🧸13 Décembre🧸

Comme tous les ans, c'était l'effervescence dans l'atelier du père Noël. Tout devait être prêt en avance, tout était calculé à la minute prêt pour que le 24, tout soit parfait. Les bruits s'entremêlaient en une joyeuse cacophonie faite de rires, de conversations et de tapotement, assemblage, lavage, vissage et autre mots qui désignaient tous la même chose : la fabrication des jouets. Les lumières étaient toujours allumées, car lorsque certain dormaient d'autres s'éveillaient pour prendre la relève. Ces lumières, c'était la douceur des lampes éclairées à l'intérieur par une bougie, c'était les lueurs rouges, bleues, vertes, violettes et oranges des guirlandes et ces autres, c'était les seuls et uniques assistants du père Noël. Les lutins. Qui, comme à chaque fois, travaillaient dans une joyeuse harmonie dénuée de sens mais pas de beauté. Comme chaque année, tout était parfait. Enfin... presque tout. Car cette année, contrairement aux autres, un lutin avait eu la permission de travailler à l'atelier.

Félis n'était pas un lutin tout à fait ordinaire. Oh, bien sûr, il était, comme tous les autres, de petite taille. Ses oreilles étaient pointues et ses yeux brillants à peine plus grands que la moyennes. Il avait comme beaucoup de lutin un visage jovial, dont les taches de rousseurs s'étalant sur ses joues et son nez retroussé soulignaient à merveilles les fossettes qui apparaissaient quand il souriait de toutes ses dents blanches et régulières ou riait de ce son qui évoquait, comme chaque rire de lutin, le bruit des clochettes et des flocons de neiges. Physiquement, Félis avait tout du lutin parfait, ce qui allait de ses cheveux bouclés avec le peu de soin qu'ils requéraient à ses petits pieds dont la forme absorbait les bruits, en passant par ses doigts fins et pâles, parfait pour la construction des jouets. Or, Félis avait un gros, gros, très gros problème qu'il était le seul à avoir : il était maladroit. Très, très, très maladroit. Quand il découpait les papiers cadeaux, ils n'étaient jamais de la bonne taille et d'une forme si originale qu'ils en devenaient inutilisables et devaient être jetés. Quand il utilisait de l'adhésif ou du ruban, il se débrouillait toujours pour en perdre le bout quelque part, ce qui lui faisait en dérouler des mètres et poussait tout le monde à se prendre les pieds dedans. Quand il triait les listes, il confondait les tas : les gentils se retrouvaient avec les méchants et les méchants avec les gentils, ce qui faisait le bonheur des chenapans. Ou qui l'aurait fait s'il ne renversait pas d'encre dessus ou ne mettait pas le feu par erreur. N'avez-vous jamais reçu quelque chose que vous n'avez pas commandé ou bien plus que vous l'avez mérité ? Ne cherchez plus, Félis c'était sûrement occupé des commandes lors de ses années. Bref, Félis était, en un mot, le cauchemar de tous les lutins. Et non, ce n'est pas exagéré : cela faisait cinq ans que tous les ans, Félis était désigné pour déneiger les allés des tas qui les encombraient. Certes, c'était une noble tâche : il fallait bien circuler dans le village du Père-Noël, et elle avait le mérite de le tenir loin de l'atelier. Mais c'était une tâche solitaire, un peu triste, toujours répétitive puisque la neige tombait sans discontinuer et à force de manier la pelle dans le froid, même un lutin devenait patraque et les petits doigts de Félis étaient devenus tout rouges du froid qui l'entourait. Qui aurait pût rester insensible devant le triste tableau qu'il dépeignait alors qu'il maniait une pelle aussi grande que lui, la peau rougie par le froid, reniflant par moment pour déboucher son nez et essuyant ses yeux larmoyants... certainement pas le Père-Noël ! Alors, malgré tous les dégâts qu'il avait déjà provoqué, il avait décidé de lui offrir une seconde (ou plutôt une quatre-cent-vingt-quatrième) chance. Ainsi nous retrouvons nous le vingt-trois décembre dans l'atelier, à regarder un petit lutin très particulier bricoler quelque chose d'exceptionnel.

Félis était à la fois incroyablement joyeux et très nerveux de cette nouvelle opportunité. Il savait que le premier jouet qu'il créerait serait son crash-test, et qu'il déterminera s'il pourrait revenir l'année prochaine ou s'il retournerait à sa pelle. Ainsi, faisant fi de toute prudence, il avait décidé de créer la chose la plus compliquée et la plus magnifique de tout l'atelier. La raison était simple : il voulait impressionner le Père-Noël et lui prouver que oui, il était aussi doué que tous les autres. La liste était succincte. Il n'y avait qu'une chose, une toute petite chose pour une petite fille de six ans, et Félis y voyait une opportunité formidable. Car l'enfant avait commandé une voiture télécommandée. Ni une, ni deux, Félis c'était emparé des matières premières et avait commencé son travail. Par précaution (celle des autres, pas la sienne), il était isolé dans un petit espace de l'atelier duquel il pouvait travailler sans déranger personne, et surtout sans se faire remarquer. Les autres lutins, se supposant ainsi à l'abri d'un accident, travaillaient sur les derniers préparatifs et les dernières vérifications. Le Père-Noël lui-même devait venir plus tard dans la soirée pour jeter un coup d'œil sur les dernières nouveautés !

Mais Félis, inconscient de ce qui se tramait, travaillait tranquillement. Il vissait, soudait, peignait et assemblait de minuscules pièces que des mains humaines auraient eu le plus grand mal à manipuler, et tout cela sans même hésiter, s'il vous plaît ! A croire qu'à force de déneiger les allées, sa maladresse c'était envolée ! Au fur et à mesure qu'il avançait dans son ouvrage, il attirait de plus en plus de regards. Tous étaient surpris de ne pas entendre de petites explosions. Ils étaient tous d'autant plus surpris de voir que les pièces étaient encore en un seul morceau, que le courant circulait toujours, que la lanterne n'était pas encore tombée et que la peinture n'était pas renversée. Ce pourrait-il que Félis ait changé ? C'était la question que tous se posait, et c'est la question qu'ils se permirent tous de murmurer à leurs voisins lorsqu'enfin, le petit lutin maladroit eut achevé son ouvrage.

Il était désormais onze heures. Tous les lutins de l'atelier étaient rassemblés devant Félis, qui contemplait fièrement sa création. Elle était là, sous leurs yeux, la petite voiture télécommandée. Pour un lutin, c'était déjà une taille raisonnable, puisqu'elle leur arrivait aux genoux. Elle était d'un bleu sombre, la carrosserie rutilante, le minuscule pare-brise sans même une fissure. C'était, en un mot, un cadeau parfait. Bientôt, un petit murmure ce fit entendre, une phrase que personne n'aurais jamais cru dire à Félis fût énoncée, répétée, amplifiée :

- Essayons-la ! Vite, essayons-la !

Le pauvre Félis était rouge d'embarra, mais aussi de plaisir. Il avait rêvé toute sa vie du moment où les autres admettrait qu'il était capable de faire de belles choses, et ce moment était enfin arrivé ! C'est avec un grand sourire qu'il s'empara de la télécommande et, ni une ni deux, démarra le jouet. Hélas ! On ne devient pas le plus doué des lutins du jour au lendemain simplement en fabriquant un seul jouet, et ils l'apprirent tous à leur dépend. Dans sa précipitation à finir le jouet parfait, Félis avait lu la notice en commençant par la fin, et il avait monté les roues à l'envers ! Le petit bolide, ignorant superbement les directives de la télécommande, s'élança à reculons à toute vitesse, franchit la barrière formée par les lutins et se précipita dans l'atelier.

Ce fut une catastrophe sans précédent. On courait en tous sens, tentant de rattraper la machine alors qu'elle reversait tout sur son passage, roulait sur des pieds et faisait tomber les lutins. La petite voiture accrocha un papier cadeau et l'arracha sur toute sa longueur. Prit dans les roues, il resta accroché et le cadeau suivit le mouvement, renversant l'entièreté de la pile qui devait bientôt finir dans la hotte. Un lutin malheureux et totalement ignorant des événements eut la bonne idée de rentrer à ce moment : le bolide fila dehors, sur les chemins parfaitement déneigé par Félis, semant le trouble dans le village. L'abreuvoir de Rudolph, le renne au nez rouge qui éclairait le chemin du traineau, ne fut pas épargné. Il y avait sur une étagère en surplomb de nombreux flacon contre la toux, le hoquet et autre. Devinez ce qui reversa un flacon entier de sirop de menthe dans l'eau que le pauvre renne bu sans faire attention ? Et oui, le jouet de Félis. La tête de Rudolph fut très comique alors qu'il tirait la langue et que son nez virait au vert, mais personne ne le regardait puisque tout le monde courait après Félis qui courait après la voiture qui roulait en direction de la maison du Père-Noël. Et ce qui devait arriver arriva : ce dernier sortit au moment où la voiture arrivait et... patatras ! Il se retrouva par terre, le derrière dans la neige, gémissant et étourdit, tandis que la petite voiture, enfin à court d'énergie, fini sa course sur le tapis. Les lutins étaient catastrophés, le Père-Noël blessé et Félis mort d'inquiétude et d'embarra. Rudolph s'ajouta au tableau, éternuant de son nez vert, et sur cette scène des plus étranges, une femme se présenta sur le seuil de la porte :

- Est-ce que quelqu'un veux bien m'expliquer ce qu'il se passe ? exigea plus qu'elle ne demanda la Mère-Noël, dominant de sa force sature toute l'assemblée.

- C'est Félis ! lui répondirent en chœurs tous les lutins - sauf un.

- J'aurais dût m'en douter, soupira la Mère-Noël.

C'était une catastrophe. Nous étions maintenant le vingt-quatre décembre, et le Père-Noël se retrouvait cloué au lit avec une jambe cassée ! Rudolph ne cessait de loucher sur son nez, et même si la Mère-Noël avait pris les choses en mains et que tous les cadeaux avaient été réparés (oui, même la maudite voiture télécommandée), soigneusement emballés et chargés dans le traineau, comment faire sans celui qui devait les distribuer et le renne qui devait les guider ?

- Je crois que nous n'avons pas le choix, trancha la Mère-Noël. Que l'on me sorte les cartes, je ferais la tournée.

- Mais Mère-Noël ! s'inquiétèrent les lutins. Vous ne pouvez pas lire les cartes et diriger les rennes en même temps, vous aurez un accident !

La Mère-Noël réfléchit quelques instants, puis déclara tranquillement :

- Félis viendra avec moi. Il a commis une erreur, c'est à lui de la réparer.

Cette décision ne fit pas l'unanimité. Tout le monde protestait : le Père-Noël, les lutins, les rennes et même le pauvre Félis, qui finalement trouvait sa pelle très attirante. Mais la Mère-Noël n'était pas femme à se laisser marcher sur les pieds et, d'un geste impérieux de la main, elle réduisit tout le monde au silence avant d'énoncer qu'elle ferait la tournée avec Félis et qu'elle partait sur le champ. Et c'est ce qu'elle fit, laissant le Père-Noël et Rudolph aux bons soins des lutins très inquiets.

Les heures passaient, mais personne ne songeait à ce reposer. Tous tournaient en rond, attendant le retour de la Mère-Noël et de Félis, craignant le pire sans vouloir l'envisager. S'ils s'étaient perdus ? S'ils n'avaient pas réussi à faire la tournée ? Lorsque finalement le traîneau revins, tous fut surpris de le voir se poser intact, sans aucuns cadeaux, les rennes parfaitement calme et vingt minutes avant le record du Père-Noël. Ils furent encore plus surpris en voyant la Mère-Noël et Félis descendre avec de grands sourires sur le visage, des étoiles plein les yeux.

- Comment ça s'est passé ? se risqua à demander le Père-Noël.

- C'était parfait, répondit sa femme en riant. Félis m'a trouvé de super raccourci, la tournée était finie en un rien de temps ! Au retour nous sommes passés par le pôle sud, ça nous a fait un petit détour mais les aurores boréales valaient le détour ! Je crois que nous avons battu ton record !

- C'est Félis qui a trouvé la route ? s'écrièrent tous les lutins, tous sauf un.

- Et oui, confirma la Mère-Noël. Félis est peut-être nul pour fabriquer les jouets, mais pour lire des cartes, il est vraiment le meilleur !

Depuis ce jour, tous les ans, Félis accompagne le Père-Noël dans ses tournées. Il trouve toujours de bons raccourcis, repère la route avec précision et améliore son score chaque années, ce qui est vraiment utile puisque le Père-Noël ce fait vieux. La morale de cette histoire, puisqu'il y en a une, est la suivante : peu importe que vous ne vous sentez pas doué ou que votre entourage doute de vous. Comme Félis, vous n'avez juste pas encore trouvé le domaine qui vous fera briller.

Ecrit par TomEtJerry7152

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