8. Lately I'm getting lost on you
8.
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Lately I'm getting lost on you
I tore your world apart like it was nothing new
Never bled so much when I didn't have to
I've given up on a life lived after
I had a hold on your soul
But I lost my grip, let you go
I should've carried us both
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C'était quand même cruel, tu t'en rends compte ?
Si ça l'avait pas été, il serait revenu.
Et qu'est-ce qui serait arrivé s'il était revenu, Nolan ?
Je l'aurais perdu.
On ne guérit pas là où le monde nous a brisé. Silas avait une attache dans un univers qui le faisait tomber, c'était le sycomore qu'il avait connu avec son père. Mais si on lui retirait cette attache, Silas n'avait rien, il pouvait quitter le poison de ce village d'un moment à l'autre. Il pouvait prendre un nouveau départ loin de ces gens qui ne le comprennent pas et qui ne le laissent pas juste être lui.
Il aurait pu, partir. Mais il y a eu Nolan, alors encore, Silas est resté.
Et puisqu'on ne guérit pas là où le monde nous a brisé, Nolan n'a pu que voir les mois prendre avec eux un peu de la lumière du garçon, les ronces enserrer son cœur, les silences contredire les « ça va ».
Nolan, inconsciemment, retenait Silas dans sa prison.
Silas est aussi fort que fragile, c'est ce qui fait toute sa complexité. Il a connu les torrents d'une famille à demi-présente, les orages sourds de camarades qui ne l'acceptent pas. Et il pouvait supporter tout ça, puisqu'il y avait le sycomore.
Puis on le lui a pris.
Et à partir de ce jour, tout est devenu flou autour de lui, tout semblait hors de la réalité. Silas avait l'impression de flotter dans une ville fantôme qu'il n'avait jamais réellement connue, entre des maisons flottantes et des gens qui flottent aussi. Les « bonjour » qu'on lui accordait n'avaient plus la même saveur. Rien ne progressait, Silas étouffait.
Ici, c'était un enfer condensé. Il ne respirait plus, et Nolan l'a remarqué. Alors en sourdine, il a discuté avec sa mère, puis il a trouvé son père.
Nolan, c'est moi. J'ai discuté avec Silas, j'ai essayé de lui dire que tu as fait ça pour son bien. Il ne veut rien entendre, il t'en veut.
Je m'attendais à ça.
Et quand les premiers mois sont passés, dans le village où l'absence du garçon à l'écharpe ne se fait pas tant sentir que ça pour les autres, Nolan s'est assis sur le toit de sa maison et a regardé le ciel. Moi aussi je t'en veux Sil. Tu m'as jamais dit à quel point t'allais mal. A quel point t'étais à deux doigts de craquer. Comment je peux te protéger du monde si je peux pas te protéger de toi-même ?
Nolan s'est allongé, les bras écartés et le dos contre les tuiles humides. Le vent est tombé sur lui et a transporté un peu de ses tourments. Le village fantôme autour de lui, il lui manquait un morceau de poussière de fée pour avancer.
Je me demande si tu m'aimes encore un peu.
De temps en temps, assez rarement, le père de Silas donne des nouvelles de ce dernier à Nolan. Comment il a été dur pour son ami d'accepter ce qui lui était arrivé, de savoir qu'on lui a forcé la main pour une décision que seul lui avait le droit de faire. Mais tu voulais vraiment que je te regarde te perdre Sil ? De la difficulté qu'il a eue pour tisser des liens perdus avec lui, de pouvoir faire comprendre à son fils que jamais il ne l'a abandonné. Silas s'est inscrit à un nouveau lycée. Et il parait qu'il s'y est fait des amis, une bande de gars chaotiques qui courent et hurlent partout comme s'ils savaient depuis le berceau qu'on ne vit qu'une fois. Son père les voit parfois le soir passer leur rue à vélo et amener Silas il ne sait où. Mais il n'en tient pas rigueur parce que ces garçons semblent être des gens bien, ils le font sourire un peu.
Ça allège le cœur de Nolan. Un peu.
Tu me manques.
Le jour où Nolan est venu le chercher chez lui pour l'amener à la plage, tout avait déjà été prévu, du début à la fin. C'est surtout ce jour-là que Nolan a compris qu'il ne pouvait pas le soigner, la plaie était bien trop profonde, trop putréfiée. Je suis désolé. Et la mère de Silas le savait, que son fils s'en allait, et qu'il ne reviendrait très certainement pas. Nolan lui en avait parlé depuis un moment déjà, et un jour, c'est-à-dire la veille de tout ça, son ex-mari a décidé de lui passer un coup de fil. Le soir où Silas a superposé le bruit du vent à ses pleurs.
Tu veux me le prendre ?
Tu ne peux plus rien faire pour lui.
Toi non plus, il se souvient à peine de toi.
Merci à qui de m'avoir interdit de le voir ? Les premières nouvelles que j'aie me disent qu'il va mal, et tu ne le savais même pas !
Ils se sont disputés, pendant un long moment. Et depuis sa chambre Silas n'entendait que des plaintes étouffées sans savoir ce qui se passait. La mère de Silas a éclaté en sanglots quand elle a compris, tard mais enfin, qu'elle avait peut-être un peu échoué. Qu'est-ce qu'elle attendait en réalité ? Que son fils la remercie d'avoir sacrifié un bout de sa vie pour lui ?
Personne ne t'a demandé de te sacrifier, si tu ne voulais pas de lui tu aurais dû me le laisser.
N'ose jamais dire que je ne voulais pas de lui ! J'aime mon fils !
Elle n'attendait qu'un merci, qu'un seul. Des deux côtés, le dialogue était imparfait et maladroit, on voyait que des deux côtés, il y avait encore un peu de chemin à faire pour être parents.
Un jour Silas reviendra et te remerciera, parce que malgré tout, il sait que tu as fait ton possible pour lui. Mais pour l'instant il ne te doit rien.
...
Les enfants n'ont pas à être reconnaissants qu'on les détruise.
Et voilà comment on en est arrivés là.
Puis des mois se sont encore écoulés, les uns à la suite des autres. Sans grand changement ni extravagance.
Nolan, c'est encore moi. Ça va mieux, il ne le dira pas clairement, mais Silas est intelligent. Il a commencé à comprendre pourquoi tu as fait ça, peut-être que ça serait bien que vous vous voye-
Nolan n'a pas lu le message jusqu'à la fin, il a eu peur.
Ce matin est différent, Nolan le sent dans l'air. Un peu plus de six mois sont passés, assez pour guérir un peu de l'absence, mais pas assez pour oublier. Dans son lit la couverture est rabattue sur son visage, tourné sur le côté Nolan serre son oreiller entre ses bras et il entend un bruit de fond qui lui fait froncer les sourcils. Dehors la rue se remet à adopter des couleurs un peu plus vives et le froid revient au galop. Le bruit devient plus fort et la porte de sa chambre claque.
— Nolan !
Les mains s'écrasent contre lui à travers le tissu et son corps est secoué comme un prunier. D'abord il pousse un grognement sourd, puis un deuxième quand son bras s'extirpe des draps pour brasser l'air : Cinq minutes ! Cinq putain de minutes !
— Nolan, dépêche-toi t'as de la route à faire !
— Maman s'te plait t'es lourde !
Toujours cette même loque impossible à réveiller, elle lève les yeux au ciel et tire sur la couverture quand cette dernière glisse contre le sol. Pas de réaction notable, Nolan n'est pas enclin à quitter son confort.
Sa mère lui arrache son oreiller et l'écrase contre son visage, alors Nolan lâche un glapissement quand ses yeux s'ouvrent et s'écarquillent.
— Mmmmmmmf... mmmmmf
— Je comprends rien Nolan.
Et quand après un combat sanglant Nolan parvient à faire déguerpir sa mère à la suite de la plus normale des tentatives de meurtre, il reste avec les idées en vrac en tailleur sur son lit, les cheveux en pétards et les yeux encore mi-clos.
***
— Ton portable ?
— C'est bon...
— Ton déjeuner ?
— J'achèterai un truc...
— Ton porte-monnaie ?
— Il est là.
— Ta voiture ?
— Comment je pourrais oublier ma voi- laisse tomber t'es une maniaque. J'y vais !
Sa mère lui fait signe depuis la porte d'entrée et Nolan part pour la ville. Son année sabbatique se poursuivant, il sait que tôt ou tard il devra faire quelque chose. Et si plus tôt il n'était pas encore prêt à se lancer dans un quelconque cursus universitaire, il se dit aujourd'hui qu'il peut au moins assister à quelques conférences sur les filières proposées. Il n'y a pas d'âge pour chercher qui on est et ce qu'on veut. Nolan ne passera pas toute sa vie dans ce petit village.
Il a pu profiter d'un congé pour assister à la journée portes-ouvertes d'une des universités de Seattle, près de la mer.
Maman, tu fais quoi avec mon sac à dos là ?
Il fait froid Nolan, ta veste en jean est stylée, c'est pas pour autant qu'elle t'empêchera d'attraper la crève !
Quand il se gare dans le parking et voit les étudiants de divers lycées affluer des bus mis à disposition, Nolan se sent presque vieux. Et quand il ouvre la portière il lâche un sifflement avant de la refermer brutalement, faisant sursauter un groupe d'étudiantes pas loin. Saloperie il fait froid !
Il soupire, balance son sac à dos sur ses genoux et l'ouvre rapidement. Ses mains se figent alors quand il sent sans même le voir, le tissu duveteux d'un bout de laine.
— Foutue génitrice... il marmonne, une main sur son visage, l'autre extirpant l'écharpe rouge de son réceptacle.
Evidemment que depuis le temps, Nolan a parlé de Silas à sa mère. Elle sait très bien que cette écharpe est à lui.
Alors, un peu perturbé, il l'enroule autour de son cou, plante son nez dans le tissu et se met à courir dans les grands bâtiments. Entre la foule compacte, les rires trop forts et les paroles hautes en couleurs. Sans faire attention, Nolan percute l'épaule d'un garçon dans la masse, qui discute avec un groupe plus bruyant que les autres. Le regard tombe contre la forme qui court, la nuance vive d'une écharpe rouge qui lui est étrangement familière.
Et une lueur de curiosité passe dans les yeux du garçon, dont le corps s'oriente dans la direction rougeoyante avant qu'on ne l'appelle :
— Tu viens ? On commence par le bâtiment E.
— ...
— Silas ?
— Hein ? Ouais j'arrive !
Changement de plan, de point de vue, d'espace-temps même. Ses amis tournent dans un sens opposé et Silas les suit.
Puis, un coup de vent. Plus fort, tellement que plusieurs étudiants s'arrêtent de marcher pour retenir leurs cours contre leur poitrine, des filles plaquent leurs mains à leur jupe, des feuilles par centaines tourbillonnent dans l'air. Les aléas d'un automne aussi beau qu'hargneux. Silas presse sa main contre son béret, fronce le nez sous ses lunettes rondes. Les feuilles mortes se mêlent au tableau.
Et comme un enchainement de coïncidences, les élèves se dispersent vers des points plus cléments, la foule compactée s'éparpille et laisse un passage derrière elle. Une fourmilière perturbée par quelque chose, l'escalier principal devient visible, les marches à nues et la plateforme sus-jacente presque vide.
— Du con de l'écharpe ramène ta face ! Pire que ton proprio !
Silas sursaute, et comme une poignée d'étudiants alertés par le bruit, il tourne la tête vers sa source.
Prise dans le vent, une écharpe rouge s'envole. Et plus loin derrière, le garçon qui la pourchasse comme si sa vie en dépendait n'a pas l'air des plus malins. Quand il la rattrape dans les gestes les plus exagérés qui soient les gens rigolent. C'est qui ce guignol ? glousse Aiden derrière Silas. Le corps écrasé contre la rambarde et le bras dans le vide, Silas voit des cheveux noirs un peu ébouriffés encadrant un visage apeuré par le vide sous lui.
— On s'ennuiera pas avec un cas comme ça dans les parages hein Sil ? ajoute Callum. Sil ?
Il se retourne, regarde de gauche à droite.
— Silas ? Hé oh Silas ?
Il y a des jours où on se rend juste compte que tout arrive pour une raison, que le cours des choses est ainsi. Combien de temps doit s'écouler avant que deux cœurs blessés ne se retrouvent ? Parfois de la plus simple et anodine des façons. Qui parmi le monde présent pourra remarquer que les deux garçons, qui se font à nouveau face ont enduré mille ans de réflexion avant d'arriver à ce moment ? Le garçon au bas des escaliers, et celui appuyé contre la rambarde, qui ne l'a pas encore vu arriver. Silas sous ses lunettes rondes et son nez froncé, qui observe le ciel aquarellé et le visage troublé plongé dans ce dernier.
Puis Nolan ne peut que le sentir, ce regard planté sur lui. Et Nolan lève les yeux du sol trop loin de lui.
— C'est moi qui monte ou toi qui descends ?
Nolan sursaute presque, pendant une seconde, il a pensé que la personne en bas n'était même pas réelle. On aurait un esprit de la forêt, ou un elfe, ou une fée. Il était peut-être pas très normal, pas très terre à terre. Il avait de la poussière de fée sous les doigts, une voix qu'on entendait pas, ou pas trop. De la poussière de fée dans les yeux, et partout autour de lui. Il est l'enfant perdu qui recherche Peter Pan.
— J'm'appelle Silas.
Nolan a le tournis, les mains pressées contre la rambarde comme par peur de tomber de très haut. Son corps tremble et sa gorge se noue, il sent les larmes lui monter aux yeux alors qu'un léger sourire se forme sur les lèvres de son vis-à-vis.
Tu m'en veux toujours ?
Pourquoi ? Tu m'as sauvé la vie.
— J'm'appelle Nolan.
— Je m'en serais douté, tiens.
Tu m'as manqué, abruti.
FIN.
Update 02/09/24 : Merci d'avoir redécouvert Let Me Down Slowly à mes côtés ❤️
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