vagues bleus éphémères
17.11.24
Dis-moi David,
Comment est-ce que je peux faire pour supporter cette frustration constante, le sentiment qui serpente chaque pensée et m'effraie à chaque coin de rue, savoir que la vie ne sera jamais assez ? How can I deal with the Devil?
J'essaie de tromper l'ennui, mais je ne peux pas me tromper moi-même. Tout me laisse distant·e, au mieux une légère chaleur et un sourire. I crave for poetic intensity. Je m'épuise à chercher cette gifle, ce coup de poing en plein dans la gueule, cette morsure du Vivant, mais l'instinct, le sentiment que je n'aurai jamais le cœur perforé et les os brisés a grandi tant et tant qu'il s'est imposé. Il est la seule vérité que j'aurai jamais su. Je n'ai jamais eu mieux que de vagues bleus éphémères. Alors chaque soir, je hurle et me démène, je mets la vie au défi, je lui gueule de faire mieux, que c'est une putain d'incapable. Mais rien. Il n'y a que l'écho qui me répond. Les murs sur lesquels mes cris se heurtent sont ceux d'une geôle mentale.
Enfin. Ce n'est pas moi qui fais ça. C'est mon idéal qui cherche à correspondre à une norme. La vérité, c'est que si je pouvais échapper à toute émotion profonde de façon définitive, je le ferais. Je voue une haine infinie à tout type de stimuli social.
Ironique quand on sait que mes curseurs sensoriels ont été déréglés dès ma naissance. Quand la lassitude se moque, mes jambes dansent, je fais tourner mes bagues jusqu'à la démangeaison et pince mes lèvres jusqu'à enfin sentir que mon corps m'appartient ; mais à l'inverse, il suffit d'un peu trop de monde, de mouvement, de lumière, d'espace, de B R U I T, pour qu'un tsunami me submerge et que tout s'effondre dans ma tête. Je ne peux éviter le beaucoup trop et le vraiment pas assez qu'en étant seul·e, et encore, parfois, le bruit dans ma tête devient B R U I T et ça ne m'amène que des insomnies. Mon cerveau, mon si brillant cerveau, mon putain de cerveau a de si grosses difficultés avec la nuance émotionnelle. Soit tout est fait, trié et organisé mille fois plus vite que tous les autres, soit rien n'est filtré et alors j'entends chaque bruit, chaque conversation distinctement et c'est trop, je sens cette implosion dans mes entrailles. C'est probablement la raison qui fait que je ne suis bon·ne que dans l'art et les trucs intellectuels et que je ne pige rien aux interactions sociales.
En-dehors des cours, je ne sors presque jamais de chez moi. Je ne le fais que par absolue nécessité. Mes rares ami·es, pour dire la vérité, je ne les vois que rarement, et à chaque fois, je dois me préparer psychologiquement, et j'y mets une quantité d'énergie de dingue. Vraiment. Juste être dans un environnement multi-sonore, avec d'autres gens, avec du mouvement, je dois fournir un investissement qui me laisse explosé·e dès que je reviens dans mon cocon. Tu sais, le fait de t'écrire des lettres, c'est pour faire semblant d'avoir un contact. Social c'est trop de galères, imaginaire je n'ai à m'adapter qu'à moi-même et c'est déjà suffisamment chiant. J'analyse tout et tout le temps. Il n'y a jamais de pause. Je m'observe sans cesse de l'extérieur, dans mon intériorité impénétrable, je déteste avoir une conscience si absolue des choses et en même temps être si inapte et inadapté·e. Mais bon. Je suis plus à un paradoxe près, David.
J'ai trop d'empathie, tellement que je m'oublie, et pourtant je déteste les gens. Vraiment, David, quand je vois la façon dont les autres relationnent, quand je vois la façon dont sont représentées les amitiés dans la fiction, ça m'a l'air si irréel. Si beau, si plein de chaleur. Pourquoi même mes amitiés sont sources d'une si grande fatigue ? Mais même mes ami·es, je ne les laisse pas s'approcher près de mon cœur. La vérité c'est que je n'ai jamais laissé personne s'en approcher. Je n'y arrive pas, et je n'ai aucun attrait pour l'idée même ; pire, de l'incrédulité et du dégoût. C'est probablement encore cette barrière de verre, ce truc que je ne sais même pas comment nommer qui me rend fantôme, qui m'empêche d'avoir accès au monde et à la vie. Et en même temps, ai-je envie d'y avoir accès ? De tout ce que j'en vois, ce monde se dirige chaque jour un peu plus vers le paroxysme de l'absurde et la Terre est foulée par des marionnettes qui se complaisent dans leur inhumanité.
Il y a des gens que j'aime, mais ils ne sont pas nombreux. Je ne vois pas l'intérêt d'en découvrir davantage. Je ne me heurte à chaque fois qu'à de la déception, au mieux ; et une espèce étrangère, au pire. Mais pas une espèce étrangère intéressante, non. De l'ennui. Et paradoxalement, tu fais partie de ces gens, David. Moi aussi, j'en fais partie, dans une certaine mesure. Rien de ce que je dis n'a de sens. Je ne me comprends pas moi-même. David, es-tu là ?
Je ne parle en termes grandioses et extatiques que pour me convaincre que je ressens encore des choses autres que de la lassitude, mais la vérité, c'est que ça fait des mois que je n'ai pas versé de larme alors que j'ai passé des années à ne plus pouvoir arrêter les cascades. Tout ça me semble si lointain. Comme si j'avais vécu la vie de quelqu'un·e d'autre tout ce temps. Je n'ai pas tant de souvenirs que ça de mon passé, tu sais. Comme si je n'étais pas moi, et qu'enfin, en moi, je suis lucide. Comme si ça avait si peu d'intérêt de me rappeler de ce que j'ai vécu. Parce que je ne suis pas vraiment d'ici. Je n'ai pas de racines. Des repères et des habitudes, mais pas de racines. Rien que d'occasionnels vagues bleus éphémères sur lesquels je n'arrive même pas à appuyer. Je ne le veux pas vraiment, au fond.
My mind's a town and my town's a total mess.
À bientôt David,
quelqu'un·e
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