Un morceau de ma vie

   

    Théo,

    Tu dois te demander pourquoi en plein XXIe siècle, et à notre âge, au lieu de recevoir un SMS, tu reçois une lettre manuscrite. La vérité, c'est que je bouillonne depuis la soirée à la fête de fin d'année. Mon cerveau est en ébullition et j'ai besoin de tout sortir et de m'exprimer. Un message ne serait pas suffisant pour t'expliquer ma réaction quand tu as essayé de m'embrasser.

    Cela ne s'est passé qu'il y a à peine une semaine, et je trouve que les choses sont devenues un peu bizarres entre nous. Nous sommes amis depuis longtemps, mais depuis vendredi dernier, ce silence entre nous devient perturbant et douloureux pour moi. Nous ne nous appelons presque plus, et quand nous le faisons, c'est pour dire des banalités, comme si rien ne s'était passé.

    Hier, nous nous sommes revus, par hasard, et j'ai été incapable de te regarder en face. Nous nous sommes dit au revoir, presque immédiatement. Comme si le sol sous nos pieds était une mer de lave prête à nous brûler. J'avoue en être le seul responsable, parce que j'avais envie de me cacher en te voyant. Mes jambes tremblaient et j'ai eu l'impression de manquer d'air. Tu sais que j'ai toujours été un peu timide et peu sociable, mais j'aurais pû prendre mon courage à deux mains et te parler sans faux semblants de cette soirée-là.

    Alors je veux te demander pardon.

    J'étais assis seul dans le coin de la salle quand tu t'es approché de moi. Je me souviens de la chaleur de ta paume quand tu l'as posée sur ma joue et de la douceur de tes lèvres quand elles ont frôlé les miennes. Je te jure que la dernière chose que je voulais était de faire un bond en arrière et de te regarder d'un air abasourdi. Presque dégoûté. J'ai été stupide. Je le voulais ce baiser. C'est la vérité. Et j'ai aimé que tu m'embrasses.

    Bien sûr, tu as pensé le contraire et tu t'es éloigné, honteux, après t'être excusé. Tu n'avais pas à t'excuser. Je sais que tout ce que je te dis n'a pas beaucoup de sens après la réaction impardonnable que j'ai eue. Alors, je veux que tu saches que je ne t'ai pas rendu ce baiser parce que je n'ai jamais embrassé personne. Je sais, c'est ridicule, mais c'est la vérité. 

    Tu dois te demander : comment un jeune adulte de 23 ans peut-il n'avoir jamais reçu ou donné un baiser ? Tout simplement, parce que je n'ai jamais dit à qui que ce soit que j'étais gay. Non, je ne l'ai jamais fait. Même si nous n'en avons jamais parlé, je pense que toi, tu l'avais deviné. Je suspectais que tu l'étais aussi, car après 4 années de cohabitation quasi quotidienne, et être devenus les meilleurs amis, je le sentais.

    Plusieurs fois, j'ai voulu aborder le sujet avec toi, mais j'avais honte. Peur, surtout. Je ne suis jamais sorti du placard dans lequel je me suis enfermé. J'ai mis beaucoup de temps à m'accepter moi-même. Tu sais que mes parents ne sont pas amusants, encore moins compréhensifs, même si c'est ce que l'on attend des personnes qui se vantent d'être de fervents religieux et qui parlent toujours d'aimer leur prochain. En fait, ils sont très conservateurs. Ou devrais-je dire homophobes. C'est le bon mot.

    J'ai passé toutes ces d'années à occulter ce que je suis. Enterré cette part de moi dans ce que j'ai de plus profond. Peut-être ne me comprendras-tu pas, mais nous vivons dans une société qui nous encourage à réprimer notre sexualité avant même de la reconnaître nous-mêmes. Avant même d'avoir compris ce qu'elle signifie. Nous naissons déjà à l'intérieur d'un placard, dans le ventre d'une société qui est toujours homophobe et qui nous déteste pour ce que nous sommes avant même d'avoir pû le découvrir nous-mêmes. On nous apprend depuis tout petits à nous détester. Alors, quand j'ai compris que j'étais homosexuel, je me suis détesté. Rien d'étonnant à ce qu'il y ait toujours autant de gens enfermés dans leur placard. Des réprimés, dont certains arrivent à l'âge adulte sans jamais avoir embrassé personne.

    Je fais partie de ceux-là.

    Je n'en ai jamais eu l'occasion, en fait. Enfin, si, mais c'était toujours avec des filles. Les gens s'imaginent qu'on ne peut pas savoir si l'on est gay avant d'avoir embrassé une femme ou couché avec elle. Et pourtant, la réponse est simple, même si certains ne peuvent pas le comprendre. Moi je n'ai jamais été attiré de cette manière par les filles. Même pas pour un baiser. Cela ne rabaisse pas les femmes à mes yeux pour autant, et cela ne signifie pas non plus qu'il y ait chez moi quelque chose de tronqué ou d'anormal.

    Tu sais, quand tu es auprès d'une personne qui t'attire et auprès de laquelle tu te sens bien, tu as l'esprit léger. Tu te sens libre, comme un bateau à voile qui glisse doucement poussé par le vent. C'est euphorisant et émouvant à la fois. Comme une force invisible et magnétique qui t'aimante. Tu as envie de l'embrasser. Ton corps entre en irruption, perd le contrôle, comme s'il se réveillait après une longue période d'hibernation.

    Là, tu te sens enfin vivant.

    Chaque fois que je me suis senti comme ça, c'était avec des garçons.

    Tu sais ce qu'est de ressentir tout ça sans le laisser sortir ? C'est pire encore de le ressentir en pensant que c'est mauvais. Une anomalie que tu dois sectionner à la racine avant d'y mettre le feu.

    Que faire quand tu cherches ces racines en toi et que tu t'aperçois qu'elles courent comme du chiendent partout à l'intérieur de toi ? Quelles envahissent ton âme, ton esprit, et sont ancrées dans ton corps entier ?

    T'accepter ou immoler ta propre vie ?

    Si tu savais combien d'amours sont nés et morts en silence à l'intérieur de moi... Assez pour me faire sentir mal et me mettre en morceaux. Il paraît que l'amour est quelque chose de puissant et de merveilleux, capable de soulever des montagnes. Réprimer l'amour et ma sexualité est comme porter un couteau à l'intérieur de moi qui sectionne un peu plus chaque jour une partie de mon âme. Je tue ma personnalité, mes envies et mon bonheur. Je me sens comme un bouton de rose qui s'étiole et fane avant d'avoir eu le temps de s'ouvrir.

    Quand j'ai compris ce que j'étais, j'ai commencé à avoir peur et j'ai fait mon possible pour le cacher. Je vis constamment en état de vigilance. Je fais attention à la façon dont je bouge mes mains, à ma manière de marcher, de parler et de m'habiller de peur que les autres se doutent de quelque chose. Qu'ils puissent interpréter dans le plus petit détail que je suis gay et me lancent des pierres de haine. Chaque jour, chaque matin, quand je me lève, je sors de mon placard pour enfiler un autre camouflage. Celui qui me recouvre comme une seconde peau. Un masque, qui me permet de jouer la comédie. Cette carapace me protège des préjudices que les autres peuvent me causer, mais elle étouffe mon essence, ma vraie personnalité. Je n'ai même pas eu d'adolescence et c'est dur de vivre en interprétant un personnage sans pouvoir être soi-même. Avec le temps, cette cuirasse a adhéré tellement à ma peau qu'il m'est difficile de la séparer de la part qui m'appartient réellement, celle que j'essaye de dissimuler.

    Petit à petit, mon âme se consume derrière ces déguisements.

    Le jour où j'ai compris, d'où venait mon mal être, j'ai eu peur. Peur d'être haï, rejeté. Peur d'être vu comme un animal bizarre, une immondice, un pervers pêcheur et démoniaque. Peur d'être traité comme ça par mes propres parents. C'est horrible de se rendre compte que les personnes qui disent t'aimer et que tu aimes en retour détestent ce que tu es sans même le savoir.

    Je sais que la plupart des gays ont peur d'en parler à leur famille, et cela ne m'étonne pas. Beaucoup d'entre nous vivent une vie de mensonge et de solitude intérieure en se cachant. Certains restent ainsi toute leur vie pour ne pas être humiliés, diminués et rabaissés par ceux qui sont supposés les aimer les protéger du reste du monde et les accepter. D'autres sortent du placard et vivent un véritable enfer. Si nous rencontrons autant de haine dans le cercle familial, tu sais ce qu'il se passe à l'extérieur. Les agressions, les moqueries, les thérapies de conversion, les meurtres, et même les viols que la plupart d'entre nous n'osent même pas dénoncer. Même la justice nous tourne le dos. Alors qu'allons-nous devenir si ça ne change pas ?

    Mes parents n'ont jamais caché leur homophobie. Si un homme se comporte différemment du concept qu'ils ont du "macho", ils se sentent le droit de l'offenser, de le juger et de le rabaisser. Une simple photo de deux hommes se tenant la main suffit pour qu'ils verbalisent des insultes. Comme si la simple union de ces deux mains était radioactive et capable de détruire l'humanité.

    Parfois, c'est pour moins que ça. Simplement un homme sensible, émotif ou un peu efféminé suffit à alimenter leur haine. C'est incroyable comme être empathique, extraverti, joyeux ou expressif deviennent des caractéristiques qui te cataloguent aux yeux de mes parents. Je crois que pour eux, un homme doit être dur, fort et insensible, comme si l'arrogance et la virilité étaient des trophées ou un témoignage de masculinité.

    Mais il n'y a pas que ça qui me fait cacher mon homosexualité. C'est aussi à cause de mon oncle Lillian, le frère de mon père. Quand il a fait son coming out à la famille, j'avais 11 ans. Il était divorcé et avait un enfant.

    C'était mon oncle préféré, quelqu'un de très important pour moi, attentionné, gentil et présent dans ma vie. Une personne qui te donnait envie de sourire. Quand il arrivait, le dimanche, il plaisantait, mettait l'ambiance et tout le monde rigolait. Il m'a appris à faire du vélo et à jouer du piano. Parce que j'étais si proche de lui et encore trop naïf, j'ai été, je crois, le seul à m'apercevoir que derrière ses sourires se cachaient beaucoup de peine et de détresse Il paraît que les enfants captent des choses que les autres ne voient pas.

    Le sourire était là, mais ses yeux brillaient à peine. Parfois, je le trouvais immobile, assis sous la terrasse, distant, comme absent de son corps. Son regard se perdait vers l'horizon, comme s'il admirait quelque chose au-delà de ce que nos yeux pouvaient voir. Il fumait, perdu dans ses pensées.

    C'était une coquille vide.

    Mes parents parlaient de son divorce en disant, que comme c'était lui qui avait demandé la séparation, sa déprime ne pouvait pas venir de là. Il a passé des années à subir son angoisse en silence. Un jour, sans raison apparente, tout a changé. Il semblait enthousiaste par quelque chose qui devint un mystère et qu'il promit de nous divulguer très vite. Nous étions contents, il semblait s'être injecté une dose d'adrénaline. Il mangeait mieux, discutait à table et chantonnait même, quand il fumait sa cigarette. Quand il souriait, ses yeux brillaient à nouveau. J'aime me souvenir de lui de cette façon, avant que tout ne change d'un coup.

    Ce jour-là, ce fut comme si une bombe avait explosé à l'intérieur de la maison. J'étais dans ma chambre quand j'entendis mon père rugir de colère et le bruit des meubles qui se fracassaient par terre. J'ai couru dans le couloir, le cœur au bord des lèvres pour voir mon père traîner mon oncle hors de la maison, le tirant par la chemise et le maudissant de toutes sortes d'adjectifs répugnants et dégradants.

    Jamais je n'oublierai les yeux atterrés et brouillés de larmes de Lillian ni l'expression de tristesse et de douleur sur son visage. Jamais je n'oublierai le regard furieux et haineux de mon père. Une expression que je ne lui avais jamais vue de ma vie alors qu'il serrait son frère par le cou pour le jeter dehors devant la porte. J'ai essayé de sortir, mais ma mère m'a claqué le battant au nez. Alors je suis allé à la fenêtre et j'ai vu cette scène horrible.

    Dehors, mon père lui lançait des insultes en criant. Lui disant qu'il était une honte pour la famille et qu'il brûlerait en enfer. Il lui a dit aussi de ne jamais remettre les pieds dans notre maison et de ne plus approcher sa famille pour ne pas nous contaminer de sa vie de libertinage et de péché.

    Quand les voisins sont sortis de leurs maisons, certains ont demandé si mon oncle était un voleur qui essayait de nous cambrioler. Moi, depuis ma fenêtre, j'essayais de comprendre ce qu'il avait bien pu faire pour être pris pour un délinquant et avoir réveillé autant de haine de la part de mon père. "C'est un pédé qui aime donner son cul aux hommes ! " c'est la réponse que mon père a gueulée aux curieux. Je me souviens des voisins qui murmuraient en regardant mon oncle avec mépris. Certains sont rentrés chez eux, d'autres souriaient.

    Je ne me suis jamais senti aussi angoissé, terrorisé et impuissant que ce jour-là. J'aurai voulu que ce soit un simple cauchemar, mais c'était bien réel. Je souhaitais que la terre m'engloutisse, que le monde s'arrête, n'importe quoi qui fasse que cette scène horrible s'arrête. Mais j'ai tout vu. Mon père transformé en animal, alors que mon oncle s'enfonçait dans la tristesse, et les voisins qui acceptaient sans broncher cette humiliation. 

    J'aurai préféré disparaître qu'avoir vu ça.

    Mon père est rentré à la maison, laissant mon oncle Lillian pleurer au milieu du quartier. Je me souviens du regard qu'il m'a lancé à travers la fenêtre le visage déformé de  tristesse, de honte et d'humiliation. Il m'a balbutié des paroles, mais sa voix était étranglée par les sanglots. Je n'ai jamais su ce qu'il avait voulu me dire. Quand mon père claqua la porte en la refermant, j'ai couru vers lui pour lui demander en toute innocence qu'est-ce que Lillian avait fait. Il m'a attrapé par la mâchoire, la serrant fort pour m'obliger à le regarder. Les yeux révulsés de haine, il m'a répondu : "ton oncle est un gros dégueulasse de pédé qui va bruler en enfer avec les autres".

    Je n'ai jamais revu mon oncle. Tous les dimanches je l'attendais devant la même fenêtre espérant qu'il apparaîtrait, mais il n'est jamais revenu. Il est mort l'année suivante d'une façon tellement horrible et misérable que je ne veux pas te commenter ça ici. J'ai appris plus tard que mon père avait payé l'enterrement, mais qu'il avait refusé de le faire passer par l'église. Pas de messe, pas de prières... Comme s'il n'avait jamais existé.

    Quand je suis entré au lycée, j'ai pu enfin aller au cimetière en cachette, sans savoir où chercher sa tombe. Il m'a fallu des heures pour la trouver. Je suis enfin arrivé devant sa sépulture, et j'ai pleuré. C'était une tombe minuscule, sale, en friche et abandonnée, perdue entre deux plus grandes qui, elles étaient largement fleuries. Pas de photo. Aucune phrase commémorative. Pas de plaque. Seulement son nom sur une croix de bois abîmée par le temps et les intempéries, sa date de naissance et de décès. Cela aurait pu être la tombe de n'importe quel SDF inconnu et sans famille qui reposait là. Mais c'était celle de mon oncle.

    Ce n'est plus une sépulture abandonnée. Avec mes maigres moyens, je la fleuris aussi souvent que je le peux et je ratisse les mauvaises herbes. Peut-être qu'un jour j'aurai les moyens de lui offrir une pierre tombale. Quelque chose de digne, ne serait-ce que pour lui montrer que tout le monde ne l'a pas abandonné et que je pense à lui.

    Il y a tant de choses que j'aurai voulu lui dire... Parfois, je rêve que je le prends dans mes bras et lui répète inlassablement, que moi, je ne l'aurai pas rejeté. Que je l'aimais tel qu'il était. Et que je suis moi aussi comme lui. Quelle douleur de ne pas pouvoir lui dire, que malgré la haine de notre famille, je l'aurai soutenu, peu importe les conséquences et qu'il aurait dû rester et se battre, parce qu'il aurait pû être heureux. Quelle douleur de ne pas avoir eu l'occasion de lui dire que je suis fier de lui et le remercier enfin pour les instants de bonheur qu'il m'a donnés.

   J'ai eu si peur d'avoir la même vie que lui, Théo. Une vie entière de mensonges. De refréner mon besoin d'aimer, d'être heureux et libre. Chaque jour qui passe, je redoute de m'entraver un peu plus dans les chaînes de cette fausse normalité qui est la mienne et imposée par mes parents.

    Mais j'ai un plan !

    Je ne vais pas attendre d'avoir 38 ans comme mon oncle pour sortir à la lumière et déployer mes ailes. Tu sais que mon stage se passe bien et que mon chef veut me faire un contrat dès le prochain trimestre. Dès ma sortie de l'université, dans six mois, je serais indépendant financièrement. Je vais chercher un studio pour m'installer, et j'avouerai mon homosexualité à mes parents. Je m'ouvrirai à l'amour, à la vie, comme chaque être humain a le droit de le faire. Malgré tout, je sais qu'une tempête horrible se profile à l'horizon mais j'aime à penser que j'avance vers l'arc en ciel qui se dresse au-dessus des nuages.

    Malgré tout ça, tu dois te demander pourquoi je n'ai pas essayé d'avoir une expérience affective ou simplement sexuelle en cachette. Je t'avoue que j'ai téléchargé deux applications de rencontres que je regarde pendant des heures parfois. Ce n'est pas l'envie qui m'a manqué de sauter le pas, mais je suis trop timide, et je me sens bizarre à mon âge de n'avoir jamais eu une seule relation. Je suis paumé, comme un poisson hors de l'eau.

    J'ai honte de mon inexpérience et je ne veux pas décevoir la personne qui sera prête à accepter d'avoir un rendez-vous avec moi. Je ne veux pas lui imposer les sacrifices dont je suis contraint pour quelque temps encore. Vivre dans le secret et le mensonge. Ça me tuerait qu'il passe par des moments pareils à cause de moi.

Pire, parfois je pense que je ne suis pas digne d'être aimé. Quand on passe toute sa vie à entendre que les gays sont des pervers et des être immoraux, on perd la confiance en soi, envers les autres et en une possible relation sincère. Il se dit que nous ne recherchons que des coups d'un soir, sporadiques, sans attaches, comme si nous étions des animaux en rut incapables d'aimer et d'avoir de l'affection. Ils sont tellement dans l'erreur.

    Moi, j'aimerais tellement poser ma tête sur la poitrine de l'homme que j'aimerais après une longue journée de travail. Respirer son parfum alors qu'il me caresserait. J'aimerais lui parler de choses qui nous feraient sourire. Poser mes lèvres sur les siennes. Entrelacer ses doigts avec les miens. Le regarder dans les yeux et me sentir en paix. Je veux me sentir aimé, vraiment aimé.

    Se sentir désiré par celui que l'on aime doit être la plus belle caresse que l'on peut recevoir. Une caresse à l'intérieur de l'âme, une étreinte qui enveloppe le cœur, le corps et l'esprit. Je veux soupirer de bonheur en ressentant cela. Je veux me sentir empli et à la fois si léger que je pourrais m'envoler avec le vent.

    Je pense que si la société ne nous empêchait pas de vivre librement, sans entraves, sans nous repousser ni nous menacer, peut-être que beaucoup d'entre nous chercheraient plus que quelques rencontres furtives. Mais aujourd'hui encore, avoir une relation gay est comme une étiquette sur le dos. Et comme si je n'étais pas suffisamment paranoïaque, l'amour pour moi est un grand inconnu. J'ai peur que ce sentiment finisse par me faire mal, qu'il me mastique et me recrache. Un monstre déguisé qui ferait tomber mes illusions dans un piège. J'ai peur d'aimer, d'être rejeté, incompris, pas accepté. Peur de m'ouvrir et ne rester que moi-même. Insuffisant. Peur d'être crucifié, humilié, diminué, blessé et de n'être rien pour personne.

    Théo, je ne veux pas que tu penses que tu m'as fais ressentir tout cela et que c'est pour ça que je ne t'ai pas rendu le baiser. Ni que je t'utilise comme tampon émotionnel, en mettant tous mes espoirs et mes douleurs sur tes épaules. Si je te raconte tout ça, c'est parce qu'avec toi je me suis toujours senti léger et compris, sans avoir honte de dire ce que je pense. Tu as toujours été cet ami fidèle, sincère qui a pris soin de moi.

    J'ai fichu en l'air mon premier baiser. Il aurait pu être tellement plus beau et spécial, parce que justement, c'était notre premier baiser. J'espère ne pas avoir ruiné la chance que tu m'as donnée et je comprendrais si tu ne veux pas avoir à faire à moi. Quelqu'un d'aussi inexpérimenté que moi et qui trimballe autant de casseroles à quoi je te servirais ? Tout ce que je sais, c'est que depuis une semaine, ma vie est encore plus triste et sans couleur.

    Je crois que j'ai terminé, mais avant, je voulais que tu saches que tu n'as pas à avoir honte de ce qu'il s'est passé. Que je te suis infiniment reconnaissant de t'avoir dans ma vie et que je te demande pardon d'être aussi bête et intraverti.

    Quand tu liras cette lettre, je serais en train de penser à toi. Ton rire me manque, ton incapacité à feindre que tu apprécies ce que tu n'aimes pas, aussi. Même tes chaussettes dépareillées je les aime et la façon de passer tes mains dans tes cheveux lorsque tu réfléchis. Tu me plais beaucoup, et j'aimerais t'embrasser si tu m'en laisses la chance. Si tu ne me la donnes pas, je me sentirais privilégié de garder un ami aussi incroyable que toi.

    J'espère que tu pourras me répondre quand tu en auras le temps. J'espère que tu ne vis pas les mêmes choses que moi. Mais si c'est le cas, je suis là pour t'écouter, tu le sais.

    J'attendrais, Théo. Parce que je pense à toi jour et nuit.

    Merci de m'avoir permis de me sentir si spécial.

        Ton ami Dylan. 

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