Wilfred
25 Avril 2023
J'ai besoin d'écrire. C'est pour ça que j'écris, j'ai besoin de jeter mes pensées sur le papier.
C'est tellement dur parfois. Je voudrais revenir à avant. Quand on était en sixième, que tout allait bien, que les amourettes étaient une blague.
Maintenant... J'ai quinze ans. Je suis en troisième. Et j'ai l'impression de mourir chaque fois que je mets les pieds au collège.
Ils me détestent. Tous, ou presque. Je ne veux pas que quelqu'un trouve cette lettre et me prenne en pitié. Je n'ai pas besoin de pitié... À la rigueur d'aide. Mais surtout que quelqu'un leur explique que je ne suis pas un monstre et que je n'ai pas choisi.
Mes parents l'ont accepté, avec difficulté certes, parce que la religion désapprouve, mais ils ont compris et ils m'aiment, eux au moins.
Je suis gay. Je ne peux pas dire « et alors ? » d'un ton joyeux et décontracté, mais pour moi, ça ne définit pas qui je suis et ce n'est qu'un détail.
Ça ne serait qu'un détail si les garçons le toléraient...
Mais c'était quoi mon idée en faisant mon coming-out à Matthias ?! Je l'ai fait en début de quatrième, et... J'aurais dû m'y attendre. Ses parents sont affreusement fermés d'esprit et vivent encore au Moyen-Âge. Et malheureusement, une telle éducation ne s'efface que difficilement.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que celui qui était mon meilleur ami d'alors a extrêmement mal réagi. Pendant deux semaines, il a refusé de me parler. Puis il est revenu me voir, je crois qu'il n'avait pas conscience d'à quel point son regard dur et la grimace qu'il arborait étaient blessants. J'ai compris avant qu'il n'ouvre la bouche. Ses mots sont gravés dans mon esprit à jamais. « J'peux pas rester ami avec quelqu'un comme toi ». Et quelques insultes.
Deux semaines.
Il avait lutté deux semaines contre les préjugés et les bêtises inculqués par ses idiots de parents, mais c'était encore trop fort, et ça avait vaincu nos quatre années d'amitié. Et tué tout autre sentiment que j'avais pu développer pour lui. Un cœur brisé et une amitié gâchée... Si seulement j'avais appris de l'erreur.
Les autres amis, auxquels j'ai parlé ensuite, pour expliquer son départ, pour libérer les larmes qui brouillaient mon regard... Ça a été pareil, voire pire. D'un groupe de dix amis proches en septembre 2021, je me suis retrouvé complètement isolé à la Toussaint.
Et en décembre, je voulais mourir.
Les autres du collège étaient encore plus stupides. Quelle idée de faire un coming-out dans un collège catholique assez petit pour que tout le monde soit très vite au courant, dans une des zones les plus conservatrices du pays !
Je sais que c'est Matthias qui m'a trahi. Qui n'a pas pu retenir ses préjugés et qui a tout révélé. Transformé ma vie en enfer.
Avec leurs idées, leurs jalousies, leurs craintes, leur haine, ils me sont progressivement tombés dessus. D'abord par une stratégie d'évitement, personne ne me parlait et si je leur adressais la parole, ils n'entendaient pas, ou répondaient par des grimaces.
Puis, un peu avant les vacances de février, ils sont passés aux insultes. Des petits mots méchants, cruels, rabaissants, me dévalorisant sur tous les domaines, m'interdisant de faire ce que je voulais, me pétrifiant de leurs regards inquisiteurs. Répandant des rumeurs criminelles à mon propos.
Ça a duré jusqu'à fin mai, où ils ont commencé à être plus violents. Les mots courraient toujours, mais certains ont ajouté une violence physique, me lançant des bouts de papiers roulés en projectiles, faisant disparaître momentanément certaines de mes affaires.
J'ai cru que j'allais devenir fou.
Le pire est que les professeurs n'en avaient absolument rien à faire. J'en ai parlé à mon prof principal de quatrième, il a dit que je me faisais des idées, que mon niveau scolaire les agaçait sans doute, que je n'avais pas à m'inquiéter. Bien sûr je ne lui ai pas dit pourquoi il m'en voulait. On était déjà le vingt juin, il ne restait plus que deux semaines avant les grandes vacances. Je devais faire avec, les adultes ne m'aideraient pas, j'avais compris.
Pendant l'été, j'ai réfléchi avec mes parents à des solutions, des réponses. On a fait des exercices de confiance en soi, ils m'ont aidé à me blinder, pour que leurs mots cessent de m'atteindre, pour que je ne les crois plus, pour que je sache. Heureusement pour moi, j'ai de très bons parents.
Mais dès septembre dernier, ça a été le retour en enfer.
Insultes.
Mépris.
Rejet.
Grimaces.
Vols.
Et des coups de temps à autres, si j'avais l'idée stupide de me placer hors du regard des profs.
Mon regard se perd dans les champs autour de la maison. J'aime l'endroit où j'habite, même si j'ai quasiment deux heures de trajet pour aller au collège. Au moins la distance décourage ces pseudos-caïds qui ne viennent pas me chercher. J'ai lu des témoignages où les gens disaient avoir été suivis, que leurs harceleurs venaient jusque chez eux... Tellement flippants, heureusement que les crétins de l'école font pas ça.
Je dois avouer que cette année c'est plus facile.
Grâce aux exercices avec mes parents.
Grâce à mes amis en ligne, des gens absolument géniaux, de tous les genres, toutes les orientations, tous les niveaux sociaux, de tout le pays et même de plus loin.
Grâce à l'habitude, aussi.
Et grâce au soutien de ma prof de français. Elle, elle me croie et elle me protège. Elle a tenté plusieurs fois de les arrêter, mais ils n'écoutent pas. Au moins elle essaie.
Et grâce à la peinture et au dessin, j'arrive à retrouver le bonheur, une échappatoire. Laisser mon âme s'exprimer dans les couleurs ou leur absence est devenu comme une seconde nature, et j'en suis heureux.
Et j'avais raison, écrire m'a vraiment libéré l'esprit et apaisé. Je peux retourner au combat maintenant.
Au revoir,
Wilfred Sivan.
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