3. Let's leave the party




3.


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We don't fit in well 'cause we are just ourselves

I could use some help getting' out of this conversation, yeah

You look stunning, dear, so don't ask that question here

This is my only fear: that we become beautiful people

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Il m'a dit qu'il s'appelait Silas, le troisième jour. Il avait récupéré son écharpe quand il m'avait attendu sous l'arbre.

Je crois que j'avais envie de lui parler. Je sais pas de quoi, ni pourquoi.

Peut-être que je voulais juste entendre sa voix. Mais il a pas capté ça, il aurait pas pu en tout cas.

Nolan a aperçu Silas en rentrant chez lui, au même endroit. Là où il y a ce sycomore un peu trop grand et un peu trop vieux. Sauf que cette fois il n'était pas entre les branches, cette fois il n'était pas cette fée aux ailes qu'un soleil avait brûlées.

Silas attendait en bas, le dos contre l'écorce et le regard au loin. La plaine incandescente sous les pieds, il avait encore ses lunettes rondes qui avec lui admiraient un bout de ciel aquatique. N'oublions pas que depuis leur rencontre, tout est mélangé. Le temps, le monde, et même leurs habitudes se sont courbées. Nolan avait marché jusqu'à lui, indécis, il s'était figé juste derrière son dos. Silas n'a pas bougé. Aussi, à ce moment Nolan ne connaissait même pas son nom.

— C'est pas là que t'attends la nuit, d'habitude.

Quand Silas a tourné la tête, Nolan a juste vu son grand sourire avant que son corps ne bascule en avant. Il a juste senti cette main rouler dans son dos pour le coincer dans sa position, puis l'autre se glisser sous le tissu de son écharpe, frôlant la peau de son cou. Et l'écharpe rouge lui a été arrachée, dans un rire un peu fort, un peu lunaire aussi. Puis Silas s'est enfui. Il a laissé l'autre derrière, un peu crédule, un peu benêt quant à ce qui venait de se passer.

T'es bizarre toi.

Penaud, Nolan l'a regardé disparaitre dans un incendie de lumière. Le crépuscule dans ses pas nettoyait son crime. Et il est resté ici, figé quelques secondes en attendant que la brûlure dans sa nuque et dans son dos ne se calme. Comme son cœur pris de court par cette attaque.

C'était un geste anodin, un contact plus léger qu'un souffle. Et pourtant, comme à cette soirée, c'était une sensation singulière, que même les livres et l'univers ne peuvent décrire. Quelque chose que seul son toucher, aussi bref soit-il, peut provoquer.

Nolan ne savait pas si c'était une bonne chose. Il se sentait un peu patraque.

T'es bizarre toi.

Et il est rentré chez lui, il faisait froid sans cette écharpe.





— J'm'appelle Silas.

On pouvait pas le cerner, Nolan moins que n'importe qui. Le lendemain il l'avait attendu sur la même plaine, en quête de la même image. C'est qui ce gars aux lunettes, qui vole dans les arbres et qui vole des écharpes ?

Peut-être qu'il n'était pas très humain, pas très terre à terre. Il avait de la poussière de fée sous les doigts, une voix qu'on n'entendait pas, ou pas trop. Et quand il est arrivé à son tour, Nolan a bien vu la surprise dans son regard. Nolan qui était assis à même l'herbe jaune, petit rejeton près du sycomore meurtri. Et le garçon à l'écharpe s'est enfin présenté. Pas de bonjour, pas de questions routinières. Il a juste dit qu'il s'appelait Silas Weir. Et il est resté planté devant lui comme un con, parce qu'il savait pas quoi faire avec Nolan sous son arbre.

— Tu t'appelles Silas.

C'était rien, c'étaient des paroles dérisoires. C'était un sujet, un verbe et un complément. Sauf que c'était son nom.

Et c'est quand Silas a entendu son nom sur ses lèvres que ça l'a frappé. Le garçon de la soirée, le garçon du lycée. Le garçon infect et maniéré, le cliché de popularité.

C'était pas celui assis contre cet arbre.

— J'm'appelle Nolan.

Silas lui aurait dit : « je sais ». Mais pour la première fois, il a pensé qu'en fait, il ne savait pas. Ce n'était pas un nouveau Nolan, ni un ancien. C'était juste celui qui voulait percer la surface, celui que son masque avait étouffé toute sa vie. Le Nolan qui a les défauts qu'on ne voit pas, et les qualités qu'on hyperbolise.

Je te connais pas.

Tu me connais pas.

Mais ce soir-là, t'as essayé de creuser en dessous.

C'est pas forcément beau, ce qui se cache sous ce visage, sous cette peau.

Et j'me suis dit que, je voudrais bien que t'essaies de voir un peu plus loin.

Peut-être qu'un jour t'y trouveras quelque chose que t'aimes. Et tu m'diras comment t'as fait.

C'était pas une promesse.

Mais un peu quand même.





C'est devenu un rituel.

Un rituel qui repose pas toujours sur des mots. Juste l'un qui attend l'autre et qui observe le soleil qui se couche. Parfois Nolan lève les yeux et il voit Silas grimper de branche en branche. Il le voit effleurer le ciel de ses cils, goûter à l'éther sur ses lèvres. S'il n'avait pas tant le vertige, il essayerait aussi, de voir ce que c'est que d'avoir la folie des grandeurs.

— Tu veux pas monter ?

— Non.

— Trouillard.

Parfois, Silas reste sur la première branche, qui est à un tout petit peu moins de deux mètres, juste au-dessus de Nolan. La branche est grande et épaisse, bien que souvent son écorce s'effrite sous lui. Parfois des bouts de bois tombent sur la tête de Nolan, il râle et réprimande son camarade arboricole. Puis sans y prêter attention, Silas écoute la musique de Nolan, et de temps en temps Nolan s'endort adossé contre le vieux tronc. La mélodie dans l'air.

Dans ces moments Silas le regarde, même très longtemps. Jusqu'à ce que la lumière orange cesse de briller sur sa peau. Et il se demande si un jour quelqu'un le trouvera beau comme ça.

Il descend et se baisse pour lui secouer l'épaule et lui dire de rentrer. Ou alors, quand Silas ne veut pas partir, il tend le bras depuis la première branche, allongé sur le ventre et lui caresse les cheveux pour le réveiller plus doucement. C'était bizarre au début, mais à cette hauteur il ne pouvait pas atteindre son épaule, et sa voix ne parvenait jamais à le sortir de son sommeil. Alors la première fois, la main de Silas s'était glissée dans les mèches noires de Nolan, au sommet de son crâne, le seul point qu'il pouvait atteindre. Et Nolan a sursauté, a levé les yeux, s'est redressé et lui a dit : « À demain » d'une voix faible et enrouée, les joues un peu roses aussi, mais Silas a prétendu ne pas l'avoir remarqué.

Un jour, au lieu de monter dans l'arbre, Silas s'est assis à côté de lui. Il lui a proposé ses écouteurs, parce que y'a des gens que ça dérange sûrement. Quand Nolan a dit non Silas a boudé, alors il a capitulé parce qu'il a trouvé ça mignon.

Un jour, Silas avait passé une mauvaise journée. Il a raconté à Nolan qu'il en avait marre de ce lycée, que là-bas on ne veut pas le laisser s'en foutre de tout, que c'est pas normal de s'en foutre. Et qu'il faut être normal, qu'il faut se calquer aux normes.

« On veut nous faire passer pour des gens en bonne santé mentale, et pour ça ils nous font nous adapter à une société malade. »

Silas avait posé sa tête contre l'épaule de Nolan quand il a dit ça, et il l'a écouté. C'était automatique, Silas avait un trop plein de « J'm'en fous » alors qu'il ne s'en fout pas toujours, en fait. Parfois Silas a les yeux cernés quand il vient le voir, parfois ses nuits sont courtes, froides et pénibles. Il lui arrive de s'endormir au milieu d'une phrase, et il est arrivé plus d'une fois que les doigts de Nolan frôlent les contours de son visage, pour ensuite lentement se faufiler dans ses cheveux. Un peu comme lui quand il le réveille.

Et peut-être qu'un jour Nolan lui a murmuré que ça aurait été plus simple s'il l'avait rencontré en premier. Avant toutes ces ombres qui l'entourent, ces sourires sans visages, ces poupées télécommandées.

Puis, changement de plan, changement de décor, changement de temps. On avance un peu, on accélère le temps, on dilate l'espace.

On vient à ce fameux jour où Silas est en haut de l'arbre, et que pour la première fois depuis longtemps il a décidé de remettre l'écharpe rouge. Ce fameux jour où Nolan arrive alors que le vent est fort et froid. Ce fameux jour où il regarde le point flamboyant très haut, très haut. Quand il prononce des paroles qui étonnent puis font ricaner Silas.

— Je veux monter, tonne-t-il.

— Tu déconnes ?

— Je veux monter, viens m'aider !

Et Silas, les yeux toujours rieurs, quitte son cocon aérien. Il descend agilement sous l'œil transcendant de Nolan. De branche en branche jusqu'à arriver au plus bas point, sans pour autant mettre les pieds au sol. Un sourire de défi, Silas lui tend la main.

— Bah alors, t'attends le déluge ?

Nolan grimace, à l'évidence il pâlit un peu. Mais il agrippe la main du garçon à l'écharpe, qui le guide de cette voix douce, qui lui indique les appuis stratégiques pour au moins le rejoindre à son niveau. D'abord il hurle, un cri très aigu qui ressemble un peu à celui d'un animal de la ferme de son oncle. Lequel ? Silas en a oublié le nom mais il éclate de rire. Lors d'une autre perte d'équilibre, le bras de Nolan s'enroule autour de sa taille, et le rire de Silas s'étrangle. Aussi vite, le contact se rompt et Nolan s'accroche au tronc avec des souffles effrayés.

— T'as pas à te forcer, tu sais ?

Mais il regarde l'endroit où Silas l'attendait plus tôt. D'un air déterminé, il le pointe du doigt. Si tétanisé, il a même du mal à parler, donc Silas secoue la tête.

— T'atteindras pas cet endroit.

— J'veux y aller !

— T'as un p'tit côté dramatique toi.

Silas se lève, si vite que Nolan laisse échapper un autre glapissement. Il a tant d'aisance pour se hisser plus haut que ça en paraît ridicule. Le temps est multiplié quand il est question de son ami, ponctué d'un débit sonore très conséquent.

Nolan est putain de bruyant, putain de peureux. Quand il panique, il sait plus c'est quoi l'espace vital, y'a ses bras qui entourent parfois mon corps et sa tête qui tombe sur mon épaule alors qu'il m'insulte un peu fort : « Sil, putain, préviens quand tu t'éloignes ! ». Et moi y'a aussi le vide derrière moi, j'sais pas non plus voler quand il fait ça, faut que j'm'accroche aussi à lui pour pas tomber. Ça serait plutôt à lui de me prévenir quand il me prend dans ses bras. C'est pas comme si mon cœur était préparé à sentir ses mains sur moi.

Ils sont face à face, bien haut, très haut. Un peu plus haut que l'endroit où Silas se trouvait. La branche du sycomore est comme un pont vers le ciel. Ils sont à cheval sur le bois que le temps a essoufflé, et Silas risque un regard au sol avant de tressaillir lui aussi. Il y a toujours la main de Nolan dans son dos, ses doigts crispés agrippant le tissu de son pull. Silas a la sienne posée sur son genou, son front presque contre sa clavicule. Leurs jambes sont emmêlées, si l'un bouge trop l'autre tombe. Ils sont un peu idiots en fait, ils sont montés trop haut.

— Attends Sil, me dis pas que là t'as peur aussi ?

— On est foutus !

— Aaaah bouge pas !

Dans un mouvement brusque, le dos de Silas cogne le tronc, et c'est maintenant lui qui pousse un faible cri. Nolan lui retient le bras, et se fige.

Puis Nolan il se met à rire, doucement, pas très fort.

— On est mal barrés, comment on va descendre ? il demande dans sa petite hilarité.

— C'est toi qui voulais monter je te préviens.

— Ouais, et je demande remboursement.

— Pourquoi ?

— La vue elle est dans mon dos, c'est toi qui profites de tout là.

Silas hausse un sourcil, mais bien vite il comprend.

Derrière Nolan, le soleil décline lentement. Il baigne dans l'ambiance dorée, ses cheveux épousant l'éclat et sa peau mordue par la lumière. Pourtant à contrejour, il y a contraste assez brusque entre le noir et le jour. Comme un crépuscule, sur cette plaine, belle de jour, enjôleuse de nuit.

Et effectivement, Silas peut presque dire qu'il profite de tout, sauf du contrôle de son corps.

— J'arrive pas à bouger, il marmonne.

Il n'a pas senti les doigts de Nolan lentement se glisser entre les siens. Silas n'a pas senti sa propre main se poser sur son visage, en dessous duquel il tente de découvrir l'enfant perdu.

Et là, on est si près que je sens son cœur à lui aussi. Il bat contre le mien, et j'me dis que si je tombais de cette hauteur, j'aurais moins mal à la poitrine.

— C'est vraiment haut...

Nolan murmure, et il y a un éclat assez étrange dans ses yeux. Un peu comme du cristal, en poussière, en petits grains frivoles. Ou ce sont des étoiles ? Ou une galaxie qui n'existe pas.

— T'aimes bien dire que tu t'en fous de tout, Silas.

— Ouais.

— Mais c'est pas vrai, hein ?

— Non, c'est pas vrai.

Tellement près que je crois qu'il sait très bien ce que je veux dire. Que je m'en fous juste pas de lui, de lui sur cet arbre et des étoiles qui pointent derrière. Qu'il est une œuvre d'art, qu'il y a cette aura céleste partout autour de lui, et que je me sens tout petit là, presque dans ses bras. Que là si haut, j'ai presque la tête qui tourne.

— C'est beau, Nolan.

— C'est beau ?

— T'es beau, et pas juste ce qu'on voit. Y'a ce truc que tu dégages et que les autres ils voient pas. J'sais pas, ils sont peut-être aveugles. Ouais, y'a des trucs moches aussi, Nolan. Genre, t'en as tellement marre qu'on te voit pas que t'es infect avec les autres, que t'as envie qu'on te trouve des crasses que t'inventes. C'est un défaut ça, ça te donne un côté pitoyable, aussi. J'te l'ai déjà dit ça, tu m'en as voulu quand je l'ai dit ? T'essayes trop, t'as pas à essayer autant, t'as juste à être comme ça, à être toi. Enfin, je sais pas trop, si t'es toi-même comme maintenant, peut-être qu'eux aussi ils auront envie de t'embrasser là tout de suite.

Sa main sur son visage glisse dans sa nuque, Nolan se penche vers lui, doucement, presque trop. Son nez frôle le sien et d'une voix tremblante Silas souffle.

— J'viens clairement pas de dire que j'ai envie de t'embrasser.

— Non, chuchote Nolan avec un sourire. Tu m'as plutôt insulté bien fort.

Et Nolan attend. Il attend parce que peut-être que Silas lui dira qu'il ne voulait vraiment pas dire ça, que c'était pas voulu. Mais Silas ne dit rien, lentement, il lève le regard et le plonge dans le sien.

Des mots silencieux, bien plus éloquents que les discours les plus fiévreux.

Et comme ça, les lèvres de Nolan fondent sur celles de Silas, légèrement et tendrement. Presque avec crainte au début, presque comme si le garçon face à lui allait s'envoler. Mais sa main contre sa nuque, qui se raccroche à sa peau alors que le baiser l'emporte, est bien là. Son cœur contre le sien, le goût de ses lèvres qui épousent les siennes, plus appuyées. Dans le dos de Silas, les doigts de Nolan pressent plus fort le tissu, en même temps que son corps prend appui sur le sien, et que Silas ne lâche un souffle contre sa bouche.

Puis le baiser prend fin, aussi doucement qu'il est arrivé. Comme une brise qui s'estompe, qui emporte un trop plein de feuilles mortes et de lumière. Leurs fronts l'un contre l'autre, ils s'observent et reprennent leur souffle. Puis ils se sourient, et Silas se permet de rire un peu fort.

— J'suis pas sûr d'avoir prévu ça, il dit.

Et Nolan rit à son tour en fermant les yeux. Il prend l'écharpe de Silas qu'il enroule autour de leurs deux cous, l'incitant à caler son visage entre son épaule et sa nuque.

— Je crois que j'aime bien, quand ça se prévoit pas trop.

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