Lettre au ciel


* Queensbay: centre pour ados où se situe le narrateur, endroit fictif et inventé

     «Vers sept heures, l'île leur apparut, une bande olivâtre comprimée par la ligne
d'horizon». Ainsi commence mon livre préféré. C'est un peu facile de commencer une lettre aussi complexe par une phrase aussi disproportionnée que celle-ci, mais que veux-tu. Je suis comme ça. J'ai besoins d'extérioriser ce désordre qui vrille entre lez parois de mon crâne. Je sais, je suis bizarre. On me l'as déjà dit trop souvent. C'est une des raisons pour lesquelles je me retrouve à t'écrire. J'aurais pu écrire à Arthus ou à Phileane. Mais non, j'ai décidé de t'écrire à toi. Pour plusieurs raisons d'ailleurs, mais ce n'est pas le sujet. Tu verras au cours de cette lettre.
    Ça me coute un énorme effort de prendre cette feuille, ce stylo et surtout mon courage entre les mains et de tout retranscrire sur le papier. Alors je ne te promets pas d'écrire quelque chose de beau, quelque chose de poétique, mais je te promets d'écrire quelque chose de vrais. Quelque chose qui viens de plus profond de moi même. Je ne connais pas les règles de l'écriture, mais je pense que pour écrire avec son coeur il faut savoir oublier les règles. C'est un nouvel exercice. Tu sais,à  Queensbay*, beaucoup de choses ont changées. C'est peut-être à cause de toi d'ailleurs. Arthus est parti au Mexique vivre avec sa tante. Ça s'est fait comme ça, en une semaine. Il faut dire qu'il a toujours été organisé. Ils doivent avoir ça dans le sang dans sa famille. On ne s'est pas parlé, il ne m'a pas prévenu. C'est Myriam qui me l'as dit. Tu sais cette grande asperge qui veut toujours avoir raison. Juste le fait que ce soit elle qui me l'ai annoncé et pas Arthus était vexant. J'ai essayé de lui adresser la parole mais tu sais comment il est... Il a filé avec sa bande de racailles avant que je ne puisses sortir un seul mot.
    C'est une des choses qui a changé. Ensuite il y a Phileane. Elle est devenue encore plus fragile qu'elle ne l'était avant. Comme du papier de verre. Je ne sais pas si c'est à cause de toi, à caise d'Arthus, à cause de tout ce qui s'est passé ou à cause de tout ce quo ne s'est pas passé. Au fond je ne la connais pas si bien que ça...
On s'est un peu rapprochés. Mais ne t'imagines rien. C'est juste que la douleur est plus facile à porter à deux. Surtout ce genre de douleur. Celle qui t'empêche de dormir, qui te pousse à en finir mais qui en même temps te force à ne pas le faire. Celle qui te saisis les tripes et te déchire le cœur comme on déchire un vulgaire bout de tissus. Cette douleur, nous la connaissons trop bien.
   T'as changé des choses tu sais? Où que tu sois, j'espère que de là où tu es, tu observe lez dégâts que tu as commis en te demandant ce que tu as fait et en regrettant tout amèrement.
   Je t'en veux tu sais...Je sais c'est idiot. Tu n'y es pour rien, ce n'étais pas t décision si tu as dûs tout laisser derrière toi. Mais vois-tu, je n'arrive pas à me défaire de l'idée que c'était prévu...Peut-être parce que tu me manques...
   Oui, c'est ça, tu me manques atrocement, horriblement et tous les autres synonymes pour dire beaucoup. Tout me manques chez toi. Ta façon de rejeter tes cheveux en arrière comme le font les filles dans les publicités, ta manière de marcher à la fois sûre de toi et en même temps comme si un coup de vent pouvait te renverser. Ton regard si froid à en glacer les cœurs les plus tendres, ton obsession pour les choses interdites, ta manie de hausser le sourcil droit quand tu réfléchis. Tout ces petits détails chez toi me manquent.
   Voilà c'est dit, c'est fait, passons à la suite. Je n'aime pas parler de ce que je ressens. Encore une raison pourquoi je t'écris. Mes souvenirs me hantent sans relâche et je flotte quelque part entre le tout et le rien. Tout ressentir ou rien du tout. Prendre chaque détail à la lettre ou ne rien écouter et juste se murer dans le silence.
   Je n'en peux plus. J'ai l'impression de ne vivre plus pour rien. Tu te rappelles quand on a fait le mur ensembles pour la première fois ? J'avais tellement peur que je tremblait de partout. Toi tu semblais parfaitement sereine. Il faut dire que s'échapper de Queensbay n'est pas une mince affaire, mais toi rien ne t'arrêtes quand tu es lancée. Nous étions allées au centre ville à une sorte de soirée où tout le monde semblait se connaître. C'était la première fois. Je crois que cette soirée là, j'ai battu mon record de "première fois" en 24h. Première fois que je faisais le mur, première soirée, première fois que je dansais à en avoir des ampoules aux pieds. Toi tu semblais t'y connaître.
   C'est là bas que j'ai rencontré Arthus. Lui aussi s'était enfuit. Vous étiez ensembles à l'époque. Je n'ais jamais connu le motif de votre séparation. De toute façon l'amour à notre âge ça ne dure pas longtemps. Les adultes le disent tout le temps. Mais si on y réfléchis, la moitié de ce qu'ils disent est tiré de leurs propres expériences...Madame Brel te disait tout le temps de ranger tes clopes, d'arrêter de fumer dans le bâtiment, de ne pas jeter ta cendre sur le sol. Elle a eu un cancer du poumon. Je crois que tu n'as jamais écouté ce qu'elle t'as dis. On parlait de toi comme étant l'indomptable, l'éblouissante, l'intouchable Dakota Brown. Tout le monde te connaissait, et maintenant que tu n'es plus ici, tout le monde te connais encore plus.
    Les personnes qui ne te connaissaient qu'a peine se retrouvent à raconter tes péripéties dans toit Queensbay en faisant comme si vois étiez les meilleurs amis du monde. Ton statut Facebook se retrouve bombardé de messages d'amour et d'affection venant de toute part. Et moi au dehors, regardant la vague d'admiration s'abattre sur toi, alors que tu es loin. Si loin que cette vague ne pourra jamais t'atteindre.
   Il y a eu cette période où je suis arrivé à Queensbay, mon estime de moi était au plus bas. Je ne sais même pas si je t'ai déjà raconté la cause pour laquelle je suis arrivé ici. Arthus a été battu par son père, Phileane était bloquée dans son mutisme, et moi, je n'avais pas de cause particulière. Je me sentais juste différent. Je crois qu'on s'est tous déjà sentis différent des autres, un peu...exceptionnel j'oserais même dire... Je me sentais différent mais les autres de mon âge m'ont bien fait comprendre que c'était le cas. C'est bien facile de rabaisser un gars qui ne parle pas, ne se défend pas, ne montre pas ses émotions... Si je suis arrivé ici, c'est parce que je n'avais pas d'amis, parce que ma vie sociale était à peu près aussi vaste que le Sahara.
   Puis tu es arrivée avec tes tongs en plastique et tes ongles vernis. Les yeux des autres étaient rivés sur toi. Ils l'étaient parce que tu étais différente. Tu avais ce truc. Ce truc qui attire les autres à venir vers toi. Tu parlais à Arthus, il te vouait toute l'attention qu'il est possible de vouer à quiconque, et tu es venue me voir. «Tu veux venir au Quonts ce soir?». Je n'ais pas sus quoi répondre et je me suis simplement noyé dans le bleu profond de tes yeux. J'y suis resté accroché. Arthus a ouvert la bouche pour me lancer une quelconque parole acerbe mais tu l'en a empêché. «Je te montrerais, rdv à 23h devant le refectoire.»
    Je n'avais plus le choix. Je devais venir avec toi. Pas seulement parce que tu ne m'avais pas laissé d'autres possibilités, mais parce que je devais te revoir. Je devais revoir la fille aux tongs et aux yeux aussi profonds que l'océan.
    Toi aussi tu étais différente. Nous étions différents de la même manière que le sel et le poivre, l'huile et l'eau, le chaud et le froid. J'étais tout le monde et tu étais personne. Tu n'étais comme personne mais tu étais mon "tout le monde". Et pour toi je n'étais personne. J'étais ce gard blond qui s'habille toujours en noir, qui a toujours les yeux dans le vague et qui ne faisait jamais les exercices de Madame Brel correctement. Tu étais mon total opposé. Tu étais fascinante, j'étais banal, tu étais indomptable, j'étais sage. Tu étais l'ouragan, j'étais la brise. Et quand tu es partie, je suis devenue "tout le monde". Même Jacob est venu me consoler. Tu sais, le grand, chef de l'équipe de basket que tout le monde aime parce qu'il est beau.
    Toi aussi tu étais belle. Avec tes cheveux bruns et épais, légèrement ondulés qui tombaient en cascade sur tes épaules osseuses. Tes yeux océans, séparés par ton long nez fin. Les autres filles ne t'arrivaient pas à la cheville, mais cela ne t'intéressais pas. Tu brillais sans éteindre les autres. Mais ta véritable beauté c'était le rouge de tes yeux quand tu sortais des toilettes, tes ongles rongés par l'anxiété, les traces de ton mascara qui coulait, le long de tes joues anguleuses, l'éclat de tristesse dans ton rire cristallin. Ça s'était la Dakota Brown que je connaissais. Une source de tristesse infinie, noyée dans un océan d'alcool, de fumée, de fêtes et de toutes ces choses normalement interdites. Mais tu disais toujours que «les choses interdites le sont juste quand on se fait prendre». Et je pense que c'est ça qui m'a donné le courage de briser la glace qui m'entourait. C'est toi qui m'a donné ce courage. Un courage dont je ne connaissais pas l'existence et que tu as éveillé en moi.
    Alors voilà, maintenant tu sais, tu sais tout ce que je ne t'ai pas dis, tout ce que tu ne sauras jamais car là où tu es tu ne sauras jamais rien, ou peut-être que dans les étoiles tu pourras lire ce qu'il se passe ici sur terre.
    Hier nous sommes retournés sur ta tombe avec Arthus et Phileane. Celle-ci a pleuré. Arthus se retenait. Et moi, j'ai décidé de t'envoyer cette lettre au ciel, là où tu planes et où tu nous regardes mener notre petite vie insignifiante.
    T'es importante pour moi. Tu étais ma première amie. Et tu nous a quitté. Comme ça  du jour au lendemain. Tu es partie avec ta petite coccinelle noire et tu ne reviendras jamais de ce voyage vers l'inconnu. Arthus pense que c'était un suicide alors que Phileane est persuadée qu'il ne s'agit que d'un simple accident.
    Quant-à moi, encore une fois je regarde le plafond de ma chambre, en me demandant où j'en suis dans cette vie.

À bientôt peut-être

Bastien

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