ralentir le temps
09.11.24
Salut David,
Tu sais ce qui me permet de me raccrocher au monde ? L'écriture. Étrange à dire, plus étrange encore même à concevoir, mais c'est la seule façon que j'ai trouvée pour ralentir un peu le temps. Je suis trop effrayé·e par les drogues pour m'autoriser à y toucher. Elles sont l'échappatoire si parfait que j'y tomberais aveuglément, et la chute serait sans fin, sans fond, je ne m'heurterais qu'à leur fatalité. Et j'ai pas vraiment envie de crever d'une addiction ou d'un cancer des poumons, David. Quitte à chercher à m'échapper de la réalité, autant crever d'un trop-plein d'art.
Ce soir, j'ai repris l'écriture d'un roman après quatorze mois sans y toucher. Quatorze mois sans vraiment écrire, mis à part quelques mauvais poèmes pleins de noirceur ou de tentatives ratées d'échappatoire, seuls remparts contre la réalité dans des moments d'effondrement. Au fil de ces quatorze mois, les raisons pour lesquelles je n'arrivais plus à toucher de stylo ou de clavier pour aller explorer mes mondes intérieurs ont varié.
D'abord, c'était la découverte d'un nouvel environnement, d'un nouveau rythme, de nouvelles personnes ; ça a dévoré chaque miette d'énergie. Puis rapidement, l'amour m'a embarqué dans sa valse endiablée. L'amour ? Pas vraiment. L'aveuglement stupide, le manque de respect, les mensonges et la manipulation émotionnelle ? Plutôt, oui. Cette fois-ci, ce fut chaque miette de temps qui a été engloutie. Plus une seconde pour moi-même ne restait. Plus une seconde pour laisser vivre mes histoires. Ensuite, quand tout a explosé en plein vol, la blessure de la prise de conscience a été si violente que tout a été vidé ; ne restait que l'impossibilité, l'incapacité d'esquisser un seul putain de mot. Les ondes de l'art traversaient le vide sans trouver de murs auxquels se heurter. Plus tard, j'ai eu besoin de rester loin de tout, et de reconstruire morceau par morceau la structure de mes certitudes. Quelques remous m'ont de nouveau arraché·e aux lettres, mais j'ai pris le temps de me mettre à l'abri et de rassembler mon courage.
En définitive, me revoilà. Je peux de nouveau faire vivre mes histoires. Je peux enfin ralentir le temps. Je peux enfin recommencer à rêver. Après m'être perdu·e, je peux être de nouveau moi.
Qu'est-ce que ça veut vraiment dire, au fond ? Dans les mots, j'appellerais ça poétiquement, je suis un mélange entre la substance noire des textes d'Emily Dickinson, de la folie d'Aladin Sane, de la rage qui gronde et du ridicule mordant. Je ne crois pas aux âmes, mais si j'en avais une, elle serait un peu cabossée sous cette armure impénétrable dont j'ai perdu la clé. Seule l'écriture permet de ne pas m'y enfermer. La retrouver après quatorze mois à ne pas trouver le courage de l'aborder vraiment m'a fait l'effet d'une douce délivrance.
Je peux maintenant danser jusqu'à en perdre haleine, me laisser porter par la musique, suivre enfin les infos de près et me laisser bouffer par l'angoisse, faire des doigts d'honneur au passé et lui cracher à la gueule avec fierté. Je peux enfin recommencer à écrire. Je peux enfin recommencer à vivre. Peut-être cela apaisera-t-il le fantôme ? Rien n'a jamais pu le tuer et me tirer sur Terre, mais l'écriture le faisait paraître plus doux. Je t'en parlerai bientôt.
David, dis-moi, la musique rendait-elle ton monde plus doux ? J'en doute un peu. Les artistes dans ton genre m'ont toujours paru si maudits. Qu'est-ce qui faisait ralentir ton temps ? Quelle était la substance qui faisait paraître les couleurs plus vives ?
Dis-moi, David, qu'est-ce qui t'a sauvé ?
À une prochaine fois j'imagine,
quelqu'un·e
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