21 Décembre
Je ne lui montrai pas la Vallée des Flocons, ou l'allée des Jouets et des Guimauves. Rien n'aurait pu la convaincre d'aimer Noël et surtout d'apprendre à maitriser son don. Rien sinon mon expérience.
Et c'est ainsi que je la laissais entrer dans mes souvenirs.
Il faut savoir que cette manipulation n'est utilisée qu'en dernier recours et qu'elle est terriblement désagréable à vivre. Imaginez une petite fourmi vous grimpe dans le cerveau et chatouille vos méninges. Vous voyez ? Et bien maintenant, multipliez cette impression par mille et vous ne sentirez qu'un centième de ce que j'ai vécu ce jour-là.
Avec d'infimes précautions, je tirais sur un fil noir, parsemé de petites touches de doré. Il faut savoir qu'un esprit est délimité entre différentes zones colorées chacune reliée par des fils. Le noir était bien entendu la couleur de la tristesse et du désespoir...
Un feu de cheminée, des montagnes de cadeaux et une petite fille cachée derrière un canapé, ses menottes pressées sur ses oreilles pour étouffer le bruit. Le bruit, ce bruit. Le bruit des pensées de toutes les personnes de la pièce en ce matin du 25 décembre. Les yeux fermés et concentrée, elle tenta sans succès de les balayer. Cependant, elles se faisaient plus intenses, plus pressantes chaque année. Chaque matin de Noël.
La petite fille ne comprenait pas pourquoi les autres adoraient cette fête. Pour elle, elle était synonyme de douleur et de peur. Car oui, qui ne serait pas effrayé d'entendre les pensées des adultes ? D'entendre la déception de certains enfants devant leurs cadeaux ?
Un son se fit plus sourd, plus puissant. En retenant les larmes qui menaçaient de couleur, la petite fille s'enfuit du salon en laissant derrière elle les membres de sa famille qui s'émerveillaient.
Une fois dehors, elle laissa l'air frais caresser son visage et sécher ses larmes. Le sourire lui revint et elle se laissa aller. Assise à même le sol, près d'une boite aux lettres rouillée où l'on distinguait en prêtant attention « Gurlhenmeyer ». C'est à ce moment précis qu'elle l'entendit. Le fameux « hohoho » du gros bonhomme rouge. Pourtant, personne ne se trouvait à ses côtés, personne n'était présent. Elle était seule. Un carillon retentit et cette fois, elle s'évapora.
Bam. Elle atterrit violemment sur le parquet vermoulu d'un bureau. Hébétée, elle se releva lentement en prenant soin de ne pas tomber. Quand elle eut enfin fini, ce qu'elle vit la sidéra. Des petits lutins couraient dans tous les sens, agitant leurs grelots. Des flocons de neige virevoltaient avec grâce dans la pièce et le Père Noël la regardait avec des yeux emplis de bonheur. Jamais personne ne l'avait regardé avec autant de bienveillance. Elle aurait dû être surprise de le voir, lui, alors que ses parents prônaient sa non-existence. Mais au plus profond de son cœur, elle savait qu'il était réel.
Ce fut là qu'elle remarqua le calme. Ni bruits ni cris n'agressaient ses oreilles. Elle n'avait plus mal, ne se sentait plus si monstrueuse. Elle se sentait à sa place. Une partie d'elle avait deviné qu'elle était différente depuis longtemps. L'autre s'était voilée la face et avait continué à vivre. Mais elle n'en pouvait plus. Plus de se battre contre celle qu'elle était. Devant le Père Noël, elle comprit. Elle comprit qu'elle serait plus qu'une fillette de sept ans qui courait pour s'acheter une glace. Elle avait un avenir. Un rôle à jouer et un jeu peut-être, ses parents seraient fiers de voir celle qu'elle était devenue.
Elle n'avait pas peur. La terreur s'était envolée. Là, au village de Noël, elle s'était enfin rendue compte de qui elle était.
Pas une humaine, pas une humaine. Elle s'appelait Noé et elle était l'elfe des souhaits. Et elle serait la meilleure.
En moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, nous fumes de retour dans ce que l'on appelle l'instant présent. Dans la chambre d'Aline qui me parut bien plus sombre que dans mon souvenir.
J'inspirais à fond, occultant toutes mes préoccupations pour me concentrer sur Aline.
La jeune fille me dévisageait. Je savais parfaitement qu'elle superposait l'image de l'enfant chétive, aux cheveux noirs tels l'ébène à la personne qui se tenait là. Moi. Noé.
Différente physiquement sans doute mais mon cœur, mon essence même était restée la même. Quand elle prit la parole, sa voix se coupa :
« Alors, toi aussi tu étais comme moi ?
-Oui, j'avais à peine sept ans quand je suis partie rejoindre Le Pôle Nord.
-Mais, tes parents, ta vie ? Ta famille ? Comment as-tu pu les quitter ? Tu me demandes de faire comme toi, de suivre ta voie et ça, je l'ai compris dès le début. Mais figure-toi que j'aime ma vie ici. Je ne veux pas m'en aller, je ne veux pas laisser derrière moi les êtres qui me sont chers.
-Mais, et ton don ? Et ta magie ? Tu ne comprends pas ? Tu leur es supérieure. Tu vaux bien mieux que cette vie banale où tu auras un métier minable et où tes seules préoccupations seront de t'occuper de tes mioches et de faire les courses !
-Je rêve ! Je dois te faire la leçon ou quoi ? Je ne suis pas supérieure aux autres juste à cause d'un stupide cadeau de Noël. Oui, j'ai peut-être une particularité. Je ne suis pas une simple « humaine » comme tu dis. Mais je suis à ma place ici. Un jour dans l'année ne va pas changer l'entièreté de mon existence. J'ai des amies, bien qu'étranges parfois. J'ai un frère adorable, bien qu'agaçant et chenapan. J'ai des parents formidables même si j'oublie parfois combien je les aime. Je serai incapable de m'en aller maintenant. Et sache une chose ; tu n'es pas la meilleure. Personne ne l'est et celui ou celle qui le prétend ne vaut pas mieux que le pire des idiots. Et ma vie banale comme tu le dis, se portait très bien avant que tu n'arrives !
-Mais...
-Chut ! Je n'ai pas fini ! Tu es une humaine et une elfe et tu t'occupes des souhaits des autres. Tu ne t'es jamais rendue compte que le premier souhait qu'il leur venait à l'esprit était le bonheur de leur famille ? Le bonheur, la santé. Des multitudes de choses. Mais finalement, qui veut être le meilleur au détriment des autres ? Nous sommes parfois égoïstes mais chaque année, je me rends compte que finalement la perfection n'est pas le premier des vœux. Le premier est d'être en famille, avec ceux qui compte. Et je te plains sincèrement car tu n'as jamais connu ça.
-Tu crois que je ne me limite qu'à ça ? Qu'à cette quête de la perfection ? Alors laisse-moi te dire quelque chose. Il n'y a pas un jour, une heure, une minute qui passe sans que je ne me demande ce que vit ma famille ? Je m'oblige à penser à autre chose. Mon apparence, mes commentaires et cette personne qui est « narcissique » comme vous le dites, ne fait que cacher qui elle est. Tu sais quoi, je n'ai jamais accepté d'écouter mon souhait. Je l'occulte et passe tout mon temps à réaliser celui des autres. Suis-je encore si narcissique alors ? Suis-je toujours aussi prétentieuse ? Moi, je suis là pour te laisser le choix. Pour que tu choisisses. J'étais trop petite pour faire le mien.
Et pour répondre à ta première question, oui nous nous sommes déjà vues. Il y a cinq ans, alors que je faisais ma tournée, je t 'ai vue. J'ai senti ta puissance, celle que tu étais. Mais je t'ai laissé vivre une vie normale. J'ai grandi trop vite, je ne voulais pas que tu connaisses le même fardeau. Tu as ouvert les yeux, quelques secondes à peine et elles m'ont permis de comprendre, d'apercevoir à quel point tu allais changer mon avenir. Alors quand tu m'as vue à la librairie, j'ai paniqué. J'avais rendez-vous avec mon destin et il était bien trop tentant de le fuir que de l'affronter.
Alors oui, en plus d'une égoïste prétentieuse, je suis une lâche. Il est beau le visage de Noël n'est-ce pas ? »
Je m'évanouis alors dans mon nuage de paillettes, les yeux remplis de larmes. Aline. Elle était la seule à même de m'écouter. Elle était en quelque sorte mon double, la moitié de mon âme et elle ne me comprendrait jamais. Cela faisait cinq ans qu'elle hantait mon esprit. J'avais beau la haïr de tout mon cœur, elle revenait, retrouvait sa place.
Aline était particulière. Moi aussi. J'aurais dû prévenir Noël bien avant mais je n'avais pas eu le courage de lui retirer ses proches. Et je ne le ferais jamais. Je mentirais pour la protéger. Elle était mon âme-sœur. Un elfe est lié à sa naissance à un autre. Il en va de même pour chacune des espèces peuplant ce monde. Fées, trolls, ogres, humains... Dans le grand livre de la vie se trouvait les listes, les noms, les « destinés ». On le savait le jour où l'on rencontrait cette personne. Notre être hurlait de bonheur et nos symphonies, de sondes se mêlaient.
La plupart des souhaits est de rencontrer son 'âme-sœur. Moi, je l'avais trouvé mais je préférais lui mentir pour qu'elle soit heureuse. Pourtant, il me restait un dernier vœu à accomplir avant le 25. Mon vœu. Mais pas maintenant. Demain. Ou plus tard. J'étais trop lasse pour penser et je m'endormis, un mouchoir dans la main.
Je dormis longtemps, pour la première fois depuis le début du mois de Novembre. Quand je pus enfin quitter mon lit, le soleil était déjà haut dans le ciel et illuminait le paysage enneigé. Il n'existe au monde rien de tel pour me rappeler qui je suis. Pourtant, ce jour-là, la neige me parut moins belle, les sapins moins verdoyants. Mon monde me semblait fade et je repensais à la banalité apparente de la vie d'Aline. Des parents. Une famille. Des amis. Elle avait raison. J'avais tant et tant cherché à mériter ma place, à prouver aux autres que j'étais ici chez moi que finalement, je ne m'étais attachée à personne. Et nul ne voulait partager son repas avec moi ou partir chevaucher les chevaux des neiges. Je ne pouvais pas leur en vouloir ; je me renfermais sur moi-même. Je ne faisais confiance qu'à Noël.
Excusez moi pour le retard!
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