🎄16 Décembre🎄
Perce-neige
-Le rideau se lève dans cinq minutes.
Les mains poudrées de talc, j'enfile mes chaussons de danse. Blancs d'habitude, ils paraissent roses à la lumière des projecteurs qui s'échauffent dans les coulisses. Je me relève en repassant une main sur mon chignon blond : comme je l'espèrais, pas une boucle ne dépasse.
C'est l'heure, Anna, chuchote ma conscience.
Mes lèvres se pincent nerveusement tandis que j'observe du coin de l'œil entre les deux rideaux de velours rouges qui m'impressionnaient tant durant mon enfance, la foule de spectateurs. Moscou s'est entièrement déplacé pour moi. Non, pas seulement pour moi mais aussi pour la déesse des ballets, la plus jeune étoile de cette galaxie de musique, de pointes et de pirouettes. Le plus gracieux flocon de l'hiver russe, nous la nommons, Perce-neige.
-Prête ?
Elle me sourit, l'air sereine, me prend la main et prend place sur le parquet de bois un rire d'excitation s'échappant de ses lèvres rouges. Elle ne ressent ni peur, ni appréhension. Elle est dans son rôle, elle est à sa place. Pas moi.
Mon coeur se calque sur les treize coups de bâton heurtant le parquet de bois de la scène. Le rideau s'élève doucement tandis que la lumière virevolte autour de nous. J'entrevois, les plus petites, coiffées de bonnets et de vestes brunes, s'accroupir derrière une cabane de carton, attendant leur tour avec plus d'impatience que moi.
Je re-ajuste une dernière fois mon justaucorps, attendant que les premières notes de musique m'accompagnent dans les airs.
Elles n'arrivent pas. Le temps semble s'arrêter. Les habituels applaudissements des spectateurs s'éteignent, et un silence glaciale m'entoure.
Seulement elle, imperturbable, entame son ballet. Perce neige.
Le parquet ne craque pas sous ses ballerines blanches, comme si sa légèreté avait d'égal celle d'une plume. L'observant tournoyer entre les statues humaines et moi, je n'ose faire un pas, paralysée.
Que se passe-t-il ?
Ce n'est que lorsqu'elle décide de rejoindre l'ombre des coulisses que je me décide à la suivre, comprenant que cet étrange enchantement ne m'atteint pas.
Elle emprunte un long couloir de velours que je n'ai jamais vu avant, et entre dans la première loge - si c'est bien une loge-qu'elle dépasse. Son dos se courbe face un tableau orné d'un cadre d'or. Elle y plonge un doigt qui s'efface comme à la surface d'un étang.
-Perce neige !
Ma voix l'interrompt, elle m'accorde un sourire.
-Qu'est ce que tu attends ? Viens. m'incite-t-elle.
Et elle disparaît entre l'or et la peinture sèche.
Je suis peut-être stupide d'y croire mais je ne peux m'empêcher d'aller voir. L'illustration représente une licorne ailé, et quelques nuages flottant dans un bel azur uniforme. Ma main s'immobilise à quelques millimètre de la surface. Ai-je peur ?
Après tout peut-être n'est-ce qu'une blague ? Ou mon imagination ? J'ai pourtant bien dormi la nuit dernière, sous la douce mélodie de la musique du ballet.
-Qu'est ce que tu attends ? Viens.
L'écho de sa voix résonne en moi, je me décide donc à détruire ces derniers millimètres me séparant de la toile, les yeux clos et la respiration suspendue.
Je n'aurais jamais cru que plonger dans un tableau serait aussi agréable que de se jeter dans un bon bain moussant. Les paillettes me chatouillant les narines, je manque d'éternuer à leur contact, et glisse entre les couleurs sans m'en tâcher.
Si je pouvais m'attendre à ce qui m'attend à l'extérieur...
De la cendre, des nuages de poussière noire. Je pense que dois crier mais soit mes oreilles s'assourdissent, soit ma bouche ouverte n'émet aucun son.
-Ah tu es la !
Sa voix me ramène à la réalité.
-Que s'est-il passé ?
-Tu ne le sais pas ?
Elle a l'air étonnée. Comment puis-je le savoir ? Je n'ai jamais mis les pieds ici. En guise de réponse, je hausse simplement les épaules. Je m'accroupis pour que mes mains glissent sur le sol poudreux afin d'attraper une poignée de cendre qui s'envolent à mon contact.. Suis-je en train de rêver ?
-Il y a deux mois, le monde s'est consumé.
Mes pieds refusent d'exécuter le moindre le pas.
-Pourquoi m'as-tu fait venir ici ? je bégaye, seulement.
Elle ne répond pas. Quelle étrange histoire. Je peux fuir. Je devrais sûrement mais à la place, je m'élance, en avant entre l'allée grisée, et sombre. Perce neige entortille ses doigts avec anxiété. A-t-elle quelque chose à me. demander ?
-En fait, j'aimerais bien que tu restes. J'ai besoin de ton aide. Une sorcière a enlevé la princesse de ce royaume, Evangeline, et depuis, le royaume est dans cet état. J'ai.. un peu peur d'y aller seule.
La sorcière ? Une princesse kidnappée ? Je pourrais croire que nous sommes dans un conte. Quand arrivent la fée dragée et le grand méchant loup ?
-Alors ? insiste-t-elle en remarquant mon silence.
Évidemment.. Qui ne rêverait pas d'aller rendre visite à une sorcière le jour du plus grand ballet de sa vie et où, bien sûr, la salle tout entière vient d'être gelée avant les premières notes ? ironise-je en mon for intérieur.
-Si tu as peur de rater ton spectacle de danse, ne t'en fais pas, j'ai arrêté le temps. C'est en quelques sortes, mon don.
Rien que ça. J'imagine que c'est grâce à cela qu'elle a un si bon niveau de danse. Ou alors, elle est seulement une grande danseuse. Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions qu'elle m'entraîne vers un kiosque, encore intacte, en me tirant par la manche.
-Pourquoi tu ne t'en sers pas pour revenir au monde merveilleux de la fantasy et des papillons?
Elle secoue négativement la tête.
-Je peux arrêter le temps, pas retourner dans le passé.
Une tempête se prépare. Déjà, les nuages gris surplombent le ciel. J'entends un claquement de doigt. Abrupte, et vif, un rafale de pluie s'enchaîne. Je comprend soudain : Perce neige vient d'arrêter le temps pour nous mettre à l'abri.
La pluie tambourine contre le toit du kiosque avec une tel force que je peine à entendre les paroles de la petite danseuse.
-Nous sommes dans un téleporteur, m'explique-t-elle. Le dernier encore épargné par les tempêtes. Je vais abaisser ce levier. Si tu ne veux pas venir avec moi, quitte cette plate-forme.
J'ai donc le choix combattre une sorcière qui effraye ma petite ballerine préféré, ou subir un torrent d'eau dans une vase grise de cendres. À ma place, n'importe qui choisirait la pluie ? Moi aussi. Je fais un pas vers la sortie lorsqu'un cliquetis retient mon attention. Elle a abaissé le levier.
Attention à la fermeture des portes.
Mon corps tout entier s'enveloppe d'une poussière dorée qui m'aveugle. Des secousses faillissent me jeter sur le sol marbré, ce que j'aurais probablement fait si je ne m'étais pas tenue à une barre de bois, sûrement laissée là pour cet usage.
-Nous sommes arrivées.
Je dois avouer que je m'attendais plus à un gigantesque château sombre d'où éclair et sorts noirs ratés émanent mais cette cabane de bois a l'air tout aussi, si ce n'est plus, sympathique.
Après quelques coups sur la porte, Perce Neige se décide à ouvrir, d'un violent coup de pied sur la porte.
L'endroit est désert, sur le sol s'entasse jouets, vaisselles et vêtements d'enfant. La moquette est usée mais sa couleur pêche rassure quelques peu. Ce n'est pas ce que je peux dire des poutres grouillante de toiles d'araignées, et de la poussière trainant dans les coins. Des taches d'huile sur la porte, et une odeur de potage me donnent la nette impression que la maison n'est pas aussi déserte qu'elle n'y paraît.
Un grincement au plafond me réconforte dans cette idée.
-Anastasia...
Mon cœur manque un battement à l'entente de cette voix. Je me retourne, Perce Neige ne bouge plus, paralysé. Sa peau aussi blanche qu'une poupée de porcelaine se fragmente. Je ne retiens pas un cri.
Fuis, fuis Anna.
Je cours sous la pluie, plus déchaînée et glaçant que jamais, le vent ralentissant mon allure. Je sens mes poumons brûler et mon cœur galoper dans ma poitrine. Une ombre me frôle, me rattrape. Je me retourne pour voir son visage et....
Le souffle court, je me redresse. Des gouttes de sueurs perlant sur mon front, je comprend que ce n'était qu'un cauchemar. Mes mains moites, je sors discrètement de ma chambre, l'affiche du spectacle encore placardée sur la porte.
Le ballet. Je devrais déjà être à la répétition. J'enfile mes chaussures, et me hâte de rejoindre le grand théâtre.
Retard. Retard. Retard.
Je cours dans les escalier, rejoins la grande porte. Fermée.
Ballet reporté pour cause de dégâts des eaux.
Ouf.
Enfin non, je veux dire, un dégât des eaux ? Les danseuses, et notre professeure doivent être dévastées. Mon regard bifurque vers un chignon ébène, décoré d'un petit nœud rouge.
En voilà une qui, comme moi, a failli arriver en retard.
En m'approchant, je remarque que Perce Neige, ou Louna, discute avec la professeure de danse. Enfin si discuter peut se résumer à se faire disputer.
-Comment peux-tu aussi irresponsable, Louna ?
La petite hausse simplement les épaules, peu peinée.
-C' est la dernière fois, et je dis bien la dernière fois que tu poses tes mains sur le brouilleur de rêves. Est-ce clair ?
Elle tient dans ses mains une sorte de boule faite de verre ou de cristal coloré, la serrant fermement contre son ventre.
-Oui, grommelle la petite.
Ses traits se détendent. Elle semble pardonner à son élève. Comme toujours, elle est pleine de bienveillance.
-On se revoit demain en cours. J'aurai d'ici là sûrement plus de nouvelles pour la représentation.
Perce neige feint une révérence, et s'en va, glissant ses derniers mots qui me rappellent mon voyage au pays des songes.
-À demain, Princesse.
Ecrit par phanietwin
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