mais rien ne m'oblige à y répondre, me dit-il en riant.
- C'est vrai... Tu as quel âge?
- 24 ans pourquoi?
- Tu parais tellement mûr alors que tu es plus jeune que moi finalement.
- Ah bon, tu as quel âge?
- 26 ans.
- Tant que ça, me dit-il ébahi. Tu es une vieille dis-moi.
- C'est ça moque-toi de moi, lui dis-je en lui donnant une tape sur l'épaule.
Nous nous regardons pendant quelques secondes avant d'éclater de rire. Qu'est-ce que ça fait du bien!
- Bon, je ne veux pas te presser mais je suppose que tu vas travailler aujourd'hui.
- Oui tu as raison, je vais me préparer. Il y a un arrêt de bus dans le coin?
- Pourquoi tu veux le savoir?
- Il faut bien que je me rende à l'hôpital et ma voiture est restée chez moi je te rappelle.
- Pas besoin de bus, tu as devant toi ton chauffeur attitré du jour, me dit-il en faisant semblant de soulever une casquette et de faire une courbette. On ira chercher ta voiture tout à l'heure.
- Qu'est-ce que je ferais sans toi? Merci.
Je m'approche de lui et l'embrasse sur la joue avant de filer me changer. Une demi-heure plus tard, j'arrive au bureau mais les filles du service me regardent bizarrement. Je n'ai pourtant rien qui change de d'habitude. Je les salue et me rends dans mon bureau. Je reste scotchée sur place, un magnifique bouquet de fleurs multicolores est installé sur ma table. Je retourne à l'entrée pour interroger les autres, il doit y avoir une erreur.
- Heu, les filles, il y a un bouquet sur ma table, il y a sûrement une erreur de destinataire.
- Non non, la carte spécifiait bien ton nom.
Je comprends mieux leur attitude maintenant et je dois dire que ma tête doit être pareille à la leur. Je n'ai jamais reçu de bouquet et dire que je tombe des nues est un euphémisme. Je retourne d'où je viens et observe le bouquet avec un peu plus d'intérêt. Je ne sais pas qui me l'envoie mais ce sont mes fleurs préférées et cet ensemble de couleurs est simplement sublime. En cherchant la carte une petite voix dans mon cœur espère que c'est Tom l'expéditeur mais je me reprends bien vite, je n'ai plus rien à attendre de lui.
Après avoir trouvé la carte, je regarde ce qui y est écrit et y voit un mot suivi d'un numéro de téléphone:
«La vie est remplie de joie si nous savons où regarder. Lucas»
C'est donc lui l'expéditeur. Je ne sais pas comment il a fait mais ce bouquet arrive pile au bon moment. Rien d'autre n'est écrit, juste son numéro. Il me laisse le choix de l'appeler ou non. Ça veut dire qu'il veut plus. Ce sera en effet notre premier contact depuis que nous nous écrivons. Je vais me laisser le temps de la réflexion car c'est quand même un grand pas. De plus, je vois une lettre au-dessus du courrier qui ne peut être que de lui. Je la prends et m'installe confortablement, mon travail peut bien attendre cinq minutes de plus.
«Audrey, mon Audrey,
Le choc me laisse sans voix, sans mot. J'ai eu du mal à me remettre les idées en place après la lecture de ta dernière lettre et en toute franchise, je ne savais pas ce que j'allais pouvoir te répondre.
Pourquoi m'imaginer ta disparition me fait autant souffrir? Ne trouves-tu pas ça bizarre qu'après si peu de contact, ma vie sans toi me paraisse impossible? Ne nous fais pas ça. Ne me fais pas ça, je t'en supplie. Si l'armée est essentielle à mon équilibre, tu m'es aussi indispensable que l'air que je respire. Ne laisse pas cet imbécile gagner. Il ne sait pas ce qu'il perd mais moi si. J'ai beau ne te connaître que depuis peu de temps, je sais ce que tu vaux et j'ai envie de continuer à découvrir la femme que tu es. Laisse-moi juste du temps. Tu ne peux pas savoir la rage qui m'habite de te savoir si mal alors que je ne peux bouger d'ici. Je mets toutes mes forces dans la rééducation mais il me faudra quelques semaines, voir mois avant de pouvoir te rejoindre. Promets-moi de m'attendre.
Je suis heureux que ton ami se soit trouvé au bon endroit au bon moment. Je dois avouer que je suis un peu jaloux de ne pas avoir été à sa place pour te prendre dans mes bras. Le connais-tu depuis longtemps? N'est-il vraiment qu'un ami pour toi? Je sais, je me mêle de ce qui ne me regarde pas mais c'est plus fort que moi, cette distance me tue. Le pire dans tout ça, c'est que je n'ai aucun droit de réagir comme ça. Je ne suis pas ton compagnon et peut-être ne le serais-je jamais mais j'espère être au moins ton ami. Je garde l'espoir de représenter quelque chose à tes yeux, peu importe mon rôle tant que je suis auprès de toi.
As-tu reçu mon bouquet? Je ne voulais pas de roses, elles sont devenues beaucoup trop communes tandis que les fleurs des champs te correspondent parfaitement. Leur simplicité et leurs couleurs me font penser à toi. Je t'imagine un jour de printemps, assise au milieu d'un champs rempli de ces dernières, le soleil qui ferait briller tes cheveux et le vent qui répandrait une très légère brise.
La vie vaut la peine d'être vécue quand on est avec la bonne personne. Ne baisse pas les bras, tu trouveras ton bonheur où qu'il soit.
Mon numéro de téléphone est inscrit sur la carte, dans le bouquet. À toi de voir si tu veux m'appeler et ainsi passer un cap ou si tu préfères attendre encore un peu. La balle est dans ton camp.
Lucas».
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J'espère ne pas vous avoir fait attendre trop longtemps. Audrey qui s'en va, Olivier qui se rapproche d'elle, Lucas qui se dévoile un peu plus... La suite vous plaît?
Chapitre corrigé le 9/10/18
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